1.5
En nous retrouvant dans la chambre, tous immédiatement nus selon notre rite implicite, nous remettons un peu d’ordre. Nous ne nous sentons pas prêts à reprendre les ébats. Nous nous allongeons, serrés, en continuant de converser. Des mains se posent sur les corps, les caressant doucement. Nous passons ainsi un long moment dans ce calme partagé.
Puis les mains descendent vers les sexes, les seins, les fesses. Nous nous échauffons doucement. Sans nous le dire vraiment, nous avons décidé avec Doron que nous allions finir de baptiser Thomas, le convertir à nos pratiques, pas forcément religieuses. Il le devine et se laisse entrainer. Les trois filles, soudées dans leurs étreintes, nous regardent. Nous faisons durer la promenade, amenant Thomas sur des marches de plus en plus hautes. Quand il atteindra le sommet, dans un cri rauque, ce sera la détente générale.
L’après-midi se termine dans des échanges à plusieurs. Une seule interrogation : Roxane a toujours esquivé un rapport avec l’un de nous trois. Suis-je le seul à l’avoir remarqué ?
Le diner nous rapproche encore plus. Décidément, quelque chose se passe entre nous. Je ne me suis jamais senti aussi bien en compagnie. Je ne fais même pas attention aux tables voisines, occupées comme la veille par des couples ou par des hommes accompagnés par des femmes. La différence est tellement perceptible ! La nuit est aussi douce qu’intense.
Je ne sais pas qui a lancé l’idée, mais elle fut adoptée d’emblée. Si jamais le confinement était confirmé pour mercredi (comme s’ils allaient revenir sur leur décision !), autant restés ici, en petit groupe, plutôt que dans nos appartements. Nous nous sentions en sécurité rassemblés. Immédiatement, la question du cout se posait, surtout que nous ne savions pas si cela allait durer une semaine ou plusieurs mois !
Nous invitâmes l’hôtelier à se joindre à nous. Il était désespéré, car il sentait venir l’obligation de fermeture. Il nous avait remarqués et touchés par l’ambiance chaleureuse qui se dégageait de notre groupe, si différente de celles habituelles qu’il voyait.
Même si l’hôtel était fermé, rien n’empêchait que nous nous installions ici. Une participation aux frais et aux tâches était nécessaire. Il espérait que nous allions accepter, car passer longtemps en tête-à-tête avec son fils n’allait pas être une bonne chose.
Chacun s’interroge. Thomas et Charlotte peuvent facilement s’installer ici. Financièrement, ce n’est pas un problème, leurs familles n’ont pas besoin d’eux et ils font du télétravail couramment. Doron est partant, mais il a un tas d’expériences en cours. Il lui faut plusieurs jours pour les arrêter ou les suspendre. Manon est enthousiaste. De toute façon, elle n’arrive pas à intéresser qui que ce soit à son travail. Financièrement, c’est juste impossible ! Roxane enchaine dans le même registre : son spectacle devait débuter dans quinze jours, suivi d’une tournée. Tout ça va tomber à l’eau, tout son travail va être perdu. Et financièrement, cela va devenir invivable, surtout qu’elle héberge Manon. L’angoisse de l’avenir les prend.
Nous, les nantis, nous nous regardons. Bien sûr, être ici représente une dépense supplémentaire, non négligeable même avec les conditions favorables de l’hôtelier. Je leur demande d’attendre deux minutes.
Je prends mon portable et j’appelle mes parents. Je suis en province, je ne peux pas rentrer rapidement. S’il y a confinement, est-ce qu’ils peuvent m’aider ? Je suis avec une copine… Aussitôt, les questions pleuvent. Non, ce n’est pas ma petite amie ! Mais bien sûr qu’ils vont me faire un virement. De quoi payer notre pension à nous six pendant six mois. Ils n’ont pas de mesure : ils ont tellement peur que je manque ! J’en profite, quand même, pour leur demander ce qu’ils vont faire. Les commerces vont s’arrêter, c’est certain. Les commandes sont en cours. S’il s’agit d’un mois ou deux, ils ne sont pas inquiets. Je ne sais pas pourquoi je leur ai posé la question, car de toutes les façons, ils me cacheraient leurs difficultés !
La question financière est réglée. Nous décidons de nous séparer et de revenir dès le début du confinement. Je décide de rester. Je n’ai pas envie de me retrouver avec Mabula après ce que je viens de vivre. Je l’appelle pour le mettre au courant et lui dire qu’il peut rester chez moi.
Manon me regarde et demande timidement si elle peut rester aussi, à attendre.
Les autres s’en vont. Nous savons que nous nous reverrons bientôt. Cette période est bizarre et une anxiété nous recouvre tous, peur de cette maladie, peur de ces changements, peur de l’avenir. Nous étions si protégés ensemble.
Nous passons l’après-midi à discuter. La présence douce de la belle Manon contre moi est un plaisir que j’apprécie. Sans que je la force trop, elle me montre ses créations, dont elle est fière. J’admire ses idées, qui tranchent avec le conformisme actuel de la mode. Original, sans être extravagant, élégant sans être guindé. Je n’ose lui proposer de les montrer à mes parents. Ils cherchent justement à se diversifier. Maintenant, avec le confinement qui arrive… Je me décide à les leur montrer, sans le dire à Manon. Je devine qu’ils seront enthousiasmés, car je m’intéresse quand même à leurs affaires et je sais ce qu’ils cherchent.
Tu aurais fait quoi, à ma place ?
Quand on voit ce qu’a été ce confinement, je ne regrette pas !
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