Chapitre VIII
Éléonore se réveilla en sursaut. Elle fixa le plafond un moment avant de comprendre où elle se trouvait. Les cris des hyènes résonnaient encore dans ses oreilles. Son cœur battait doucement, elle avait une sensation étrange en bouche qui lui rappelait celle de son premier rêve. Elle avala sa salive difficilement. Ophélie ouvrit la porte de sa chambre.
- Tu es déjà réveillée ? demanda-t-elle, étonnée.
Éléonore ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Elle hocha alors simplement la tête. Sa grande-tante fronça les sourcils face à cette réaction inattendue.
- Tu es malade ?
Il y eut un court silence.
- Réponds honnêtement, parce que si c'est le cas, je t'emmène chez un médecin et on fera la randonnée un autre jour.
Éléonore cligna des yeux et finit par murmurer d'une voix rauque:
- Je ne suis pas malade.
- J'ai du mal à te croire. Mais c'est à toi de savoir comment tu te sens. Prépare-toi rapidement.
Ophélie sortit et elle déglutit.
J'ai vraiment cru que j'avais perdu ma voix... Mes rêves incluent des transformations ? Ça commence à me faire flipper...
Elle sortit ses jambes de dessous la couette et frissonna. Elle se leva, et après s'être changé, descendit. Juste en bas des escaliers se trouvait deux sacs et Ophélie l'attendait une veste à la main.
- Il y a deux tranches de pain sur la table.
- Merci mais... je n'ai pas faim...
Sa grande-tante lui ordonna:
- Mange un peu quand même. Tu n'as jamais fait de randonnées, c'est une précaution.
Éléonore soupira puis voyant le regard d'Ophélie, elle obéit. Elle se força à avaler le pain malgré sa gorge rêche. Après quoi, elles sortirent et elle remarqua pour la première fois la voiture qui était garée juste devant le portail.
- J'ignorais que vous aviez une voiture, lâcha-t-elle.
Ophélie s'arrêta net.
- C'est la voiture d'un voisin qui veut bien nous la prêter aujourd'hui.
Sa voix avait changé. Maintenant, elle était passé de distante à dure. Éléonore ne sut comment réagir face à cette explication.
- Ne fais plus ce genre de remarques, compris?
Cette dernière phrase la mit dans l'embarras.
- Euh... Oui.
Elle resta figée sur place, ne sachant comment réagir.
Qu'est-ce qui lui arrive? Je n'ai rien dit de méchant. Pourquoi est-ce que j'ai toujours l'impression de ne jamais être sur la même longueur d'ondes que tout le monde ?
Un coup de klaxon la ramena à la réalité. Elle fit une grimace face à ce son bien trop fort à son goût. Elle remarqua que sa grande-tante était déjà dans la voiture et l'attendait, le regard sur la route. Éléonore prit une profonde inspiration vant de s'avancer pour monter dans la voiture. L'ambiance ne changeait pas de celle qu'elle avait ressenti en venant ici avec sa mère. Cette même sensation d'étouffement. Elle essaya de regarder le paysage mais trop de questions sans réponse l'assaillaient. Elle ne fit pas attention au trajet et sursauta quand Ophélie déclara:
- Nous sommes arivées.
Elles se trouvaient dans un petit parking fait de gravier, face à un petit muret en pierre, seules. Elles sortirent et Éléonore frissonna malgré la veste chaude qu'elle portait. Un petit sentier entouré d'arbres démarrait au pied d'un panneau montrant le parcours a effectué.
- J'ai pris une randonnée de niveau moyen pour commencer. On verra pour la suite si tu y arrives ou pas, lui annonça sa grande-tante.
Ophélie s'engagea dans un sentier et elle la suivit. Le début fut difficile. Elle n'avait jamais marché en montagne et n'aimait pas les montées. Pourtant, elle s'habitua assez rapidement à l'air frais des montagnes, à l'effort qu'elle devait fournir. Elle trouva son rythme bien que sa grande-tante soit plus rapide qu'elle et doive sans cesse l'attendre. De plus, Éléonore observait les arbres aux formes parfois totalement différentes, leurs écorces, les racines, la mousse. Au bout d'un moment, elle hasarda une phrase en espérant qu'elle pourrait amorcer une discussion sur la flore qui les entourait et dont elle ne connaissait rien.
- C'est quoi comme arbre?d demanda-t-elle en tendant son index.
Ophélie la regarda en plissant les yeux puis répondit sèchement:
- Ne pose pas de questions. Tais-toi et observe. En silence.
Éléonore se figea alors que sa grande-tante reprenait sa marche.
Ce cauchemer ne se terminera jamais ? Je n'ai même pas le droit d'être curieuse ?
