Juste un petit meurtre

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Du sang, un corps sans vie, mais qu'avais-je fait ? Qu'est-ce qu'il m'avait pris de le tuer ? Une envie de vengeance ? Certainement, il avait tout fait pour me faire souffrir : il m'avait brisée, fait de moi sa chose, sa bête de foire. Pourtant, je n'eus jamais pensé en arriver jusque-là. Cependant, je commençais à le regretter, bien qu'il le méritait grandement. Cet enfoiré avait tout détruit.

Alors ce fut au cours de cette soirée que la limite fut franchie.

Il devait être aux alentours de vingt heures trente, le calme était trop présent et je me retrouvais seule dans cette grande baraque. J'appréhendais son retour, il devait avoir les dents du fond qui baignent. Et ce, sans hésitation, c'était dans ses habitudes avant de revenir chez nous, enfin dans sa maison, puisqu'il me considérait comme une prostituée lui demandant l'aumône au fil des jours. Une situation telle que je n'étais plus certaine de pouvoir supporter après six années de mariage.

Une routine longue, rude, voire remplie d'inconvénients : chaque jour, réveil à cinq heures du matin avant qu'une première gifle tombe vers six heures, l'heure de son réveil. Ensuite, vers sept heures, ce connard s'en va pour son travail d'ingénieur, me laissant pantelante et seule dans notre chez lui, ses mots me frappant de plein fouets alors qu'il rejoint sa voiture. Vers vingt heures trente, il revenait toujours bourré comme toute la Pologne et encore bien plus violent qu'au matin même.

Et encore une fois, je n'eus pas tort, il rentra beurré comme un quatre quart, ses cheveux roux tombant sur son visage, et le signal pour le repas me tombant comme un coup-de-poing dans le visage.

  • Qu'est-ce que tu attends pour faire le repas, Salope ?! me demanda-t-il en relançant son poing sur mon corps. Hein, qu'est-ce que tu attends ?!
  • Rien. Rien. Je te jure, Bertrand.

Ma voix se brisait instantanément après ses mots, je ne pouvais pas l'affronter plus que cela, alors je pris le peu de force que j'avais et m'enfuis dans la cuisine, le cœur lourd. J'avais besoin de réfléchir, penser à autre chose, me dire que cela se calmera après le dîner, mais jamais cela ne s'était calmé dans le temps, alors pourquoi cela se calmerait ? Des questionnements inutiles à vrai dire, car tout garderait les séquelles d'une routine prolongée.

Prenant soin de poser les carottes dans l'eau bouillante, je me mis par la suite à battre la viande, la battre comme lui me battait, comme lui me faisait du mal. J'aplatissais donc tellement ce morceau de chair animale que Bertrand se permit de m'en faire la remarque, enfonçant ma tête dans cette viande.

  • Tu la trouves assez aplatie maintenant ?! Tu veux me faire bouffer de la semelle ou quoi ?! Hein, tu crois que je suis un petit mangeur ?! Je pourrais te manger à la place pour me débarrasser d'une idiote comme toi !
  • Lâche-moi, tu-tu me fais mal !
  • Oh, je te fais mal ? Ne m'en vois pas désolé.

Sa prise sur mon cuir chevelu se raffermit, écrasant bien plus mon visage sur cette viande abîmée. J'avais mal, je souffrais et personne ne pouvait le voir, ou encore, m'entendre. Je n'étais qu'un agneau dans la gueule du loup. Je n'étais donc plus qu'un amas de poussière dans l'immensité de sa violence. Qu'allais-je donc pouvoir faire pour me sortir de là ?

Tant de chemins s'ouvraient à moi : obtempérer comme je le faisais à chaque fois ou bien enfin me défendre. Malheureusement, la deuxième option était la plus difficile à pouvoir accomplir, car Bertrand était un homme mesurant un mètre quatre-vingt pour cent-cinq kilos. Il était donc assez bien constitué, tout en n'oubliant point le fait qu'il était lui-même policier. Un policier alcoolique, voilà tout ce que cet homme était pour moi, en plus d'être l'homme violent que j'avais aimé et épousé lorsque nous avions seulement dix-neuf ans. Une folie quand j'y repensais.

