Des néons sur la façade d'un petit restaurant indiquaient son nom : "Chicken Best".

Ce fut la première chose que Camille vit du lieu de rendez-vous qui était face à lui, la seconde était le dessin d'un poulet arborant une toque et un tablier sur un panneau, et enfin il remarqua l'odeur de poulet frit qui se dégageait du bâtiment.

« Le meilleur resto de poulet de tout Reims ! » Annonca fièrement Ivan, en ouvrant la porte à son invité.

Le plus petit, étonné, commença à pénétrer dans l'enceinte du bâtiment, où l'odeur de friture y était encore plus intense. Bien que cet endroit était soit-disant réputé en ville, il était totalement inconnu de Camille. De plus, l'intérieur lui semblait insalubre, et l'hygiène n'était sûrement pas la priorité de l'établissement. L'unique pièce accessible était petite, un peu plus de la moitié du restaurant était visiblement réservé à la cuisine du personnel et à l'assemblage des divers repas.

Ils se présentèrent ensuite tout les deux au comptoir, derrière lequel se rendit un cuisiner qui venait prendre leur commande et leur demanda :

« Alors ça sera quoi, chef ? »

- « Alors, moi je vais prendre un chicken roll boursin harrisa, avec des frites et un cherry coke ! Et pour vous, monsieur Camille ? » déblatèra Ivan.

- « Et bien... » murmura le plus petit. « Je vais prendre la même chose ! » s'exclama t-il après quelques secondes de réflexion, sans même regarder le menu affiché au mur.

- « Ok, chef ! Je vous fais ça tout de suite, asseyez vous ! » clama le cuistot, tout en leur désignant les différentes tables en plastiques disponibles dans la salle.

Ils s'assayèrent alors tout les deux dans un coin isolé de la pièce, afin de ne pas être dérangés. Ivan était calme, comme à son habitude. Le fait de s'habiller sur son trente-et-un pour venir manger dans un fast-food ne semblait pas le gêner, les habitués pensaient d'ailleurs qu'ils étaient sûrement perdus et qu'ils avaient rendez-vous pour un dîner de gala. Camille, sentant les regards peser sur eux, grommela au plus vieux :

- « T'aurais pu me prévenir que tu m'invitais dans un fast-food ! Je me suis habillé comme un péteux, et on se tape l'air con, sérieux ! »

- « Je voulais vous faire la suprise, monsieur Camille ! Et pis, vous êtes très mignon, comme ça ! » répliqua Ivan tout en croisant les jambes sous la table en plastique bleue.

Les joues du plus jeune rougirent, il soupira de désespoir et chuchota :

- « T'es vraiment pas possible toi. j'aimerais bien m'en foutre de tout comme tu fais, on dirait que t'as pas de factures à payer à la fin du mois, t'es jamais stressé ! »

Ce à quoi son interlocuteur répondit par un rire chaleureux, puis entre deux ricanements, demanda :

- « Disons que j'ai mes petits secrets ! Mais, assez parlé de moi. Vos parents ils habitent où ? »

- « Et bien, ils habitent tout les deux à Paris. J'ai fais mes études à Reims tu vois, et je me voyais mal repartir à Paname alors que toute mes habitudes sont ici. Et les tiens, alors ? » Demanda à son tour Camille.

- « Mes parents sont en Ukraine, je suis parti vivre chez une tante qui habite à Châlons quand j'étais petit, car je vous laisse imaginer le contexte géopolitique là-bas, c'est plûtot tendu pour un mioche. » déclara alors Ivan tout en jouant avec une mèche de ses cheveux.

- « Merde, c'est pas cool ça ! Et tes parents ne t'ont pas rejoint après ? » Interrogea Camille en espérant ne pas insister sur un sujet délicat.

- « Ils auraient du mal à venir sachant qu'ils sont morts quelques jours après mon départ ! » S'exclama alors Ivan en riant.

- « Oh putain de merde, je suis désolé, j'ai été trop curieux, pardon ! » s'excusa le plus petit, confus et gêné par la bêtise qu'il venait de faire.

