Chapitre X

24 minutes de lecture



 Le peu de gens qui m'ont vraiment connu ont tendance à admirer une facette particulière de ma personne. Il ne s'agit pas de mon intelligence, de ma capacité d'adaptation, ma patience ou même ma gentillesse. Non. Ceux qui me connaissent admirent ma tolérance et mon impassibilité. Peu importe la situation, j'arrive à ne rien laisser paraître, à essayer de comprendre, à me plier à toute demande. J'ai toujours eu cette chose en moi, qui s'apparente presque à un don à ce degré, et qui est tout autant une de mes plus grande faiblesse, même si ma mère a essayé maintes fois que l'atrophier. Grâce à cela, je n'ai jamais été confronté à des conflits violents au point d'en venir aux mains, et je réussi à trouver un compromit à chaque fois.

 Le problème avec les êtres humains, c'est qu'ils ont tous des limites. Moi-même, je n'ai pas réussi à barricader les murs que j'avais construit. Leur effondrement à résonné dans tout mon être.

***

  Ma mère est venue me chercher à l'hôpital le soir de l'incident. Dans la voiture, elle n'a cessé de me reprocher ce qu'il m'est arrivé, que c'était de ma faute, que si je n'avais pas oublié mon traitement je n'aurais pas eu à en prendre un nouveau. Nous venons d'arriver et elle me somme d'aller dans ma chambre et de pas en sortir avant l'heure du soupé. Je monte les marches avec lassitude et mélancolie.

 Je m'assoie sur mon lit en fixant le sol. Je ne réfléchis même pas, je ne fais que regarder le sol. Et puis, que puis-je penser après tout cela ? Y a-t-il un sens à tout cela au moins ? Je sens une larme couler sur ma joue, et la sentir m'étonne autant que cela m'attriste. Je pleure ? Pourquoi ? Je sais que je suis affaiblie par les événements, mais de là à pleurer... j'ai pourtant l'habitude de penser que le monde est injuste. Pourquoi suis-je plus affectée que les autres fois ? Peut être parce que le sort s'acharne sur moi.

  Je suis réveillée par des coups dans ma porte. Je me relève sans avoir le souvenir de m'être couchée.

- Numidia !

Je regarde l'horloge qui indique dix heure trente-neuf. Il est tard à mon habitude. Ma mère continue de tambouriner la porte. Je me racle la gorge.

- Oui ?

- Mais que fais-tu !?

- Pardon j'étais endormi.

Je me lève et enlève le verrou de ma porte avec laquelle elle me pousse en l'ouvrant. Elle me saisi par une épaule en me secouant, et mon mal de tête n'apprécie gère.

- Mon Dieu, Numidia ! Tu as vraiment un problème ! Voilà dix minutes que je t'appelle et tu n'ouvres que maintenant ! Je vais demander à ton père d'enlever ce maudit verrou !

- Je dormais, désolée.

- Dire que tu es désolée ne changera pas les choses ! De toute façon je voulais juste te prévenir que je sors. Tu es punie, ne sors de ta chambre que si tu es mal. Compris ?

- Comment... je suis punie, mais pour quelle raison ?

- Ne fais pas l'ignorante !

- Mais je n'ai rien fait ! C'est injuste ! Je suis punie parce que je suis mourante !?

- Tais-toi ! Tu ne sors pas, un point c'est tout ! Je serais de retour d'ici deux heures, peut être trois. Ne sors pas de ta chambre et encore moins de la maison.

Elle tourne les talons et part. J'entends la porte claquer et le verrou à l'entrée se fermer. Je retourne dans ma chambre et m'assoie en tailleur au milieu de la pièce.

