3.11
Pierri, bien entendu, accepte mon invitation d’un diner à trois, forcément à la maison, puisque les restaurants n’existent plus. Nous sommes trois amis, détendus, s’amusant à se mitonner un bon petit diner, accompagné d’un apéritif au Champagne, très euphorisant.
Nous sommes à peine à table que mon téléphone sonna.
— Usem, c’est ta mère. On est aux urgences de l’HEGP. Ton père a fait une crise…
— Papa est à Pompidou ! Il faut que j’y aille. Je vous laisse.
Je sors précipitamment, les abandonnant. Une méchante pizza à moitié froide m’attend chez Manon et Roxane. Sans importance, car je n’ai pas faim. Comment mes deux amours sauront-elles gérer leur face-à-face ?
Manon essaie de me distraire. Roxane parle des derniers potins du monde du spectacle. J’ai la tête ailleurs, où se joue mon avenir.
Nous regardons Titanic, j’ai un faible pour Léonardo jeune ! À la fin, je leur dis que regarder un film racontant une histoire d’amour qui tombe à l’eau n’est pas un bon présage !
Mes deux amies me cajolent tendrement et gentiment entre elles.
Vers les trois heures, je rentre chez nous : l’heure de vérité ! Le résultat des courses ! J’ai confiance, avec une énorme boule dans le ventre en poussant la porte. Je m’avance dans la chambre. Notre appartement est sur les hauteurs de Paris et les lumières de la ville permettent de contempler leurs deux corps enlacés dans notre lit. Qu’ils sont beaux ! Pierri, aux formes plus douces, avec ses petits poils blonds si attendrissants, Doron, plus élancé, plus musculeux dans sa finesse, sa peau si blanche et ses taches de rousseur.
À la lumière de mon écran, je vois nombre de sachets de préservatifs ouverts, et les résultats de la besogne de ces deux mecs ! Je les couve des yeux. Je vois l’avenir en rose, sans pouvoir imaginer concrètement comment nous allons vivre cela.
Je vais me préparer pour les rejoindre, me demandant si je vais me mettre du côté de Doron ou de celui de Pierri. La vie présente parfois des difficultés insurmontables. Heureusement, le destin résout tout ! En retournant dans la chambre, ils s’étaient déliés et avaient roulé chacun vers un bord. Je me glisse à ma place, au centre, au milieu de mes deux chaleurs.
Je sens leur moiteur, leur odeur, que je connais si intimement. Mes yeux se mouillent. Pas longtemps, car je m’écroule dans un sommeil merveilleux.
Le lendemain, je me réveille, seul. Cela est troublant. Soit Doron me réveillait à son habitude, en m’honorant et en me déchargeant son énergie (j’adore ces reprises de vie !), soit Pierri, ce dormeur lève-tard, étalait sa beauté dressée du matin. Embrasser son petit mât, le durcir et savourer son écume était un autre plaisir du matin. Mais là, nada ! Aucun bruit !
Ils sont attablés, nus, dans la cuisine, parlant doucement.
— Euh, salut !
— Salut Usem ! Ton père ?
— Quoi mon père ?
Le spectacle des résidus de la nuit m’avait rappelé qu’une belle chose s’était passée entre eux. Je suis en pleine réflexion sur la suite à donner. Le mensonge à l’origine de ce plan est oublié.
— Ah, oui ! Une fausse alerte qui nous a pris toute la nuit ! La galère des urgences !
— Tant mieux !
Seul Doron parle. Pierri, silencieux, rayonne, mais c’est un pléonasme.
Je m’assois à côté d’eux, me verse un grand café noir. Là aussi, avec Doron, nous avons la même exigence de bon café !
Je sirote. Nous sommes comme trois couillons, trois ados à ne savoir quoi dire après une nuit d’amour. Je n’ai pas participé, mais j’étais au centre de cette nuit ! Je tends les jambes et elles rencontrent les leurs entremêlées. En surface, je n’avais rien vu. J’ai un choc, un effondrement. Mon plan foireux a trop bien fonctionné. Ils sont tombés amoureux et ils vont me lâcher, me jeter, m’abandonner ! Ni l’un ni l’autre n’a bougé ou exprimé une ride sur leur visage. Une fraction de seconde d’éternité, avant que leurs jambes se dénouent pour se renouer avec les miennes. Mon cœur accélère brutalement.
Nous sommes nus et ma réaction forte et immédiate doit être similaire à la leur. Une envie de me fondre avec eux m’envahit.
— On se remet au lit ? lance Doron.
Ils se lèvent en se tenant la main, leur envie dressée. Ils me prennent la main et nous sommes trois à nous étreindre sur le lit. Toujours muets, juste des caresses, des baisers, des gestes qui en expriment tellement !
J’ai tellement envie de le faire pour de vrai avec mes deux amours, mes deux mecs. Aucun mot quand je saisis le gel pour les enduire directement. Puis, je suis à ma place, entre eux deux. C’est moi qui rythme, donnant à Pierri, recevant de Doron. Quelle plénitude, j’étire au maximum cette fusion unique.
Il est midi passé quand nous nous séparons. Ces heures ont été sublimes.
Une douche à trois, pleine de tendresses et prévenances nous calme et nous permet de nous retrouver dévorants des pizzas (mon régime n’est pas top ce weekend !), comme trois copains. La conversation a repris, pointue, sur la virologie, sans ultracrepidarianisme, car nous sommes assez sachants pour en parler savamment ! De ce qui s’est passé, nulle allusion ! Pour une fois, je regrette de préférer les mecs, cette sorte de bêtes qui ne parle jamais de ses sentiments !
Pourtant, des mots doux des mots d’estime, des mots tendres, j’en ai eu avec Doron, avec Pierri. Mais à trois exprimer ses sentiments vers l’un devant un tiers, c’est impossible !
Je craque et je lance :
— Si vous saviez comme je vous aime !
Lequel a répondu « Nous savons ! », avant que nous partions dans un fou rire enfantin ?
N’empêche que, si j’étais rassuré, je ne voyais toujours pas notre avenir !
Les choses semblent si faciles ! Pourtant, je sais qu’elles sont fragiles !
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