Chapitre 33 - Lundi 13 avril

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Ça va aller

Elle me téléphone dans la matinée. Il fait beau à Paris, un peu plus chaud qu’ici. Les enfants vont bien. Eux aussi ont cherché les œufs. J’ai le droit à une photo. Ils sont tous les trois sur la balancelle, des chocolats dans les mains d’Hugo et le chien fou à leur côté. Ils ont bonne mine. Elle travaille encore sur le site de boutique en ligne. Elle fait du tri dans les affaires et commence quelques cartons pour son futur déménagement. Il faudra que je signe des papiers avant la signature chez le notaire. Nous parlons un peu, elle n’est pas vraiment là, tout comme moi. Je ne sais pas si je vais rentrer dans une maison vide. Quand je suis parti, elle l’était déjà un peu. C’est elle qui raccroche.

La terrasse est pleine. Ils m’attendent tous les trois pour un jeu de société. Robin a repris sa chaise fétiche, la poule aux œufs d’or. Ça lui porte chance, il est largement en tête. Nora le regarde avec ses yeux d’amande. Se regarder c’est déjà se parler. Il en faudra des dés pour qu’ils apprennent à communiquer entre eux. Je suis très mal placé pour leur dire, mais je sors un double cinq, j’avance de dix cases. Éva est troisième, je triche pour la laisser passer devant. Trente minutes plus tard, le podium est le suivant : Robin premier, Éva deuxième et Gabriel troisième. Nora a encore plus truqué les dés que moi. Habile.

À l’heure où le soleil donne rendez-vous à la colline, nous montons faire quelques pas vers le hameau. Nous sommes tous les trois sur ce chemin goudronné, sans autre but que de marcher tranquillement. Éva est notre chien fou. Quelques pas devant nous, puis elle s’arrête et repart en arrière. Le vent frais accompagne ses cheveux. Tout est calme et silencieux. Nous bifurquons sur notre droite, là où le macadam est épuisé, vers un chemin de terre et d’ornières. Nora s’approche, Nora me colle. Elle me prend la main pour la première fois. Je dois avouer que mon cœur de midinette n’est pas insensible au contact de sa main moite. Je vous l’ai dit, sa place est en haut de ce coteau, là où se dressent les palissades des villas insolentes. Nora vient d’officialiser notre histoire devant sa fille, autant dire devant le monde entier et l’univers confiné. Je m’attends à un « oh, les amoureux ! », mais non. Éva ne dit rien. Elle le savait déjà. Elle cueille quelques fleurs chétives sur le bord du chemin et nous regarde amusée. Les fleurs sont pour maman, toujours. Un baiser marque le chemin du retour, il va bientôt faire nuit.

Ce soir Stéphane m’appelle. Sa femme, Nathalie, est atteinte de la covid-19.

Malade depuis quelques jours, elle part aux urgences. Il est loin d’elle, confiné seul dans sa maison de campagne. Elle est infirmière, lui trop fragile pour prendre le risque d’être à son contact. Il a eu raison.

Ce virus revient sans cesse dans nos histoires. Il nous plaque au sol comme ces milliers d’avions. Il déteste le bruit, il est comme le mépris. Toujours à l’affût dans votre dos, sans odeur ni goût. C’est d’ailleurs comme ça qu’il vous invite à sa table. La bouffe est insipide. Après il vous tabasse, vous cuit et vous assèche. Fatigue, fièvre et courbatures comme un cheval trop vieux pour vous regarder. Alors je lui dis que ça va aller. Que dire de plus, l’imagination, elle ne sert pas à grand-chose d’autre qu’à mes crayons. Je suis loin de tout, sur un chemin bien trop parallèle au sien pour pouvoir être utile. Penser à elle, à lui, c’est la seule chose que je peux faire. J’utiliserais bien les pouvoirs chamaniques de Nora, mais je ne sais vraiment pas comment m’y prendre. Je la regarde, assise dans le fauteuil du salon, comme je pourrais regarder Stéphane s’il était devant moi. Elle me sourit comme l’aspirine, je fais de même à Stéphane. « Ça va aller » et je raccroche. Une heure plus tard, il me rappelle. Les urgences ont renvoyé Nathalie chez elle. Un hôpital qui vire une infirmière, par les temps qui courent ce n’est pas courant.

- C’est bon signe tu vois.

- Tu as raison. Ça va aller.

- Ça va aller.

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