 J'inspire et expire plusieurs fois. Mon mal de tête est douloureux, mais je n'ai même pas l'envie de le calmer avec mes médicaments. Je n'ai qu'une seule envie ; hurler, pleurer, me déchaîner. En presque dix-huit ans, j'ai toujours tout fait pour être dans le contrôle permanent et être le plus exemplaire possible. Tout cela pour quoi, pour avoir un cancer, être punie et enfermé ? Avoir l'interdiction de sortir, d'être heureuse, d'avoir des amis, de vivre !? J'en ai assez de tout ça, autant s'ouvrir les veines ici et maintenant si c'est pour subir tout ça durant l'unique année qu'il me reste. Je plante mes ongles dans mes cuisses, des sanglots que je ne peux plus contenir s'échappent, j'ai les yeux fixés dans le vide droit devant moi. Je ferme les yeux, et sans m'en rendre compte je pousse un hurlement qui me déchire de l'intérieur. Je me lève et renverse ma commode, puis je jette ma table de chevet à travers la pièce. J'arrache les draps de mon lits pour les lancer en l'air. J'ouvre mon placard et y retire son contenant qui finit au sol. Je prends ma chaise et avec de l'élan la fracasse contre le mur qui garde des traces. Je frappe la porte à coup de poing avant de l'ouvrir et de descendre. Une fois en bas, je tente de détruite tout ce qu'il y a dans la maison, de préférence les objets les plus cher – c'est-à-dire les deux tiers de la maison. Tout cela en criant, grognant et pleurant. Je déverse toute ma rancœur, toute ma tristesse, toute ma solitude, mon sentiment d'injustice et de rage. Je ne veux plus qu'être une coquille vide, je ne veux être que du néant. Si je dois tant souffrir, alors il vaut mieux que je ne sois qu'un pantin désarticulé sans âmes. J'espère que mon cancer me transformera en légume incapable de comprendre ce qui lui arrive et incapable de vivre sans un respirateur. J'espère être entre la vie et la mort sans conscience et sans émotion. Je veux mourir maintenant, je ne veux pas attendre une année entière, je mourrais de désespoir avant. Si Dieu est clément, qu'il me foudroie en cet instant d'incertitude et de folie !

 Je ne suis plus moi-même. Une entité a pris possession de mon corps, sûrement mon cancer, il m'a retiré tout sens moral. Je sais que je serais punie pour avoir dévasté les deux salons, mais je m'en fiche. Je m'en fous complètement. La satisfaction que je retire à tout détruire en vaux la peine.

- Numidia ? Qu'est-ce que tu fais ?

Alors que je tiens une œuvre d'art d'un artiste connu au dessus de ma tête – étant sur le point de la fracasser au sol –, mon père apparaît, comme par magie. Il devrait être au travail, non ? Il approche doucement, d'un air bienveillant, et mon corps perd toute la force qu'il avait puisé dans mes émotions. Je lâche la sculpture immonde qui se brise au sol et me laisse tomber comme une poupée en chiffon. Je sanglote. Mon père me ramasse et me prend dans ses bras. Il me dit de me calmer en me caressant les cheveux. Je le serre contre moi pour pleurer sur son épaule.

- Pardon papa. Je n'ai pas réussi à tenir. Je ne voulais pas...

- Tout va bien, Numidia. Je comprends. On craque tous un jour.

Je continue de pleurer sur lui, j'ai l'impression que mon corps est indéfiniment rempli de larmes et qu'il ne s'en videra jamais.

  Je suis accroupie en train de ramasser les débris qui jonchent le sol. Le petit salon est vite débarrassé avec l'aide de mon père. Nous n'avons pas échangé un seul mot sauf lorsqu'il a suggéré de tout ranger avant que ma mère ne rentre. Je n'ose rien dire, après ce que j'ai fait je ne devrais pas me permettre de lui parler. Ce que j'ai fait est mal, alors je n'ai pas le droit de dire quoi que ce soit.

 Il se lève et me tend le sac poubelle pour que j'y verse mes déchets. Il est le premier à rompre le silence.

- Ça va mieux ?

Je me contente de hocher la tête, toujours triste. Il pose le sac et glisse sa main sous mon menton pour lever ma tête vers lui.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

- Je ne sais pas. Je pense que c'est un cumul. Et puis maman est venue me réveiller assez sauvagement puis elle m'a dit que j'étais punie... sans me donner aucune raison... ça m'a mis en rage. Désolée.

- Je sais que ta mère n'est pas un exemple de diplomatie ou même de gentillesse, mais je pense qu'elle est dans la même situation que toi.

- C'est faux.

