3.4
Je laisse filer la conversation pour évacuer ces réminiscences. Il était parti sur un nouveau jeu vidéo qu’il venait de découvrir. Je le laissais parler, puis je le ramenai vers sa préoccupation :
— Et ce camp de parapente ?
— C’était super ! Je n’avais jamais volé ! Être en l’air, dans le glissement du vent, c’est magique !
— Les autres participants étaient sympas ?
Son coup de rouge trahissait son émoi.
— Oui, ça allait !
— Allez, raconte ! Tu as rencontré quelqu’un ?
— Usem, si je te le dis, c’est un secret ! Tu n’en parles pas à papa !
— Ah bon, pourquoi ? C’est une noire ? Une Juive ? Une terroriste ? Un mec ?
— T’es con !
— Eh bien, vas-y, dis-moi !
— C’est compliqué !
— Oui, c’est une histoire d’amour ! C’est ça ?
— Je me suis retrouvé avec un mec super sympa, Lucas.
— Et vous vous êtes plu !
— Tu es vraiment con ! Laisse-moi parler ! Oui, nous nous sommes plu. Mais en tant qu’ami, pas plus. Le problème, c’est qu’il était venu avec sa sœur, sa jumelle, Sarah.
— Et alors ?
— Ben, elle aussi elle m’a plu, en tant qu’amie, pas plus !
— Bon, donc tu t’es fait deux amis, qui sont frère et sœur, c’est super !
— En plus, ils n’habitent pas très loin d’ici et on peut se voir facilement d’un coup de bus !
— Je ne vois pas ce qui est compliqué !
— Je crois que maintenant, je suis amoureux des deux. Je crois aussi qu’ils sont tous les deux amoureux de moi. Je ne peux pas choisir et je ne veux pas qu’ils se disputent pour moi ! Alors, j’ai rompu, je ne les vois plus et on ne se parle plus sur Instagram. Ils ne sont plus mes amis sur Facebook.
— Et c’est moi le con ?
— Si tu savais comme je suis content de pouvoir en parler ! Je t’attendais avec impatience. Parce que ce n’est pas papa qui va m’aider ! En plus, je ne veux pas lui en parler !
— C’est sûr que comme ça, il ne va pas t’aider !
— Ça fait longtemps que tu les as jetés ?
— Une semaine ! Chacun m’envoyait des messages de plus en plus forts.
— Qui préfères-tu ? Lucas ou Sarah ?
— Les deux !
— Bon, viens t’allonger, on va réfléchir ! Est-ce qu’ils savent que l’autre est amoureux de toi ?
— Je ne crois pas, d’après ce que je lis. Tu sais, au début, ils avaient l’air de vrais jumeaux, je veux dire qu’ils étaient ensemble. Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas de secrets entre eux. Mais, ça, je ne crois pas qu’ils l’aient échangé. S’ils l’apprennent, ils vont se disputer et me jeter !
— Ce n’est pas grave, puisque tu t’es jeté toi-même !
— Tu n’es vraiment pas drôle ! Ça ne sert à rien d’avoir un ami comme toi ! T’es vraiment trop con. Je n’aurais pas dû te parler de ça.
— Viens, contre moi Alex ! Relaxe ! Je m’excuse de cette vanne. Il est quelle heure ? 22 h 30, ils ne doivent pas être couchés.
— Je ne vais pas les appeler !
— Moi non plus ! Reste dans tes problèmes, ne les regarde pas en face, ne les affronte pas. Tu as raison ! Ils vont se résoudre tout seuls !
— Usem… S’il te plait…
— Alex ! Tu sais que je me suis pris d’affection pour toi. Tu es un drôle d’ado, mais je me suis attaché. On va trouver une solution. Mais il faut attaquer ! De toute façon, la situation ne pourra pas être pire ! Sauf que tu sauras et que tu pourras avancer, au lieu de rester perdu dans le chagrin !
— Usem…
— Je suis là ! Qui appelles-tu ?
— J’sais pas…
— Appelle Sarah, c’est plus facile avec une fille !
— Pourquoi tu préfères les hommes alors ?
— Alex !
— Allo, Sarah ?
Oh, sa petite voix perdue ! J’ai tellement envie de l’embrasser !
— Alex ? Mais qu’est-ce qui s’est passé ? On n’arrivait plus à te joindre !
— Euh… j’ai eu des ennuis… avec mon appareil…
— Alex ! Tu es sûr que ce n’est pas plus grave ? Tu sais que tu peux tout me dire…
Je lui fais un signe : « FONCE ! ».
— Oui, tu as raison, c’est plus grave !
— Alex, mon Alex, je suis là !
— Je suis amoureux…
J’entends le cœur de Sarah qui monte à mille pulsations !
— Je suis amoureux… de toi et…
— Alex ! Tu me le dis ! C’est merveilleux ! Moi aussi, je t’aime !
— Sarah, je suis aussi amoureux de Lucas !
Le pauvre ! Il est liquéfié. Je le regarde avec une admiration infinie. Il me renvoie un petit rictus.
— Mais ça, je le sais Alex ! Depuis toujours !
Son étonnement le laisse muet.
— Alex ! C’est quoi le problème grave ? Dis-moi…
— Mais je suis amoureux de vous deux à la fois ! J’ai envie de t’embrasser et j’ai envie d’embrasser Lucas, j’ai envie de te caresser et j’ai envie de caresser Lucas…
— Moi aussi, j’ai envie de t’embrasser, rigole la voix de Lucas, plus lointaine.
— Oh, tu as tout entendu ?
— Tu sais, reprend Lucas, on se dit tout avec Sarah ! Mais je me demandais si tu étais plutôt fille ou plutôt garçon. Moi, c’est les deux ! Et Sarah, c’est que les garçons, enfin qu’Alex !
— Lucas ! hurle Sarah en riant.
— Mais alors…
— Écoute, Alex ! Nous t’aimons tous les deux, autant. Ce qui compte, c’est que tu sois avec nous, entre nous. Tu peux nous embrasser tous les deux ! Tu sais, on est souvent dans les bras l’un de l’autre !
— Tu viens ce weekend ? On couchera tous les trois ensemble !
— Il faut que je demande à…
— Bon, samedi soir ! Demain, quoi !
— Je t’embrasse !
— Moi aussi !
— Lucas, Sarah, je vous embrasse !
Voilà ! Il s’effondre en pleurant. Je laisse passer le gros de la vague. Apaisé, il met sa tête sur ma poitrine.
— Usem…
— Chutttt.
Il s’endort immédiatement, alors que je lui caresse les cheveux. C’est encore un petit enfant. Je le pousse doucement vers sa place, le borde. Avant de m’assoupir, je sens ma poitrine débordée de joie. Pourquoi me suis-je attaché à ce petit frère ?
Quelquefois, on a l’impression d’être utile ! C’est agréable !
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