Ivan le regarda alors avec des yeux ronds, comme s'il ne comprenait pas pourquoi Camille lachait un tel flot d'excuses. Il prit une des mains du plus petit avant que celui-ci ne se ronge les ongles, et lui dit :

- « Hey, mais vous ne inquiètez pas ! J'étais marmot, ça date, c'est du passé ! On est pas là pour chialer, mais pour prendre du bon temps, alors détendez votre nouille ! »

Le plus petit extirpa sa main de l'emprise du plus grand, un malaise s'installa dès-lors entre les deux. Camille regrettait d'avoir réagit ainsi, mais son corps avait bougé avant sa pensée, c'était un réflexe incontrôlable. Il ésperait ne pas avoir trop froissé Ivan, ce dernier ayant sûrement juste voulu être bienveillant avec lui, sans aucune mauvaise intention. Le silence fut rompu par le cuisinier qui arriva en apportant avec lui les deux plateaux très bien garnis. Il les posa sur les table et souhaita un bon appétit aux deux jeunes hommes avant de retourner à son poste.

Ce "chicken roll" était plus que massif, sa taille dépassait même celle de la main d'Ivan. Comment une telle quantité allait bien pouvoir tenir dans l'estomac d'un petit être comme Camille ? Mais pas le choix, il l'avait commandé, il devait maintenant le manger. Etonnament, après une première bouchée, il trouva ce sandwich excellent. Les filets de poulet pâné étaient bien cuits et croustillants, la salade et les tomates apportaient un peu de fraîcheur, tandis que la sauce harissa relevait le tout. C'était très certainement un des meilleurs plats de fast-food qu'il eut l'occasion de goûter.

- « Putain, mais c'est super bon, ta merde ! » Clama t-il.

Le sourire aux lèvres et du boursin partout sur la bouche, Ivan lui répondit :

- « Qu'est-ce que je vous avais dit, monsieur Camille ? Le meilleur resto de poulet de Reims ! Au fait, je voulais m'excuser si ma façon d'être tactile parfois vous dérange, je veux bien ne plus vous toucher si vous le souhaitez ! »

Après avoir avalé une nouvelle bouchée de son sandwich, le plus jeune lui répondit :

- « Nan, c'est moi qui suis désolé. Disons que j'ai un peu perdu l'habitude des contacts physiques "sympas" entre l'autre connard de Hugo, et les vieilles qui me prennent pour un gosse. »

- « En effet, ça doit être casse couilles j'imagine. Je peux pas dire que je vous comprends, car de mon côté ça n'arrive jamais, mais je compatis ! D'ailleurs si ça peut vous rassurer, l'autre Hugo si je le vois vous emmerder, j'en ferai mon affaire. » Assura le plus grand, en ouvrant l'opercule de sa canette de soda.

« Non ! Tu n'as pas à faire ça, c'est mon souci, ne t'en fais pas. » lui répondit Camille en riant.

- « Vous savez, j'ai bien compris que vous pourrez jamais lui faire fermer sa grande gueule par peur de vous faire virer. C'est pour ça que moi, je vais m'en charger ! Je suis en stage, donc ça me fait ni chaud, ni froid de me prendre une soufflante par l'autre gros aux cheveux gras ! » Assura Ivan, avec la ferme intention de défendre son maître de stage.

- « T'es vraiment un phénomène, toi. Bon, de toute façon j'imagine que je ne pourrai pas te retenir, non ? » Demanda le plus jeune, tout en soupirant, le sourire aux lèvres.

- « En effet ! Je fais ce que je veux monsieur Camille, désolé ! » rétorqua malicieusement le stagiaire.

Les deux jeunes passèrent donc la soirée à insulter Hugo et sa bande, et parler de divers groupes de musique qui viendront dans quelques temps donner des concerts à Reims. Cela faisait longtemps que Camille n'avait pas autant sourit, son visage, d'habitude si froid et morose, était maintenant resplendissant et pétillant de joie.

Ils finissèrent leurs énormes sandwichs, et le plus grand raccompagna son invité jusque chez lui. Après tout il faisait nuit, et il ne voulait pas que quelque chose de mal lui arrive. Une fois arrivés devant la porte d'entrée de l'appartement de Camille, il était l'heure pour le duo de se dire au revoir.

- « Bon, bah, c'était une super soirée, monsieur Camille ! Faudra que l'on se refasse ça, à demain du coup ! » Dis alors Ivan, en le saluant de la main tout en commençant s'en aller.

- « A demain Ivan, encore merci. Et au fait ! » L'interpella Camille.

Le plus grand se retourna, surpris que ce petit gars souhaitait lui dire une autre chose.

- « Arrête de me vouvoyer, et appelle moi juste Camille. »

Tout en finissant de dire sa phrase, il entra au plus vite chez lui et ferma à double tour. Ivan, bouche bée, ne put que répondre aux murs.

- « Oh... Ok, Camille ! »