- Si, je t'assure. Elle aime contrôler ce qui est à porté de main, surtout toi. Mais il se trouve qu'elle est tombée sur l'incontrôlable. Elle a pour habitude de régler les problèmes en un claquement de doigts. Il lui suffit de hausser la voix ou de se comporter d'une certaine façon et d'un coup elle tient les rênes, comme par magie. Mais un cancer, ce n'est pas aussi simple, et l'influence qu'il t'apporte non plus.

- L'influence ? Je croirais l'entendre. Ce n'est pas une personne qui essaie de me convaincre, c'est une maladie.

- Une maladie létale, pratiquement incurable. Je ne dis pas qu'il murmure de mauvaises choses à ton oreille, mais le fait qu'il ait un impact considérable sur ta vie t'affecte forcément. Et ne me dis pas le contraire, tu sais très bien que tu commences à te poser des questions qui ne te seraient jamais venues à l'esprit autrement.

Je sais désormais de qui je tiens ma perspicacité. Mon père a le don d'identifier et de relever des choses qui ne sont pas évidentes pour soi-même et de les exposer. J'ai la même faculté.

 Je fronce les sourcils et souffle. Alors ce n'est pas moi qu'elle punie, c'est mon cancer... c'est totalement insensé. Il faudrait qu'elle aille voir un psychologue. Je continue de ramasser les quelques morceaux restants par terre.

- Tu as déjà craqué ?

Mon père se retourne face à ma question déplacée, je n'ai même pas fait attention à ce que je disais, j'aurais dû me taire. Je baisse les yeux, sachant qu'il ne dira rien. Je m'abaisse de nouveau au sol.

- Bien sûr, plusieurs fois même.

Je lève la tête vers lui, surprise par sa réponse. Il me sourit. Il vient vers moi et se penche pour me parler.

- Je peux même te dire que la plupart du temps c'est ta mère qui me fait péter les plombs.

- Vraiment ? Je pensais qu'à force tu n'y faisais plus attention.

- Personne ne peut s'habituer à ta mère. À vrai dire, tu es la seule qui puisse la supporter. Même sa famille a du mal avec son sale caractère. Sa sœur ne lui parle plus depuis des années. Et tes grands-parents ne viennent à la maison que parce qu'ils veulent te voir.

Il sort du petit salon avec son sac et en revient quelques minutes plus tard. Il me fait signe de le suivre dans le grand salon.

 J'avais oublié à quel point mon père était gentil. Ma mère a tout fait pour m'éloigner de lui, elle ne veut pas que je sois faible comme lui je suppose. La dernière fois que nous avons vraiment parlé c'était juste avant mes quinze ans. À ce moment là je suis devenue une femme à l'arrivé de mes premières règles et ma mère a fait le point sur mon éducation. J'ai envie de faire confiance à mon père, mais je ne sais pas si je le peux.

- Papa, tu n'a pas l'air très heureux avec maman. Pourquoi tu restes ?

Il ne lève même pas les yeux vers moi lorsqu'il me répond.

- On ne fait pas toujours ce qu'on souhaite.

- Mais tu pourrais partir, tu le pouvais déjà quand je suis née, avant ma naissance même, alors pourquoi es-tu toujours là ?

- Avant ta naissance tu dis ? dit-il en ayant un sourire triste sur le visage.

Il vient vers moi, je crois voir des larmes dans ses yeux. Il me prend dans ses bras, me serrant fortement. Sa respiration est longue, coupée de légers soubresauts, comme s'il hoquetait, comme lorsque l'on retient ses larmes trop longtemps. Il caresse mes cheveux et mon dos en embrassant le haut de mon crâne.

- Je reste pour toi, Numidia. Parce que tu es la seule chose qui compte à mes yeux.

J'avoue être prise de court. Je ne pensais pas qu'il m'aimait à ce point. Il supporte ma mère et sombre dans la dépression pour sa fille unique, mourante. Aujourd'hui il pourrait s'en aller puisque je vais mourir, mais non. Il reste. Je sens les larmes me monter aux yeux. Je passe mes bras dans son dos pour rejoindre son étreinte. Je dois lui dire.

- Papa... j'ai menti à maman. Je... Je vais mourir l'année prochaine...

Ma voix est brisée. Il me serre plus fort encore. Dans un autre contexte je l'aurai repoussé sous cette étreinte trop forte, mais savoir que je compte vraiment pour quelqu'un... il peut bien m'étouffer de tout son amour, ma mort n'en serait que plus douce.

