Chapitre II
Les yeux du serpent
Les doigts du brun tapotaient frénétiquement sur la surface en bois du bureau, sur lequel s'entassaient des tas de dossiers poussiéreux. La mâchoire crispée, les doigts serrés sur le combiné du téléphone, la patience de Cosme commençait à s'évaporer alors qu'un éclair illuminait la pièce presque totalement plongée dans la pénombre.
— Dis-moi que Varda est avec toi, tenta-t-il pour se rassurer.
— Elle est avec moi, répondit son interlocutrice.
Mensonge. Cela faisait 3 jours qu'il n'avait plus de nouvelle et ce n'était pas le genre de la blonde de disparaitre dans la nature. Cosme frappa du poing sur la table, son interlocutrice était difficile. Non pas qu'elle était stupide, loin de là, mais elle semblait prendre un malin plaisir à le rendre fou et Cosme ne se contentait pas de marcher à ses petits manèges, il courait, littéralement.
— Nell !
— Ne t'énerve pas, c'est toi qui m'as dit de te dire qu'elle était avec moi, reprit-elle avec un air nonchalant. Le brun serra davantage le combiné, avec tellement de force que ses phalanges en devinrent blanches. Il ferma les yeux et pressa l'arrête de son nez entre ses doigts.
— Nell, je ne plaisante pas ! Où est Varda ?
— Je ne sais pas , appuya-t-elle bien sur chaque mot. Je l'ai perdue à la gare. Figure-toi qu'on a été attaqués en descendant du train. Eric est mort.
Cosme pressa l'appareil sur son front avant de le recoller contre son oreille. Il devina le cliquetis d'un briquet que l'on allume. Une sale habitude que Nell avait acquise malgré le fait qu'elle n'ait pas encore atteint la vingtaine.
— Retrouve-la, tu sais qu'elle ne fera pas long feu si elle n'est pas accompagnée d'une faucheuse.
— Oui chef , souffla-t-elle.
Il y eut un court silence. Cosme pouvait entendre son interlocutrice expirer calmement la fumée de sa cigarette comme si de rien était. Pour lui, il était difficile de savoir exactement ce qu'elle pensait au quotidien, bien qu'il en avait la plupart du temps une vague idée, Nell n'était pas du genre à ouvrir son cœur.
— Et toi, est-ce que tu vas bien ? Se risqua-t-il à lui demander.
Pour seule réponse, il obtint un petit rire narquois suivi d'un bip sonore indiquant qu'elle venait de lui raccrocher au nez. Cosme croisa les doigts sous son menton, ses yeux noirs comme une nuit sans étoiles, noyés par les larmes qu'il peinait à retenir, balayèrent la pièce faite d'étagères et de livres en tout genre alors que la pluie fouettait avec violence les carreaux de l'immense fenêtre située juste au-dessus de sa tête.
*
Varda emprunta des escaliers à toute vitesse. Elle traversa un couloir qui lui sembla interminable tout en tentant de forcer l'entrée de chacune des portes qu'elle croisait. En vain, elles étaient toutes verrouillées. La blonde vacilla, s'appuya contre un mur. Sa tête lui tournait. Était-ce à cause de ses yeux qui ne distinguaient plus les couleurs en ce lieu ou à cause de l'odeur de soufre qui lui brûlait la gorge ? Varda plaqua une main sur sa bouche. Elle savait que la chose qu'ils cherchaient était bel et bien dans ce manoir. Ses lèvres se mirent à trembler et ses doigts se crispèrent sur sa veste, à l'endroit où se situait son cœur.
Ce vieux crouton l'avait bien bernée en l'attirant jusqu'ici ! Varda serra les dents, elle qui savait pourtant très bien que les gens comme elle n'étaient pas des héros. Des frissons parcoururent son échine alors qu'elle sentait des regards invisibles peser sur elle, comme si les murs eux-mêmes étaient témoins de son désarroi. La peur la saisit, mais elle refusa de céder à la panique. Elle devait trouver un moyen de s'échapper de cet endroit cauchemardesque, peu importe les obstacles qui se dressaient sur son chemin.
Putain, mais pourquoi j'ai fait ça ?
Soudain, elle entendit un bruit sourd derrière l'une des portes verrouillées. Son cœur battait la chamade alors qu'elle se précipitait vers elle, ignorant la peur qui lui nouait l'estomac et avec un effort désespéré, elle tenta de forcer la porte, ses mains frappant la surface froide avec une urgence croissante.
