Chapitre 19 - Lundi 30 mars

3 minutes de lecture

Surimpressions

J’ai regagné mes appartements et me réveille au rez-de-chaussée. Personne ne dort à mes côtés. Geste ridicule, je tends quand même ma main vers l’oreiller vide de tête comme pour lui dire bonjour de loin. Réflexe pavlovien auquel je suis habitué depuis quelques mois. La seule différence c’est le destinataire de ce bonjour.

La machine à café a également repris sa place dans la cuisine. Elle n’a pas bien retenu la leçon d’être enfermée dans le garage, elle continue de hurler sous la pression de l’eau brûlante. Il est neuf heures et maintenant tout le monde est au courant.

Elles ne tardent pas à descendre, et c’est toujours le même émerveillement quand elles entrent dans la pièce. Deux pyjamas sur tapis rouge. Il faudrait que j’installe un photocall à l’entrée. Mêmes sourires timides, mais accompagnés d’une main soyeuse au bas de mon dos, le petit-déjeuner est définitivement devenu le repas le plus important de la journée.

Ensuite, le menu s’enchaîne selon un rythme déjà établi. Le confinement est une machine à routines, une rotative qui imprime chaque jour le même journal. Seule la date change et encore, elle est écrite en caractères si fins que j’ai du mal à la lire. Cependant, ce journal me plaît, les nouvelles sont bonnes et la guerre silencieuse. Je n’entends plus le bruit des bombes ni le cri des barbelés. Il faut être sacrément égoïste pour penser cela, mais je dois bien le confesser, la guerre est agréable quand elle est si lointaine.

À midi, nous prenons un verre sur la terrasse. Coca et Perrier. Le vin commence à manquer, les bulles prennent le relais. Légères ou sucrées, elles pétillent jusque dans nos yeux. Les mains aussi sont aériennes, elles se cachent d’Éva et ne patrouillent jamais loin de son cou ou de mon dos. Quelques baisers furtifs s’échappent des soutes, ils explosent humides sur un coin de bouche. Dans ces conditions, l’idée de passer à table ne semble pas évidente malgré l’heure tardive. Éva est là pour nous rappeler que l’heure c’est l’heure et qu’elle a faim. Il n’y a plus de chips dans le bol.

C’est lundi et nous reprenons le chemin de l’école. La maîtresse est dingue, quand ce cirque sera terminé, il n’y aura plus besoin d’écoles à part sans doute les cours de récréation. Je révise mes tables de multiplication et mes conjugaisons. Il y a du boulot, mais je ne désespère pas de passer en CM2. J’ai quelques facilités en Histoire, en Sciences et en Lecture. En dessin je suis nul. Rien à faire. Je bavarde un peu et Nora nous rappelle à l’ordre. Quatre heures. L’heure du goûter et surtout l’heure de se barrer à la maison. « À y’est ».

En fin d’après-midi, Éva est encore dehors. Elle a vidé la moitié du garage et le jardin ressemble de plus en plus à une brocante à ciel ouvert. Je range quelques jouets avec Nora. Elle s’arrête sur le pêle-mêle de photos et son regard croise celui d'une autre femme.

- C’est ta mère ?

- Oui.

- Elle est belle.

- Elle doit avoir ton âge sur la photo.

- C’est drôle, j’ai l’impression de la connaître.

Cette simple phrase me trouble, mais je me tais. Je continue de remettre les jouets dans les cartons éparpillés. Nora fixe une dernière fois les photos pour mieux s’en imprégner avant de m’aider. Il y a une connexion entre elles qui me déstabilise. D’abord ce rêve où toutes les deux apparaissaient, puis cette sensation que ma mère souhaitait me dire quelque chose et maintenant ce regard croisé. Mon esprit cartésien a du mal à établir des relations entre ces trois événements, mais je sais que Nora a des pouvoirs qui me sont inconnus. Je laisse cette idée dans un carton et nous sortons rejoindre Éva dans le jardin.

Après le dîner, Robin accepte de jouer quelques parties de Uno avec nous. Moi, tant que ce n’est pas un Monopoly, ça me va. Nora savoure plus que nul autre ce jeu de cartes. Ce soir, nous ressemblons à une famille. Un peu bancale c’est vrai, malgré tout les chaises tiennent le coup. Je pense que Robin et Éva voient clair dans notre petit jeu, mais il n’est pas l’heure de dévoiler nos cartes.

Annotations

Vous aimez lire Gabriel Benavente ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0