2.9
Nous remontons la France en zigzags. Nous avons notre rythme et nous posons maintenant toujours deux stations par jour, au prix de déplacements sans fin en voiture, moments de partages, sans que j’ose encore poser ma main sur sa cuisse.
— Pierri, à ce rythme, nous allons faire le travail en cinq semaines. On va arrêter plus vite de travailler ensemble !
— Merde ! Je ne pensais qu’à l’urgence des enregistrements !
— Maintenant, personne ne nous suit. Nous avons deux mois. On peut s’offrir quinze jours ou trois semaines de vacances, tous les deux !
— À se regarder les yeux dans les yeux ?
— À crapahuter pour le plaisir !
— On va déjà passer un jour ensemble à ne rien faire : on va voir comment cela va se passer !
— En fin de semaine, on attaque Tronçais, le Graal des forestiers !
— Je sais. Ce sera la référence.
— J’ai vu qu’il y avait un superbe hôtel dans un château, à Montluçon, juste à côté.
— Ça doit couter une blinde !
— Je te l’offre, si tu as des problèmes d’argent ! Ou si tu ne veux pas de question de Clarisse quand elle épluchera tes tickets de carte bleue !
— Je n’ai rien à cacher ! OK, ça me va bien de jouer les princes pendant un weekend !
— Le prince charmant ! Mais juste un jour, car je te rappelle que samedi, on pose !
Après cette discussion, son attitude se modifie. Il n’est plus à me relancer, à m’exciter. Je suis malheureux. L’ai-je fâché ? Comment lui demander ?
— Pierri, tu sembles plus distant avec moi. Tu ne m’asticotes plus. Il y a quelque chose qui ne va pas ?
— Oui !
Tout s’écroule, je plonge la tête sans le regarder, sans voir la malice sur son visage.
— Oh ! Usem ! Je blague ! Mais maintenant, je voudrais que ce soit toi qui m’asticotes, qui me stimules.
Je pose sa main sur sa cuisse. Délice extrême. Excitation extrême.
— Ah ! Enfin !
C’est vrai que je n’exprime pas tout ce que je ressens pour lui. Le fait qu’il ne soit pas gay me retient. Je me force et chaque avance est accueillie avec un beau sourire qui paye largement mon effort.
Le samedi, avant d’arriver au château, il me fait arrêter devant une pharmacie. Elle est bourrée de monde. Il est près de moi et sa main touche la mienne, sans la serrer, sans la quitter. C’est notre tour. Pierri lance à la jeune et jolie pharmacienne :
— Une boite de préservatifs et un flacon de gel, s’il vous plait !
Je suis rouge de honte. Il me tient le bout des doigts. Tous les clients ont entendu et regardent droit devant eux.
Elle revient avec les deux boites, un sourire en coin.
— Ça suffira ? Euh, je veux dire : et avec ça ?
— Oui, vous avez raison : mettez-nous une seconde boite !
Pourquoi le sol ne s’ouvre-t-il pas sous moi ?
— Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu m’as tué de honte !
— Tu n’as jamais acheté de préservatifs ?
— Jamais en tenant mon petit copain par la main ! Merde ! Pierri, qu’est-ce que ça veut dire ? Tu n’es pas… Et je ne veux pas coucher avec toi !
— Où est passé le fringant Usem qui saute tous les garçons qui lui passe sous le nez ? Qui est cet ado timoré qui rougit en achetant des capotes ? Moi, je dis : il est amoureux !
— Pierri, arrête ton cinéma ! Tu sais que j’éprouve pour toi des sentiments… amoureux, on peut le dire, mais…
— Usem, solennellement, je te demande de coucher avec moi. J’ai envie de ton amour physique, c’est tout.
Il vient chercher sa réponse en m’embrassant. Je fonds, mes larmes coulent. Un policier municipal toque au carreau pour nous dire de dégager : nous sommes mal garés.
Il est clair que je ne maitrise plus rien ! Je me laisse porter vers ma destinée…
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