À sa grande surprise, la porte céda sous ses assauts, s'ouvrant sur un petit cabinet sombre. Sans perdre de temps, Varda s'y engouffra, refermant la porte derrière elle avec un soupir de soulagement. Elle se retrouva dans une pièce étroite, éclairée par une petite fenêtre.
Varda, le souffle court, balaya la pièce du regard, cherchant désespérément une issue. Mais ses espoirs furent rapidement détruits lorsqu'elle réalisa qu'il n'y avait qu'une seule porte, solidement verrouillée comme les autres.
— Fait chier, prononça t-elle a voix basse.
Elle s'effondra sur le sol poussiéreux, la tête entre les mains, submergée par un mélange de frustration et de peur. Combien de temps devrait-elle errer dans ce labyrinthe de cauchemar ? Et où étaient ses camarades, ceux qui étaient censés être à ses côtés ?
Une lueur d'espoir s'alluma dans son esprit alors qu'elle se rappelait l'automate à l'apparence de chauve-souris. Avec un soupir de soulagement, elle sortit l'appareil de sa poche et l'alluma, ses yeux fait de boutons de couture s'illuminèrent dans l'obscurité.
— Guide-moi, murmura-t-elle à l'automate, ses doigts caressant doucement ses contours métalliques. Guide-moi vers la sortie, vers un endroit sûr.
L'automate émit un léger bourdonnement en réponse, ses ailes battant faiblement alors qu'il s'élevait dans les airs. Varda entrouvrit la porte le suivit du regard, le cœur tambourinant d'espoir avant de reprendre sa course. La blonde avança dans le couloir sombre, ses pas résonnant dans le silence oppressant, elle sentit soudainement le sol trembler sous ses pieds. Prise de panique, elle vacilla, cherchant désespérément un soutien pour se stabiliser. Mais avant qu'elle ne puisse réagir, le sol s'effondra sous elle dans un fracas assourdissant. Elle hurla alors qu'elle tombait dans l'abîme noir, son cri étouffé par les ténèbres qui l'engloutissaient. L'air autour d'elle était rempli d'une froideur glaçante, comme si elle avait été aspirée dans les profondeurs de l'enfer. Elle atterrit avec un bruit sourd sur une surface molle et visqueuse, de la poussière noire s'éleva autour d'elle dans un nuage opaque. Son cœur battait si fort qu'il menaçait d'imploser alors qu'elle tentait de se remettre de sa chute, ses sens en alerte maximale alors qu'elle scrutait l'obscurité environnante.
— Il y a quelqu'un ? Appela t-elle. Aidez m...
Et puis elle le vit, éclairer par la faible lueur des petits points de lumière qui flottaient dans l'air. Surgissant de l'ombre, le démon de brume se dressa devant elle, sa silhouette monstrueuse se tordant dans les ténèbres comme une apparition cauchemardesque. Ses yeux brillaient d'une lueur maléfique alors qu'il fixait Varda avec une intensité mortelle.
Les muscles de Varda se tétanisèrent, son souffle se bloquant dans sa gorge alors qu'elle réalisait la gravité de la situation. Elle était seule, piégée dans les entrailles de ce manoir maudit, face à un ennemi terrifiant dont elle ne pourrait pas venir a bout. Le démon rampa lentement vers elle, ses mouvements fluides et sinistres dansant dans les ténèbres. Varda sentit une vague de terreur glaciale la submerger alors qu'elle reculait instinctivement, cherchant désespérément une issue pour échapper a ce cauchemar vivant. Elle aurait dû voir cette brume terrifiante prendre la forme d'un clown aux dents mortellement aiguisées. Elle aurait dû voir sa propre mort se refléter dans les pupilles en spirales de cette abomination. Mais elle préféra fermer les yeux. Varda sentit un souffle glacé sur son visage, l'odeur de soufre s'était mélangée à celle du sang, si elle n'était pas horrifiée, elle aurait vomi.
— Vous pouvez ouvrir les yeux, vous n'êtes plus seule.
Une douce fragrance de fleur d'oranger titilla le nez de Varda, une main posée avec douceur dans son dos. Deux yeux semblables à ceux d'un serpent s'illuminèrent dans la pénombre. Varda entrouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Elle hésita un instant, submergée par la confusion et la méfiance. Elle ne savait pas qui il était ni d'où il venait, mais dans ce monde de ténèbres et de danger, il semblait soudainement être devenu sa seule lueur d'espoir.
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