Acte 8 - Déjà vu
A la fin de la journée, Camille, encore retourné et exténué, ne perdit pas de temps pour prendre ses affaires et rentrer chez lui. Mais juste avant de passer la porte, Hugo qui arriva derrière lui, lui mit une petite tape sur le dos et lui lança en le narguant :
- « À demain petit Camille, et tâche de te laver, parce que faire partir un client à cause d'une mauvaise odeur c'est pas bon signe ! »
Une bonne partie des salariés dans les parages rirent à cette boutade dénigrante crachée par leur chouchou, mais Camille ne prit même pas le temps de répondre à cette vipère et quitta les lieux, laissant les rires de ses collègues derrière lui et la porte en verre.
Il marchait maintenant seul dans la rue, les mains dans les poches et le regard soucieux. Il repensait encore malgré lui à sa journée, à cette visite, à cette maison, à cette odeur et à cette flaque bizarre. Ces pensées lui parasitaient carrément l'esprit, et plus il essayait de ne plus y penser, et plus l'odeur si spécifique de ce lieu revenait à ses narines, comme s'il avait de nouveau ouvert la porte de ce foyer de cauchemar. Soudain, alors qu'il commençait à arriver dans la rue où se trouvait son lotissement, il ressentit à nouveau la sensation d'être observé comme tout à l'heure, que quelqu'un ou quelque chose le regardait, l'épiais. Il accéléra le pas tout en regardant partout autour de lui, pour peut-être trouver ce qui pouvait le suivre ainsi. Mais il avait beau chercher, rien ni personne ne semblait suspect aux alentours, alors ne commençait-il pas à devenir paranoïaque ? Peut-être que cette histoire de flaque était une invention de toutes pièces de son esprit rongé par l'anxiété ? Camille venait même à douter de son état mental, pensant qu'il était peut-être en train de doucement plonger dans l'océan de la folie. Il pensait que ce n'était pas possible, pas lui, ça ne pouvait pas lui arriver, qu'aurait-il fait pour que sa vie ennuyeuse prenne ce virage étrange ? Il fini par se ressaisir et se calmer un peu, après tout l'affaire des mauvaises odeurs de la maison était close, ce n'était qu'un malheureux chat qui était mort sous le lit, et cette sensation d'être suivi et observé était sûrement naturelle après avoir eu une telle frayeur.
Quoi qu'il en soit, il retourna chez lui, entra dans son appartement et ferma la porte. Il retira ses chaussures, son trench noir, rangea ses vêtements et ses affaires et se mit à l'aise, torse nu. Comme à son habitude, son humble dîner se déroula devant l'émission "Mauvais rêve sur le grill". Cela ne paraissait rien du tout, mais ce retour à la normale et à ses petites habitudes firent beaucoup de bien à Camille. Une trentaine de minutes plus tard, son plat et sa vaisselle terminés, il alla prendre sa douche, et après cette dernière, il alla enfin se coucher. Il avait la sensation d'être totalement vidé de toute énergie, cette journée fut très fatigante émotionnellement et physiquement pour le jeune homme. Une fois allongé confortablement dans son lit, emmitouflé dans ses draps et accompagné de la douce odeur de noix de coco de son gel douche, il ferma doucement les yeux. Mais ce soir, le sommeil ne vint pas tout de suite à Camille, le silence de la nuit n'avait plus rien de rassurant, chaque petit bruit venant de chez ses voisins ou de l'extérieur le faisait sursauter. Son regard ne se détachait pas de la porte de sa chambre, vérifiant qu'aucune créature grotesque ne la franchisse, ou pire, un être humain.
Camille passa donc sa nuit les yeux grands ouverts et impossibles à fermer, tendu, aux aguets et le cœur qui ne s'apaisait pas. Le lendemain matin, le réveil fut difficile. Camille se leva mollement quelques minutes avant que son alarme ne sonne. Il alla directement voir l'état de son visage après cette nuit blanche. Face au miroir, il put constater son état de fatigue, des énormes cernes venaient se loger sous yeux, son teint était encore plus blafard que d'habitude et le blanc de ses yeux virait au rouge.
- « Oh la vache. J'ai vraiment une gueule de cadavre aujourd'hui. Putain de nuit blanche... » Soupira Camille.
Il s'empressa donc d'appliquer un léger fond de teint sur son visage pour essayer de cacher les énormes valises qu'il avait sous les yeux. Le résultat obtenue était loin d'être satisfaisant, mais il ferait l'affaire. Après avoir déjeuné, il s'habilla et mit son parfum, et bien qu'il n'était pas croyant, il pria le ciel pour que cette journée ne soit pas aussi désastreuse que celle d'hier. Constatant que pour une fois il était en avance, il mit ses chaussures et se rendit à son travail moins empressé que d'habitude.
Cette fois-ci sur la route, Camille ne se sentait plus observé comme la veille, ce qui le rassura et il se dit même qu'un retour à la normale était à présent envisageable. Il décida qu'il allait tirer un trait sur cette mésaventure et passer à la suite. Le soleil transperçait la cathédrale de Reims au loin et ses chaleureux rayons de lumière plongeaient dans le regard lagon du jeune garçon.
Il finit son bout de chemin et poussa la porte en verre de l'agence immobilière pour y entrer. Toujours avec un mouvement de main nonchalant il salua ses collègues d'une voix terne :
- « Bonjour tout le monde. »
Mais ce matin, Emile Girardeau était déjà présent, ce qui était assez rare car il avait l'habitude d'arriver à neuf heure trente. Et plus étonnant encore, il se dirigea vers Camille, et après une poignée de main à ce dernier, lui dit :
- « Bonjour Camille, c'est parfait que vous arriviez en avance ! Je voulais vous demander quelque chose.»
Ne connaissant que trop bien son supérieur, le jeune homme sut que derrière cette demande se cachait évidemment une obligation. Mais y étant habitué, il lui répondit d'un ton blasé et apathique :
- « En quoi je peux vous satisfaire, monsieur Girardeau ? »
Emile se déplaçait donc en compagnie de son employé en direction de son bureau tout en lui détaillant sa demande :
- « C'est tout simple, aujourd'hui on accueille un stagiaire, et comme tu es sympathique, je souhaite qu'il découvre le métier avec toi ! Il vient d'une école assez réputée, donc il devrait déjà avoir quelques bases, et je me suis dit que si ça se trouve, c'est même lui qui t'apprendra quelques trucs ! » dit Emile en rigolant
- « Un stagiaire ?! » s'exclama Camille de manière très étonnée.
- « Oui, il s'appelle Ivan Loktev ! » répondit Girardeau tout en ouvrant la porte du bureau dans lequel le stagiaire attendait.
Il s'avéra que ce dernier n'était autre que le jeune homme aux cheveux longs châtain clair, qui était présent dans le restaurant il y a deux jours, celui qui mangeait un bol de ramen. Il esquissa un grand sourire en regardant Camille, et d'un ton amusé l'interpella :
- « Ravi de faire votre connaissance, monsieur ! »
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