Sortant ma tête de cette viande, il ne put s'empêcher de recommencer en me cognant cette fois au rebord du plan de travail. Une fois, deux fois, trois fois, et ainsi de suite, avant de s'arrêter au cinquantième coup, mais cela n'était pas encore sur le point de s'arrêter. Non, loin de là.

Sa folle envie de violence se poursuivit une bonne heure, m'empêchant de savoir si tout ce que j'avais entamé comme cuisson était juste. Pourtant, je savais que cela n'en serait pas le cas, l'odeur de brûlé entravant mes sens.

  • Saperlipopette !? Qu'est-ce que j'ai fait au bon dieu pour avoir une femme aussi stupide ? Tu n'es même pas capable de savoir si les carottes sont cuites ! Non, bien évidemment ? Quelle va être ton excuse cette fois, espèce de débile ?!
  • Je.
  • Tu quoi ? Tu vas le dire ?!

Je ne sus pas ce qui me prit sur le moment : une envie de provoquer, une envie de lui rendre la monnaie de sa pièce, ou simplement le résultat de sa folie destructrice déteignant sur moi, quand je lui répondis avec simplicité.

  • Au moins, moi, je ne suis pas roux, chéri.

Sans plus attendre, sa main claqua contre ma joue, sa folie meurtrière lui était revenue, comme une lettre à la poste. Il était donc bien fou, et j'en subissais les conséquences. La douleur qui suivit le craquement de mes os me fit comprendre que j'y passerais certainement ce soir-là. J'allais mourir, sans personne pour me protéger ou même me sortir de là. Personne ne m'aiderait ; j'étais condamnée à le voir me maltraiter, me tuer, tout simplement.

Le sang sur ses mains était le mien, rouge comme une fraise écrasée sur les pieds d'un homme. Il m'envoyait ses poings ainsi que ses pieds sur la presque totalité de mon corps, avant qu'il décide de s'arrêter, me laissant happer l'air avec une difficulté déconcertante. Je devenais une véritable loque, j'allais mourir avant la dernière danse. J'allais le laisser gagner et recommencer ce qu'il faisait, mais cette fois sur une autre femme, et je priais pour que cela n'arrive jamais. Personne, je dis bien personne, ne méritait ce que je subissais. Aucune femme au monde ne devrait vivre cette vie. Aucune ! Alors pourquoi moi, je le subissais ?

Les ricanements sortant de sa bouche me dégoûtaient, me donnaient l'envie de vomir tout le sang qui s'accumulait dans ma bouche. Cependant, cela n'apaisa pas sa folie puisqu'il prit entre ses mains la casserole contenant les carottes qui devaient être totalement bouillies à cause de l'attente. Qu'allait-il faire de cela ? Qu'allait-il vraiment faire ? Mais pourquoi m'inquiétais-je ? Je savais qu'il allait en finir de cette manière.

L'eau bouillante des carottes me tomba sur le visage, me brûlant facilement au premier voir deuxième degré, pourtant, je ne pus me permettre de hurler le sentiment de douleur qui me prenait. J'étais faible, fragile, ainsi que tout ce qui pouvait accompagner cette impression d'impuissance personnelle. Qu'étais-je donc réellement ? Un amas de poussière fraîche après une vie d'espérance ? Certainement. Pouvais-je agir ? Non, pas encore.

Ma douleur lui étant lascive, Bertrand ne put se résoudre à me faire encore bien plus de mal, qu'il ne l'avait déjà fait. Ses gestes durs provoquèrent mes cris. Ses coups me firent pleurer, et surtout, sa voix me faisait trembler. Il connaissait la moindre de mes faiblesses. Il était puissant et je n'étais qu'une ombre à son tableau. Une situation qui faisait déchanter plus d'une personne, cependant, un espoir me vint quand je pus atteindre l'un des couteaux de mon établi, ma poigne sur ce dernier se fit plus forte quand je pus franchir le cou de mon agresseur.

