Chapitre 11 - Dimanche 22 mars
Dernières fois
La nuit, je l’ai épongée du mieux que j’ai pu. Le somnifère m’a soulagé quelques heures et j’ai repris le relais. Assis dans la cuisine, j’ai du mal à rester droit, le sol m’avale. Pas de courbatures ni fièvre, juste cassé en deux. Mais si on me demande, je veux bien échanger avec Nora. Juste un peu, le temps de la guérir et de dormir.
J’attends que dimanche se pointe avec sa tronche de communiant. Un vrai dimanche, pas comme les six autres qui ont précédé. Calme et reposant. Chiant à souhait, et qui vous épargne un peu.
J’enfile cafés et cigarettes comme un collier de nouilles, toujours dans le même ordre et puis dimanche arrive. Il est neuf heures trente. Nora est réveillée. La technologie me permet de le savoir. Il suffit de voir son statut sur WhatsApp. C’est effrayant, mais ce matin c’est bien pratique.
Une seule question. Comment vas-tu ?
- Bien. Plus de fièvre ni de courbatures.
Ouf. Mille fois ouf. Elle m’a bien niqué ma nuit, mais ce n’est rien au regard du soulagement qui est le mien. Je le savais, je lui dis. « Tu es un putain d’éléphant ». Pas certain d’avoir écrit putain, enfin, l’idée est là. Mon égoïsme me pousse à lui demander si elle souhaite toujours partir. Je me retiens. J’efface la phrase avant d’appuyer sur envoi.
C’est elle qui m’en parle. L’exil, la fuite, elle connaît. À chaque fois ça l’a sauvée. Alors, partons.
Demain nous partirons.
À cet instant précis, tout change. Ce dimanche est une longue liste de dernières fois. C’est redoutable de refermer les tiroirs et les portes. Dernière visite misérable à mon père. Je prends les clés de la maison. Un « Au revoir » presque silencieux avec la honte de ne rien lui dire pour seul baiser.
Je profite de ces dernières heures à la maison pour jouer un peu plus longtemps que d’habitude avec Hugo. Dehors il fait un peu plus froid que ces derniers jours. Je suis gelé, mais les pieds touchent le ballon. Il gagne et rigole. Bien joué champion.
Clément est dans sa chambre, je lui dis quelques mots. Prends soin de toi, je t’appellerai. Des choses futiles et des « Je t’aime ». Les mots semblables pour Manon. Au fond, elle sait qui je suis et je sais qui elle est. Les mots sont plus durs à dire qu’à écrire. Je la serre dans mes bras et redescends dans ma chambre.
Il faut faire ses valises. Le maillot de bain sera inutile, j’en ramasse un malgré tout au fond du placard. Quelques t-shirts et jeans que j’agrémente de chemises histoire d’apparaître moins laid aux yeux de Nora. C’est un chantier, mais je pars aussi pour ça.
Pour l’apéro, j‘ouvre une bouteille de champagne. C’est con et dérisoire. Ma presque-femme aime bien ça, alors pourquoi ne pas lui faire ce plaisir. Ça la radoucit un peu et nous fumons notre dernière cigarette ensemble sous le perron des divorcés. Elle me demande si ça va aller tout seul. Je fais semblant de la rassurer, elle fait semblant de me sourire. Elle est belle dans ce soleil finissant, elle le sera encore sans moi. Elle ne m'aime plus, c'est tout. Demain, elle sera un peu moins confinée.
Dernier repas télévisé. Derniers rires des enfants. Bonne nuit mes amours. Ce soir on s’enlace. Pas de check.
Nora est prête de son côté. Les mêmes valises, les siennes sont plus nombreuses.
- À demain, me dit-elle. Essaye de dormir.
Dernière chimie. Je laisse les boîtes dans le tiroir de la table de nuit. Elles seront inutiles au pays des nuits salines. Bonne nuit.
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