Chapitre 4 - Dimanche 15 mars
Élections
Je n’irai pas voter. Trop d’histoires dans ma tête pour y glisser un bulletin. Aussi petit soit-il, ça ne rentre pas. Je passe devant l’école et continue mon chemin d’un pas tranquille vers la maison de mon père. Lui non plus ne votera pas, pour d’autres raisons. La vieillesse en est une bonne. Pas d’embrassades, distance de sécurité, le protocole est respecté à la lettre.
Il est confiné depuis de nombreuses années, enfermé dans un corps qui s’accroche aux rampes. Je secoue la tête pour chasser cette vision de ma tête. Ça fonctionne.
Sur le chemin du retour, je croise quelques badauds en promenade. Il fait beau, un vrai dimanche à la campagne sauf que c’est la banlieue. Bref aucun intérêt.
À la maison, il y a un peu plus de vie qu’à l’ordinaire. Je regarde Hugo jouer au basket avec son grand frère. Le chien est visiblement l’arbitre, mais ne connaît pas bien les règles. C’est un joli bordel, le spectacle est plaisant. Dans le salon, ma future ex-femme extermine des bonbons par milliers. Les gestes sont précis, aucun ne lui résiste. La tablette a la gueule remplie de caries, mais ne pipe mot.
Ma fille fait son apparition une tasse à la main. Elle partirait bien à la mer avec moi et sa meilleure amie, malheureusement ses parents ont mis leur veto. Je comprends, si j’avais ce pouvoir en main, j’en aurais usé.
Mon exode organisé prend l’eau de toute part. Fuir d’accord, mais seul non. Sans enfant ni éléphant, je me vois mal marcher seul sur le sable. Tant pis, j’attendrai le prochain tsunami pour me baigner.
Ce soir, la famille est au complet. Il faut en profiter sauf que la télé fait plus de bruit que nous tous réunis. Nous sommes sept, six plus BFM. Plateau-télé devant une soirée électorale contaminée. Le virus est le grand gagnant, c’est à peu près le seul truc qui en ressort. Pour le reste, toujours pas de place dans ma tête. Heureusement, la pizza est bonne.
Il est l’heure de raccompagner Lucas à Paris. Je ne souhaite pas qu’il rentre par les transports en commun. J’ai insisté auprès de lui pour qu’il reste confiné avec nous, mais rien n’y fait. Il veut rentrer dans son studio. J’ai peur, il part. Chacun dans son rôle.
Sur le chemin, je lui repasse en boucle les consignes de bon sens et lui me répond gentiment « oui papa ». Pas bon signe. J’ai peur, on se check.
Arrivé à la maison, je lis le message de Nora, mon éléphant. Elle m’écrit que la France sera bientôt sous couvre-feu avec restrictions de déplacements. Sans doute mardi ou mercredi. Ses sources ont l’air fiables et elle enterre mes derniers espoirs de partir avec elle sur la Côte d’Azur. Pour une fois que ce virus pouvait être utile à quelque chose.
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