Une autre réalité:

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Il est quatorze heures, le lendemain. Ulysse est seul chez lui. Ses parents, sont partis travailler. Son père est médecin, sa mère, infirmière scolaire. Un couple médical assez classique. Il a deux grands frères, majeurs tous les deux. Ils ont quitté le nid depuis pas mal d'années déjà.

Aujourd'hui, il a quelque chose de prévu. Il va rendre visite à Valia, une amie proche, dans une quarantaine de minutes. Il est quatorze heures, certes, mais il n'est toujours pas habillé décemment pour sortir. Ulysse ouvre son armoire, attrape un tee shirt bordeaux, un jean classique qu'il retrousse d'un ourlet, enfile ses hautes chaussettes blanches, et attrape ses Vans, au pied du lit. Il part se brosser les dents, comme à son habitude lorsqu'il va voir quelqu'un.

Dans le miroir, le lycéen s'observe : ses cheveux châtains, anciennement lisses, ont bouclé depuis le collège. Ils sont décoiffés. Ses yeux d'un bleu clair et profond, observent minutieusement son reflet dans le miroir. Son regard est franc, décontracté. Ses sourcils, assez épais, ne lui font pas pour autant un air trop sérieux, ni trop mauvais, mais dégagent plus une sympathie singulière. Une pilosité éparse, est naissante sur ses joues.

Ulysse est grand, un peu plus de cent-quatre-vingts centimètres, svelte. Il n'a que quinze ans mais en fait facilement trois ou quatre de plus. Il continue de se regarder quand il entend son téléphone sonner :

- Oui Valia ?

- Oui, je t'appelle pour te prévenir que j'ai des cours cet après-midi, des professeurs ont prévenus d'une séance en visio ce midi seulement.

- D'accord pas de soucis, je peux venir demain ? réplique-t-il.

- Comme tu voudras ! Je te redirai dans la soirée vers quelle heure tu peux passer. À demain !

Fin de l'appel. Ulysse range son téléphone dans sa poche. Ce n'est pas grave, il ira la voir demain, et fera autre chose aujourd'hui. Oui, autre chose, mais quoi ? Il n'a pas d'idées. Il pourrait bien jouer du piano, mais non, pas maintenant. Retourner sur son ordinateur ? Se laisser absorber dans les méandres d'Internet ? Jouer pendant des heures jusqu'à en devenir myope ? Il fait déjà ça tous les jours, mais aujourd'hui, il n'en a pas envie. Il creuse dans son esprit, creuse profondément, en vain.

Toujours sans idée, il balaie au sol les vêtements qui traînent sur son lit, venant s'ajouter au monticule déjà présent. Il s'allonge sur le dos, regard tourné vers le plafond. Vide, ennui. Cet instant le fait réfléchir sur le monde, sur la vie. Ce sont des pensées muettes, lorsqu'on ne saît pas vraiment à quoi l'on pense, mais que nous réalisons malgré tout notre grandeur dans cet univers. On se demande pourquoi, Pourquoi sommes-nous ici ? Pourquoi est-ce ainsi ? Est ce que j'existe ? Si oui, à quelle échelle, à quel niveau... C'est fascinant, la façon dont nos épisodes de solitude nous font plonger dans les questionnements intemporels de la philosophie. Des interrogations sans réponse, infinies.

Ulysse fatigue. Ses yeux, toujours rivés sur le plafond, voient se dessiner une silhouette féminine, planant gracieusement au-dessus de lui. Elle tend ses mains, et les appose à ses joues. Il ne comprend pas très bien ce qui se passe, et commence à imaginer un monde dans sa tête. Des aventures se s'écrivent, Ulysse parvient à visualiser mentalement des paysages, des villes, des gens. Tout lui semble alors irréel. Ses paupières s'alourdissent, ses sens s'engourdissent, sa vision devient brumeuse. Il tente tant bien que mal de maintenir ses yeux ouverts, sans succès, abandonnant cette silhouette, Morphée.

Le noir, rien que le noir, puis soudain,une explosion de couleurs. Tous les paysages, les lieux, et les personnes que Ulysse vient d'imaginer défilent dans son esprit. Il les voit, ou plutôt les imagine. Des formes, des odeurs, des sentiments, des douleurs, des gens, aussi abstraits soient-ils.

Pris d'un sursaut, Ulysse ouvre les yeux. Il a mal à la tête et n'arrive pas à discerner le monde qui l'entoure, une lumière vive est comme en train de pénétrer ses yeux. Son esprit s'embrouille. Il entend vaguement le bruit d'une foule, de cris, il sent des parfum étranges qu'il ne reconnaît pas.