***

  Demain je retourne à l'internat. J'appréhende mon retour. Premièrement : ils savent, alors leur vision et leur opinion vont-elles changer ? Je ne veux pas que les choses changent. Je veux qu'ils me voient telle que je suis, moi, tout simplement. Deuxièmement : vont-ils encore vouloir de moi dans leur petite bande ? Le fait que j'ai un cancer fait de moi une sorte d'assistée, déjà que le fait d'avoir une santé fragile avait l'air de les déstabiliser, je n'ose imaginer maintenant. Et troisièmement : comment vont-ils réagir en voyant mon hématome à coté de mon œil ? Ce n'était qu'un accident, mais je ne veux pas qu'ils pensent qu'en plus d'être malade je suis incapable de me défendre. Et puis, je l'ai plutôt bien cherché, j'ai quand même dévasté les deux salon et ma chambre.

 On toque à ma porte alors que je fais ma valise. Mon père entre en souriant. Sa main est dans son dos, comme s'il voulait me cacher quelque chose. Il vient vers moi et regarde mon bleu.

- Ça va, tu n'as pas trop mal ?

- Tout va bien, ça a désenflé et il commence à disparaître.

Alors qu'il était violet pourpre avec des nuances de bleus, il est maintenant plutôt bleu-vert avec des tons de jaune. Il va de l'extrémité de mon sourcil à ma pommette.

 Vendredi, quand ma mère est rentrée, elle a tout de suite remarqué qu'il manquait pas mal d'éléments des salons. Et mon père était là plus tôt que prévu – il était revenu du travail pour que je ne reste pas seule – alors elle l'a d'abord accusé lui, et il n'a pas démenti. Je suis sortie de ma chambre pour me dénoncer. Sous la colère, elle a hurlé me traitant de cinglée et autres adjectif signifiant la folie avant de me gifler à coté de la bordure de la cheminée en pierre. Le coin de ma tête s'y est cogné et j'ai tout de suite enflé. Elle a refusé de m'amener à l'hôpital en disant qu'on lui jetterait la pierre alors que c'était essentiellement ma faute. Mon père s'est énervé contre elle et m'a apporté un torchon rempli de glaçon. Malheureusement, ça n'a pas vraiment été utile.

 Mon père grimace en regardant ma blessure mais se remet à sourire en sortant de derrière son dos un sac en plastic contenant une boîte. Je prends le sac et en sors la boîte. J'ai du mal à croire ce que je tiens entre mes mains.

- Tu vas avoir besoin d'un portable pour joindre tes amis le week-end. Et en cas de besoin tu pourras m'appeler sur mon portable. Mais ta mère n'est pas au courant, alors pas un mot.

- Papa... je ne sais pas quoi dire... je ne sais pas si te remercier est utile puisque je ne sais même pas comment me servir d'un téléphone portable.

- Il est dans sa boîte pour faire son effet mais je me suis occupé du plus gros. J'ai réglé la date et l'heure, j'ai aussi entré mon numéro. Si tu veux m'appeler tu tapes le 2, tu peux garder le 1 pour ton petit ami.

- Si seulement j'en avais un.

- Eh bien quand tu en auras un, tu pourras l'y mettre.

- Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai la moindre chance d'avoir un petit ami ?

Il me sourit en caressant ma joue.

- Parce que tu es belle comme un cœur. Je suis même étonné qu'aucun garçon n'ait tenté sa chance.

J'ai envie de lui dire qu'il y en a bien un, mais je ne sais pas si c'est une bonne idée, alors je m'abstiens. Inutile de lui parler de Gorka, et puis je ne pense pas le revoir un jour. Il est sur le point de partir mais fait demi-tour en levant son doigt.

- Au fait, si tu veux passer un week-end à l'internat, appel-moi, je m'occuperais de ta mère. Je suis sûr que c'est beaucoup plus sympa là-bas qu'ici.

- Merci papa.

Il sourit et sort. Je suis heureuse qu'il soit là pour moi. Finalement, j'ai un allié dans cette maison.