Elle soupira découragée et désespérée. Soudain, tous ses muscles se tendirent, comme si elle sentait que quelque chose arrivait. Quelque chose d'inhabituel. Elle ne bougea pas et écouta le silence. Le vent soufflait fort et il lui sembla qu'il tentait de communiquer avec elle, tentant de l'amadouer. Pourquoi? Elle n'en avait aucune idée. Inconsciemment, elle fit un pas vers la forêt. Elle s'en rendit compte et revint un pas en arrière. À nouveau, le vent forcit, le bruissement dans les branches se fit plus intense. Ses pieds avancèrent d'un pas, munis d'une volonté propre. Elle recula. Ce même manège se répéta plusieurs fois. Éléonore sentit l'angoisse monter en elle.
C'est moi ou je commence à faire des hallucinations ?
Elle s'obligea à garder ses pieds ancrés dans le sol en espérant qu'Ophélie reviendrait sur ses pas pour la chercher. Mais elle ne revenait pas. Le vent prit davantage d'ampleur, des nuages sombres commencèrent à se masser dans le ciel. Il lui sembla que les bourrasques la grondait de ne pas obéir, de ne pas s'avancer. Éléonore serra ses bras contre elle pour garder un peu de chaleur.
Mais où est Ophélie? Elle n'a pas remarqué que je n'étais plus derrière elle ou quoi? Elle doit être loin maintenant...
L'adolescente sentit une panique grandir en elle. Elle la contint difficilement.
Calme-toi, respire... Quelles solutions y a-t-il pour résoudre ce bor...? Un: tenter de rejoindre Ophélie en espérant qu'elle vienne dans ma direction. Deux: s'abriter... dans la forêt. Trois: ... Retourner à la voiture.
Son instinct lui dictait de marcher sous le couvert des arbres. Elle les observa et eut l'impression qu'ils essayaient de l'apaiser avec les mouvements de leurs branches, comme si ils lui disaient: "Viens, tu ne risques rien. Nous te protégerons."
Étrangement, Éléonore se sentit rassurée et entra dans la forêt qui bordait le sentier de randonnée. Aussitôt, elle distingua moins ce qu'il y avait devant elle, ses yeux n'étant pas habituer à la pénombre. Mais là encore, elle savait où aller, même si elle ne savait pas d'où lui venait cette certitude. Ses pieds bougeaient sans qu'elle le veuille vraiment, sans qu'elle ne leur dicte quoique se soit. Elle discernait vaguement les obstacles devant elle, inquiète de se trouver seule dans la forêt. La pluie commença à tomber. De fines gouttes qui grossirent petit à petit. Elle sortit son téléphone mais il n’y avait pas de réseau et elle avait oublié de le recharger. Il restait seulement 30% de batterie. Elle s’arrêta et s'appuya contre un arbre, perdue et désorientée.
Par où suis-je venue ? C'était une très mauvaise idée tout compte fait...
Elle se retourna et tenta de revenir sur ses pas. En essayant de se souvenir du chemin emprunté. Mais au bout de quelques minutes, elle reconnaissait encore moins la forêt.
Je suis perdue.
Ce constat la fit frémir. Elle s'assit et essaya l’exercice que lui avait montré Marie mais elle n’arrivait pas à se concentrer. Chaque bruit lui semblait amplifié, la faisant sursauter à chaque fois qu’elle entendait quelque chose. Finalement, Éléonore reprit son chemin et tenta de retrouver le chemin de randonnée. Évidemment, elle n’y parvenait pas et elle comprit qu'elle s'éloignait de son but au lieu de s'en approcher. Au bout de quelques heures, ses jambes et ses pieds la brûlaient d’avoir tant marché. Elle but deux gorgées d’eau de sa gourde.
Je ne sais pas combien de temps je vais rester dans la forêt, il va falloir que je me rationne.
Elle avisa un rocher et ouvrit son sac pour en sortir son sandwich. Elle en prit deux bouchées et le remballa. Elle prit le temps de bien mâcher pour profiter des goûts. Ophélie y avait mis de la mayonnaise, de la salade, quelques tomates et un bout de fromage.
Quand Éléonore rouvrit les yeux, elle remarqua que la nuit commençait à tomber. Elle sentit sa respiration s'accélérer.
Dans quelques heures, je ne verrai plus rien du tout…
Elle regarda la forêt autour d’elle. Éléonore remarqua un tronc d’arbres posé sur plusieurs rochers. Elle s’approcha et vit qu’ils formaient une petite grotte assez grande pour qu’elle puisse s’y faufiler. L’espace était petit, elle devait rester en boule mais elle ne dormirait pas au milieu des arbres de la forêt. Elle s'y installa, son sac serré contre elle. La pénombre s’installa petit à petit. Elle tenta de s’endormir mais elle s'inquiétait trop. Son cœur battait à tout rompre, elle osait à peine respirer. Des questions n’arrêtaient pas de tourner en boucle de son esprit :
Pourquoi Ophélie n’est-elle pas revenue ? A-t-elle remarqué que je n’étais plus derrière elle ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Pourquoi est-ce que je me suis sentie attirée par la forêt ? Pourquoi ai-je pénétré dans la forêt au lieu de redescendre vers la voiture ? Pourquoi est-c…
Ses yeux se fermèrent.
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