S'accoutumant à la lumière, sa vue se rétablit peu à peu. Ses autres sens aussi. Il entend maintenant avec discernement qu'il est entouré d'un amas de piétons, que les cris proviennent d'enfants qui jouent, que les effluves sentent un mélange d'alcool, de fleurs et de plats exotiques.

L'espace qui l'entoure n'a plus rien de sa sombre chambre d'adolescent. Le ciel est bleu, Ulysse est étendu sur les pavés chauds d'une place. il entend de l'eau ruisseler. Les personnes qui passent près de lui l'observent d'un oeil curieux, le prenant pour un fou ou un ivrogne qui dessoûle d'une nuit agitée. Il ne comprend pas ce qu'il se passe. Il est encore dans les vapes, et regarde de travers le monde qui l'entoure.

Au beau milieu d'une foule de passants, il se redresse, balaie de quelques revers de main la poussière des ses vêtements, et jette un coup d'oeil plus approfondi sur son environnement.

Ulysse croit halluciner : jamais dans sa vie il n'avait vu de personnes pareilles ! Autour de lui se trouvent un couple couvert de poils, une femme ailée qui marche avec assurance, et un petit homme vert aux oreilles pointues, une grosse bourse à la main, plus grosse que lui, qui se faufile entre les jambes d'un cyclope de deux mètres, qui le regarde d'un air ahuri. Pris d'une euphorie soudaine, il rit fort, très fort, voire trop. Cela ne fait qu'accentuer le regard péjoratif que ces êtres venus d'un autre monde portent sur lui. Il décide de l'ignorer. Observant autour de lui, il essaie de comprendre où il se trouve.

Une place dallée. Owen tend l'oreille...Au delà du monde qui déambule autour de lui, il croit entendre un ruissellement continu, comme un rappel de la nature, rafraîchissant, apaisant. L'adolescent cherche à s'en approcher. Il se glisse entre les passants, en direction du son. Cela lui fait tout drôle. Plus grand que la moyenne, Owen n'a jamais eu cette impression d'être minuscule. Lui, qui est du genre à voir par dessus les têtes, est ici obligé de se mouvoir pour atteindre sa cible. Il s'introduit entre un groupe de cyclope nauséabonds, esquive la croupe d'un centaure, manque de bousculer une famille de nains (et de piétiner leur fille), avant de finalement apercevoir la majestueuse fontaine.

Incroyable ! L'eau, aussi limpide que l'air, aussi éclatante qu'un crystal, à vouloir en devenir Narcisse, et s'y perdre dans son reflet, des jours durant. Féérique, magique. L'eau, au lieu de couler frénétiquement dans le bassin, semble s'envoler goutte à goutte, flotter, s'élever doucement, avec une grâce insoupsçonnée.

En effet, une multitude de fines gouttelettes s'élèvent de la surface du bassin et effectuent une rotation autour d'une sculpture centrale : un cavalier, fier, droit, masqué d'un heaume corinthien à la crête bleue électrique. Son armure, couverte de gravures d'or et d'argent, est marquée sur la poitrine d'un lion borgne, aux crocs aiguisées. La cuirasse est perçée au niveau de ses flanc de dizaines de petits orifices dans lesquels les goutelettes flottantes s'infiltrent, circulent dans les jambières, et repénètrent dans le bassin d'eau par les solerets, pour conclure ce cycle, et s'apprêter à reproduire leur danse nuptiale autour de cet homme de pierre. Owen se doute que ce chevalier doit être renommé pour avoir un tel monument en son honneur.

L'adolescent se reconcentre sur son environnement. Autour de la fontaine se disposent des stands aux couleurs diverses et variées, c'est un marché plein de vie.

Il est en extase. Là, au beau milieu de cette place, il s'émerveille de la vie qui l'entoure. Il n'a jamais vu d'endroits aussi dynamique, aussi cosmopolite, et qui lui paraît aussi étranger que familier. Cette ville est tout simplement unique. Owen est parcouru de frissons, tant son émerveillement est grand, tant son coeur s'emballe, face à tant de mystères et de vie. Pourtant, au coeur de ce bonheur sensoriel, le jeune homme n'est pas crédule.

Il sait que ce n'est qu'un rêve, qu'une illusion. Et plutôt que de continuer à explorer cette citée fantastique, il se dit qu'il ferait mieux de se réveiller, de laisser cet univers derrière lui, avec tous les secrets qu'il doit sûrement renfermer. Quitter ce monde sera moins douloureux si il s'y prépare, s'il n'est pas happé par la réalité à son insu. C'est avec le chagrin de partir qu'il se relâche. Tout ses muscles se détendent, se ramolissent. Arsène laisse doucement son corps pencher en arrière, son regard monter au ciel, ses bras pendre dans le vide. Il respire une dernière fois l'air de cette place, rêveur, et déçu de la quitter à jamais, puis il bascule.

I

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