***

  J'arrive dans le bâtiment et monte les escaliers jusqu'à mon étage avant de marcher jusqu'à ma porte. Je sors les clefs de la chambre de mon sac. Je prends une grande inspiration avant d'insérer la clef. J'appréhende vraiment. J'ai tellement peur de la réaction des autres. Ils doivent tous déjà être au courant. Je me décide enfin à tourner la clef mais au moment où je veux ouvrir la porte, j'entends des rires venant des escaliers.

- Tu vas arrêter, oui ! Sale obsédé !

C'est la voix de Nesta. J'en reste figée sur place.

- Obsédée toi-même, t'en as redemandé hier soir !

- Chut ! On pourrait nous entendre.

- C'est pas grave, tout le monde sait que je suis super bon au lit.

- Mais tais-toi idiot !

- Idiot ? Tu vas voir si je suis un idiot !

J'entends Nesta pousser un cri avant de se remettre à rire. Ses pas accélèrent le rythme, elle cours dans les escaliers. Elle arrive dans mon champ de vision, mais avant qu'elle ne me voit Ekin arrive dans son dos pour l'attraper et la soulever du sol. Il la repose, la plaque contre le mur avant de l'embrasser passionnément.

 Donc, il sont de nouveau ensemble, c'est super ! Mais je me serais bien passé du baiser, c'est assez gênant comme situation, surtout qu'ils ne m'ont pas encore vu. Leurs lèvres s'écartent puis ils échangent un regard appuyé. Elle lui sourit.

- Je t'aime ma biche.

- Arrête, tu sais que j'aime pas que tu m'appelles ''ma biche''.

- Mais j'adore la viande, et j'adore te manger toute crue !

Il se met à embrasser son cou puis à le mordiller. Ok, cette scène devient beaucoup trop intime, je dois rentrer dans la chambre. J'essaie de rentrer le plus vite possible, mais je fais trop de bruit.

- Numidia ?

Je referme la porte derrière moi. J'avais peur de leur réaction, maintenant je me sens super mal de les avoir espionné, je fais tout de travers décidément. J'ouvre ma valise et range mes affaires pour me changer les idées, mais la porte s'ouvre, je vois la tête de Nesta entrer dans la pièce.

- Pardon, je savais pas à quelle heure tu allais venir alors j'ai voulu arriver avant toi mais Ekin m'a retenu et après il a insisté pour me raccompagner... Toute une histoire quoi.

Je la vois sourire béatement. Elle semble heureuse, c'est l'essentiel. Je lui souris et continue ma tâche actuelle.

- Oh, ne t'en fais pas. Je suis contente pour vous, le principal c'est que vous soyez heureux ensemble. C'est juste que je ne m'attendais pas à voir une scène pareille en me levant ce matin.

Elle rit doucement et s'assoie sur son lit. Je la vois me dévisager, et ça me gêne. Je savais que mon cancer allait être un problème. Je relève la tête et hausse les épaules.

- Nesta, pour ce qui s'est passé jeudi, il est inutile d'être différente avec moi. Je veux juste avoir une vie le plus normal possible, même si je risque d'avoir quelques soucis. Alors, s'il te plaît, ne me regarde pas de cette manière.

- Quoi ? Non ! Je sais très bien que ton cancer ne change rien vis à vis de notre relation. Qu'est-ce que tu as au visage ?

Immédiatement, je cache mon visage abîmé. Je baisse la tête. Je suis rassurée que mon cancer ne la gêne pas, mais mon visage... j'aurais dû emprunter le fond de teint de ma mère.

 Nesta s'approche puis prend mon visage entre ses mains. Elle effleure mon hématome et je grimace. Elle me fait les gros yeux.

- C'est un accident... ma mère...

- Elle t'a frappé !?

- Non ! Enfin... pas exactement, en me giflant elle m'a fait perdre mon équilibre et je me suis cognée à la cheminée.

- Donc elle t'a frappé !

- C'était mérité.

- Un enfant ne mérite jamais une gifle de la part de ses parents, jamais.

- J'ai dévasté les deux salons et ma chambre parce qu'elle avait été injuste avec moi.

- Pas étonnant que tu ais voulu tout casser. Ta mère n'a pas l'air d'être une personne charitable naturellement, alors si elle est injuste sachant que tu as un cancer incurable... à ta place je n'aurais pas touché à ses affaires, je me serais jetée sur elle pour lui arracher les cheveux ! Je ne la connais même pas et pourtant je déteste ta mère !