Un premier jet de sang m'atteignit, suivit de bien d'autres. Une sorte de force inconnue m'avait prit de plein fouet, et j'assignais à cet homme, mon mari, tous les coups qu'il m'avait offert pendant ces six ans qui auraient dû être les plus belles de toute mon existence. Je le détruisais comme il m'avait détruite. Je le faisais souffrir comme il l'avait fait avec moi. Je me détendais d'une certaine manière. Oui, je le faisais.

Son corps raide glissa le long de mon corps, ses yeux presque sans vie me suppliant de l'épargner. Je ne pouvais cependant pas le faire. Jamais il ne s'arrêtait quand je le suppliais de m'épargner, alors pourquoi le ferais-je ? Pourquoi ? Pour rien au monde. Le couteau toujours présent dans ma main fut planté dans le cœur de sa jugulaire, il allait crever et je m'en contentais. Qu'il aille en enfer.

  • Chérie.... Je... T'en...Supplie... Saperlipopette....Laisses-moi... en vie.... Je... Je me rachèterai...
  • Crève Bertrand, tu n'as que ce que tu mérites enfoiré.
  • Marie... Je t'en prie...
  • Jamais, terminais-je par dire. Tu vas crever comme une merdre, et je serai libérée de toi.

Ma voix se voulut froide, et je le regardai s'effondrer comme neige pouvait fondre au soleil. Qu'est-ce que cela était gratifiant ! Cette ordure me lâchait enfin. Plus jamais je ne souffrirais, plus jamais je ne serais son esclave. Je serais enfin Marie. Je serais enfin moi-même, rien de plus.

Toutefois après plus d'une heure à le voir si mal, je ne pus m'empêcher de bien constater sa mort, avec le regret de voir que j'étais seule sans lui, que malgré tout ce qu'il me faisait, je l'aimais et qu'il me manquerait. Oui, tout cela, toute cette délivrance pour rien du tout. Qu'avais-je fait ?

J'avais tué l'homme que j'aimais, je n'étais plus rien. Alors dans une folie encore plus grande que celle par laquelle je venais de passer, je pris dans mes mains ensanglantées le téléphone de la maison avant de composer le numéro de la police.

  • Centre d'appel de la Gendarmerie, je vous écoute ? Quelle est votre urgence ?
  • Je vous appelle pour vous signaler un meurtre...
  • Êtes-vous sûre de ce que vous dîtes madame ?
  • Oui, puisque je l'ai commis... J'ai tué mon époux... I-il me battait, et-et...
  • Madame, calmez-vous, je vous prie, signalez-moi votre adresse.
  • 350 Rue Jimmel.
  • Bien, nous vous envoyons une patrouille.

L'appel se termina assez rapidement, toutes les informations avaient été données. Je ne savais plus quoi dire.

Saperlipopette, cette liberté tant désirée était une torture et le sera toujours au fil des années, et ce, dès ce soir. Finalement, bien que cette vision de la vie tant rêvée eût été franchie, la mienne quitta mon corps quand il fut retrouvé mort par les membres de la patrouille de police. Une liberté en prison, n'était-ce ce qu'il y avait de mieux pour une femme comme moi ? Peut-être pas, mais il fallait bien trouver une manière de le faire lâcher prise. Et pour moi, cette solution fut ma seule échappatoire. Mon époux était peut-être mort, mais me savoir entre les mains de la police, me donnait une sensation de sécurité, ainsi que la sensation d'une toute nouvelle vie. Après tout, je n'ai jamais eu le droit de choisir mon destin, mais cette fois, je peux affirmer une chose : toujours faire en sorte que les carottes soient cuites.

Qui sait, une échappatoire peut toujours modifier notre destin.

Pour moi, ce fut ce soir grâce à des carottes trop cuites, comme quoi, avoir un mari modifiant notre manière de cuisiner peut avoir des avantages, et ce, même pour le tuer.

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