Citoy'Honnêteté
Johanna avait été muté dans ce collège des beaux quartiers après avoir écumé les salles de classe dans des zones prioritaires comme disait le gouvernement. Mais à part leur avoir trouvé un nom, ce dernier préférait se décharger en laissant chaque établissement se débrouiller.
Ça n'avait pas été facile de démarrer sa carrière avec des niveaux très disparate et où le temps pour chaque enfant n'est pas accordé en fonction de son besoin. Elle s'est souvent dit qu'il serait préférable de commencer avec des élèves "faciles" à instruire et qu'au fur et à mesure, avec l'expérience, être orienté en conséquence de ses compétences en enseignement et en pouvoir de transmission, et ne pas avoir comme seul critère les connaissances théoriques dans sa matière.
Depuis toute jeune, elle s'était passionnée par l'histoire, plus que la géographie d'ailleurs. De base, ces deux disciplines étaient associées, mais pour elle, c'était comme si on mélangeait la force de vente et la comptabilité, ou encore la biologie et le sport. Ce débat faisait toujours des émules dans la salle des profs. Elle avait aussi une troisième matière à enseigner, la citoyenneté... Pourquoi ça revenait toujours aux profs d'histoire-géo, tous les profs sont censés créer de futurs citoyens instruits et apte à réfléchir par eux-mêmes non ?
Durant un de ces cours de "citoyenneté", le sujet a dérivé suite à la question d'une élève :
- Madame, il est arrivé comment au pouvoir Hitler ?
- Par les élections en Allemagne Capucine, malheureusement !
- Et il y avait quoi comme gouvernement avant lui ?
- C'était un gouvernement de centre droit.
- Comme l'autre qu'on a ? demande Pablo
- Heu ... En effet !
- Et qu'est-ce qui a fait que ça a basculé du côté obscur ? interroge Amir
- ... De la force, susurre Anthony sous les rires des plus geeks d'entre eux.
- Disons que le gouvernement précédent a préféré s'associer à sa droite plutôt qu'à sa gauche.
- Il nous fait pas un peu la même notre Palpatine national là ? se questionne Igor avec la capuche de son sweat sur la tête.
- Je ne peux trop rien dire sur le gouvernement de notre pays, je n'en ai pas le droit. Du moins pas à vous !
- Quoi vous pouvez pas tout nous dire ? s'offusque Nina au premier rang.
- Je ne dois pas influencer votre jugement.
- Ouais mais m'dame, déjà les livres d'histoire sont écrits par les gagnants... C'est d'jà influencé à balle. J'vous parle même pas du cours d'éco, ça fait pitié... T'apprends plus de trucs sur Youtube. surenchérit Vivien du fond de la classe, casquette vissée sur le crâne.
- Tu as tout à fait raison Vivien, l'histoire n'est qu'une interprétation de faits relatés par diverses sources. Il est toujours mieux d'avoir plusieurs versions.
- C'est des fake-news quoi votre cours ? s'indigne Antoine en lançant un avion en papier fait avec le polycopié du jour.
- Non, je suis chargé de vous transmettre un programme sélectionné par l'éducation nationale, essaye de se défendre Johanna ayant l'impression d'avoir reçu une claque.
- Ha, c'est encore pire ... C'est de l'endoctrinement, ajoute Antoine content d'avoir touché une corde sensible.
- Mais c'est pas vot' faute m'dame, ... C'est votre taf, tente de rassurer Vivien.
Un silence pesant envahit la classe, Johanna le rompt au bout d'un moment.
- Vous avez raison, chacun doit s'approprier l'histoire, ou même la politique et la citoyenneté, selon ses propres codes. Il est important de débattre et d'admettre qu'il n'y a pas de vérité absolue. Ce que je vais ....
DRRRIIIIINNG !
La sonnerie signalant la fin du cours retentit mais curieusement, aucun élève ne bouge. Ils sont tous accrochés aux lèvres de Johanna pour connaître la suite de ce qu'elle allait dire. Elle profite de la durée du retentissement pour tous les scruter des yeux, elle en ressent d'ailleurs une vive émotion, déglutit puis reprend.
- Mais putain que vous avez raison ... Désolé pour la vulgarité, si vous pouviez éviter de faire fuiter ça à vos parents et sur les réseaux sociaux, ça m'arrangerait... Vous avez raison, et j'ai envie d'entendre vos arguments. Alors dorénavant, je donnerai le cours académique puis ma vision des choses et ensuite on débattra... Ça vous va ?
Les élèves acclament et applaudissent la professeure, certains se lèvent même. Au bout de deux minutes, tout le monde est debout et le coeur de Johanna est en joie, les yeux chargés d'émotions.
A ce moment là, le directeur intrigué marchant dans le couloir ouvre la porte et passe sa tête :
- Tout va bien Johanna ... Heu madame Jobard ?
- Pour le mieux du monde Monsieur ! répond-elle encore sous le choc
- Ça a sonné au fait, ajoute t'il en refermant la porte.
- On n'avait pas entendu conclut-elle en tirant la langue vers la porte sous les rires de toute la classe.
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