Je me mets à rire, la première fois depuis quatre jours. Ça fait du bien. Je lui souris et elle me prend dans ses bras. Je la repousse gentiment en grimaçant. Elle semble interloquée.

- Excuse-moi, Nesta, mais tu portes l'odeur de Ekin.

Elle se met à rire.

- Il faut que je te raconte ce qu'il s'est passé depuis jeudi.

  Le temps que nous allions à la cafétéria prendre notre petit déjeuner, Nesta me fait un rapide bilan de la fin de semaine. Après mon départ pour l'hôpital, elle et Learth sont retournés en philosophie, mais Nesta se sentait trop mal pour rester en cours, alors M. Moreau lui a permis de quitter la salle. Elle n'est pas retournée en cours de la journée. Le soir même, elle est allée dans la chambre des filles pour leur parler de ce qu'il s'était passé, elle ne voulait pas rester seule. Et aucune d'entre elles n'est allée en cours vendredi, elle sont restées dans la chambre de Heinesy et de Hely. Ekin est arrivé vers neuf heure pour voir si Nesta allait bien – puisqu'il avait été mis au courant, lui et Mano, par Learth. Elle lui a carrément sauté dans les bras pour pleurer. Et puis samedi les filles sont rentrées chez elle, donc elle est allée chez Ekin pour tout le week-end.

 Nous arrivons à la cafétéria où je suis abordée par les filles dans la seconde. Elles me posent milles questions à la fois et je n'en comprends pas une seule. Je me mets à rire. Ça fait du bien de revenir ici.

- Calmez-vous ! Je vais bien. dis-je en souriant.

- Putain, tu nous as foutue la pétoche avec tes conneries ! Et Nesta était dans un état, j't'en parle même pas. pousse Heinesy, les yeux immenses.

- C'est clair ! On était super inquiète pour toi, et les mecs aussi ! annonce Hely.

- Les garçon ? Pourquoi étaient-ils inquiets ? je demande, assez étonnée.

- Ça t'étonne à ce point ? Même si ce sont des idiots, ils se soucient de toi. me dit Nesta.

- Mais ils me connaissent si peu.

- Ce n'est pas une raison, ils savent qu'on tient à toi, ça leur suffit pour se préoccuper de toi.

Je suis plutôt flattée, je sais que je dis ça à chaque fois mais je ne pensais vraiment pas être le soucis de qui que ce soit.

 Nous nous asseyons à la table des filles après avoir pris de quoi manger. J'explique aux filles ce qu'il m'est arrivée chez moi – en faisant abstraction des faits nouveaux concernant ma longévité –, particulièrement du massacre des salons et de ma chambre et explique par la même occasion la présence de mon hématome. Elles semblent assez choquées par la réaction de ma mère, mais même s'il est vrai qu'elle a un peu abusé, je ne peux pas dire qu'elle a eu tort. Je l'ai mérité après tout, après avoir détruit plusieurs milliers d'euros d'objets. J'en viens donc à mon nouveau téléphone et Hely me l'arrache des mains en souriant et en me disant « Je vais te mettre le numéro de tout le monde ». Sa réaction me choque autant qu'elle m'amuse.

 Une fois mon récit fini, je me tourne vers Nesta qui n'a pas dit un mot. Je me demande si les filles sont au courant. Elle a peut être honte d'être retournée avec Ekin. J'essaie d'amener le sujet sur la table avec subtilité, mais je n'ai jamais été très subtile.

- Et vous, votre week-end ? Nesta, qu'as-tu fait toi ?

Elle rougit immédiatement. Hely et Heinesy le remarquent dans l'instant et se redressent, les yeux ronds d'amusement.

- C'est vrai Nesta, dit Heinesy malicieusement. Tu disais que tu voulais pas rester seule, t'es allé chez qui ?

- Ça vous regarde pas !

Elle rit à moitié, elle se trahit toute seule, elle est si mignonne. Heinesy insiste.

- Lequel des deux pouilleux, le grand con ou le merdeux ?

- Parce que tu crois que je suis désespérée à ce point ? Genre je suis si triste et seule que je vais dormir chez mon ex !

