Soyons constructifs, monsieur Didime
de Jonas
Éditions Best-seller
Rue du pèze
75000 Paris
Mon cher monsieur Didime,
J’aurais pu me contenter de la sentence habituelle, spécifiant que votre travail non dépourvu de qualités ne rentre pas dans notre ligne éditoriale actuelle, mais des mérites propres à votre récit me conduisent à formuler une réponse plus complète.
Nonobstant votre maîtrise indéniable de la langue –ce qui est a minima ce qu’une maison d’édition comme la nôtre est en droit d’attendre d’un auteur- plusieurs éléments mériteraient de votre part -oserais-je le terme, je l’ose- une certaine remise en question.
Vos phrases tout d’abord.
Vous me pardonnerez ma franchise mais il y a beaucoup trop de mots. Allons, monsieur Didime, avez-vous oublié les leçons des maîtres du passé ? Sujet-verbe-complément. Une analyse exhaustive des chefs d’œuvre (pardon, je voulais dire « best-sellers ») des années 2014 et 2015 souligne ce fait acquis : l’intérêt du lecteur décroît au-delà du sixième mot. J’ai dans votre texte relevé une phrase de dix-huit mots. J’en suis resté -oserais-je le terme, je l’ose- pantois. Dix-huit mots. Nous avons probablement identifié une marge de progrès, monsieur Didime.
Passons à l’intrigue.
Votre premier chapitre, -je vous l’avoue, je ne suis pas allé plus avant- votre premier chapitre donc, narre les « aventures » de Constance. Vous remarquerez les guillemets autour du mot « aventures ». Sur dix bonnes pages (nous privilégions les gros caractères) les péripéties auxquelles elle est confrontée peuvent se résumer ainsi : elle se réveille, prend un thé, regarde la télévision puis répond à un appel téléphonique.
Vous en conviendrez, monsieur Didime, on n’est pas dans Le cauchemar du vampire alcoolique (notre dernier succès en vente dans toutes les bonnes librairies et aussi sur internet) ni dans Je t’aimerai ma chérie (notre autre dernier succès en vente patati, patata…).
Monsieur Didime, croyez-le, je ne mets aucunement en doute vos incontestables qualités littéraires, mais, de nos jours, un premier chapitre sans la moindre scène explicite de –oserais-je le terme, je l’ose- sexe, trépanation ou autres frivolités un tant soit peu accrocheuses est tout bonnement inimaginable. L’analyse exhaustive évoquée ci-dessus met en exergue cette évidence à graver au fronton du mode d’emploi de tout best-seller : un lecteur qui n’a pas eu son lot d’émotions fortes dans les dix premières lignes n’achète pas le livre.
Alors, vous imaginez, des phrases de dix-huit mots (j’en frémis encore) et une héroïne qui se lève pour prendre un thé, on a vu mieux dans le genre « accroche du lecteur ».
Si nous sommes d’accord –y aurait-il une raison pour que nous ne le soyons pas ?- je vous invite à travailler de nouveau votre récit à l’aune des conseils suivants :
-Des phrases de six mots au grand maximum,
-Du sexe ou du meurtre dès le début (si pouviez nous faire un mix des deux, ce serait judicieux),
-Une profession un peu plus exotique pour votre héroïne (commissaire de police ou hôtesse de l’air par exemple),
-Un peu de mafia géorgienne ou bulgare, ce serait parfait même si la mafia sicilienne connait un regain de popularité,
-Un zeste de problèmes migratoires, c’est d’actualité,
-Et des héros sympathiques et attractifs (le genre déprimé qui réfléchit est -vous en avez conscience- à proscrire).
Voilà.
Dans l’attente de votre prochain manuscrit, qui saura, j’en suis convaincu, présenter tous les atours d’un futur succès de librairie, je vous prie d’agréer, monsieur Didime, mes cordiales salutations.
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Soyons constructifs, monsieur Didime | Chapitre | 31 messages | 8 ans |
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