- Et pourquoi pas chez ton pote... ah oui, c'est vrai, t'attends que ça que ton ex te saute dessus !

- Mais non !

- Aller, tu peux nous le dire ! De toute façon tu te grilles toute seule et en plus l'autre abruti va être tellement heureux qu'il va pas hésiter à te rouler des galoches devant tout le monde alors...

Nesta se lève de sa chaise et se penche sur la table pour approcher son visage de celui de Heinesy.

- Bon, ok, j'ai passé le week-end chez lui et on s'est remis ensemble, ça te va !?

Elle se met à pleurer de rire. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Heinesy lui fait un bisou sur le nez et Nesta se rassoie sur sa chaise en souriant.

- Et comment vous en êtes venu à vous ''remettre ensemble'' ? demande Hely.

- Je suis ravie que tu poses la question. Il a proposé que je vienne passer au moins la nuit du vendredi au samedi chez lui. D'abord je l'ai traité de sale pervers mais il a dit que ça lui faisait mal de me savoir seule à broyer du noir. Du coup j'ai accepté et je suis allée chez lui. On a parlé de tout et de rien, et quand je lui ai dit que j'étais fatiguée il m'a dit de dormir dans le lit et qu'il occuperait le canapé. Et quand j'étais sur le point d'aller dans sa chambre me coucher, il a dit qu'il était désolé pour tout. Il m'a presque fait craqué, mais j'ai tenu bon ! Mais j'arrivais pas à dormir donc vers minuit je me suis levée pour le rejoindre, je me suis blottie contre lui. Il m'a pris dans ses bras en me câlinant, puis on s'est embrassés. Après ça on a commencé à...

- STOP ! Je veux pas en savoir plus ! cri Heinesy en levant les mains vers Nesta.

- Moi je voulais connaître les détails ! proteste Hely.

- J'ai beau être contente pour vous, je suis du même avis que Heinesy pour le coup. dis-je.

Nesta se met à rire et me prend dans ses bras.

***

  Nous arrivons devant la salle d'histoire-géographie, la première chose que je vois c'est Learth venir vers nous, cela m'interpelle puisque d'habitude c'est nous qui venons vers lui. Nesta est sur le point de lui dire bonjour, mais il vient vers moi et attrape mon visage. J'ai l'impression que mon cœur va me lâcher quand il approche son visage du miens, je vois du coin de l'œil Nesta avoir la même réaction que moi en figeant son visage et agrandissant ses yeux. Mais il ne fait que regarder mon œil. Il regarde mon hématome.

- Tu t'es cognée quelque part ?

Nesta part en un fou rire incontrôlable et aigu. J'ai toujours le souffle suspendu.

- En me giflant ma mère m'a poussé contre la cheminée.

Il hausse les sourcils et ouvre grand ses yeux, choqué à son tour.

- Parce qu'elle te gifle en plus cette vieille peau ? J'espère que tu lui en as retourné une.

Il me relâche, je reste étourdi face à son geste, mais je me reprends autant que je le peux.

- J'ai détruit ses deux salons dans un moment de rage, je n'avais pas intérêt à lui rendre son geste.

- La pauvre, elle n'a plus qu'à lire ses magasines de mode et sa bible dans son troisième salon ou dans sa chambre de cinquante mètre carré. Je la plains profondément.

Je vois qu'il a bien cerné ma classe social, quoi que je vois bien ma mère se plaindre de ne plus pouvoir faire ce qui lui plaît dans les salons alors qu'il y a trois pièces inoccupées dans la maison. Je me mets à rire. Nesta pose sa main sur l'épaule de son ami, toujours en riant. Il la regarde en haut en bas.

- Pourquoi tu te marres toi ?

- La façon dont tu es venu vers Numidia, j'ai presque cru que tu allais l'embrasser !

- Ça va, je suis peut être un mec mais j'ai un minimum d'éducation. J'embrasse que s'il y a consentement.

- Ah, parce que si elle veut t'embrasser tu te laisses faire ?

- Je me laisse toujours faire par les jolies filles.

Il me sourit et retourne devant la salle. En voyant mon visage devenir écarlate, Nesta se remet à rire. Je ne peux retenir mon sourire. Je sais qu'il ne dit une chose pareil que pour me taquiner, mais je n'y peux rien je suis quand même flattée.

- C'est ça dont je te parlais, il aime bien faire son numéro. D'ailleurs c'est un point commun qu'il a avec Gorka.

Elle nomme ce dernier en grimaçant. Je regarde mon nouveau téléphone et en allant dans le répertoire j'y voit le nom de Gorka suivit d'un cœur. Venant de Hely, ça ne m'étonne même pas. Je vais quand même demander à Nesta d'enlever le cœur.

***

  Il est bientôt l'heure du cours de sport, avec les filles nous sommes allées dans le gymnase pour le cours de handball où nous retrouvons Learth avec Ekin. En nous voyant, ce dernier se jette sur Nesta pour la soulever du sol et la serrer contre lui. Il la repose au sol et l'embrasse fort. Je souris en les voyant, et au loin une autre personne attire mon attention : Zakia, les observant, verte de jalousie. Elle retourne dans les vestiaires, j'y vais aussi sans savoir pourquoi.

 Une fois à l'intérieur, je la vois en train de se changer en silence autour des autres filles dans la pièce. Je pose mon sac à coté du sien.

- C'est si horrible que ça ?

Elle lève des yeux furibonds vers moi. Elle arbore un regard à la fois méfiant et énervé.

- Quoi ?

- Je te demande ce que tu éprouves. Savoir que tout le mal que tu as fait est vain. Tu as perdu le peu que tu avais gagné dans cette histoire. J'espère au moins que tu t'en es satisfaite le temps que ça à duré.

Je reprends mon sac et alors que je m'apprête à sortir, je me fais tirer en arrière par le col de ma veste. Je tombe en arrière, j'en reste un peu sonnée mais me reprends comme je le peux. Zakia m'envoie une bouteille de déodorant au visage que je parviens à dévier de mon bras à la dernière seconde. Elle attrape une poignée de mes cheveux et les tire. Je griffe son bras pour qu'elle me lâche.

- De quel droit tu me juges, sale pute !

D'un coup elle part à son tour en arrière et tombe. Elle est tout de suite soulevée par le bras. Zakia a à peine le temps de comprendre ce qui se passe que Heinesy lui flanque son poing sur le visage, si fort qu'elle en tombe. Je vois Hely me tendre sa main pour m'aider à me relever tandis que Heinesy secoue sa main.

- Putain, je rêve de lui coller une patate depuis tellement longtemps ! Merci Numidia !

- Non, c'est à moi de te remercier. J'étais mal partie dans cette situation.

- Heureusement qu'on t'a suivie, me dit Hely. On t'a vu aller dans les vestiaires juste après Zakia alors on voulait savoir ce que tu lui voulais.

- Vous avez bien fait. Je n'ai pas réfléchis lorsque je l'ai suivi.

Zakia se relève, la main sur son nez duquel coule abondamment du sang le long de son visage jusqu'à son menton où il tombe sur le sol par gouttelettes. Elle se relève, son soutien-gorge gris et le haut de son jean imbibé d'hémoglobine, les yeux humides et pleins de rage.

- Cette salope de rouquine m'a pété le nez !

Elle me fixe avant de courir hors du vestiaire avec ses affaires dans sa main libre. Heinesy me sourit en haussant les épaules.

- Je vais sûrement avoir une heure de colle... ça en valait le coup !

Elle se met à rire doucement lorsque Hely éclate littéralement et me tenant par l'épaule. Je sens mon corps se secouer d'amusement, alors que cette scène semble chaotique, mais il s'agit de Zakia alors j'ai du mal à compatir.

 Nesta entre dans le vestiaire, les yeux ronds. Elle voit le sang sur le sol et mes cheveux décoiffés. Ses yeux s'arrêtent finalement sur la main de Heinesy, rougit par le choc contre le visage de Zakia. Je vois les yeux de Nesta s'adoucir et la commissure de ses lèvres se soulever en imaginant la scène.

- Knight ! Viens ici tout de suite !

Entendre le professeur de sport hurler le nom de famille de Heinesy ne fait qu'accentuer notre amusement. J'ai presque du mal à me soucier du ''mal'' que je fais en riant de cette situation.

Annotations

Vous aimez lire Nik'talope Ka Oh ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0