La tombée du jour tout autant que la faim éveillèrent la bête. Dans un grognement, elle se retourna, puis de nouveau, avant de pousser un râle énervé en s'agitant en tous sens. Quelques instants plus tard, elle se redressait enfin, baîllant à s'en rompre la mâchoire, langue sortie. Un peu de bave dégoulina sur elle, mais si elle s'en rendit compte, elle ne parut pas s'en soucier. Elle s'étira en douceur, faisant rouler ses articulations, réveillant ses muscles en s'ébrouant pendant quelques secondes.

 L'animal quitta sa tanière à pas lents. Il guettait le moindre mouvement, conscient d'être le plus vulnérable à ce moment-là. La prudence était nécessaire. Mais tout était calme autour de lui, aucun bruit notable, aucun mouvement. Il était seul. Plissant les yeux, il regarda le ciel pendant quelques instants, contemplant le ciel pourpre et l'astre brûlant, au loin, qui disparaissait derrière l'horizon. Il baîlla de nouveau, dévoilant sa dentition. Son estomac grondait, maintenant.

 L'écho d'un bruit le mit aussitôt en alerte. Raide, le corps tendu, la bête attendit, immobile. Au bout d'une longue minute d'attente, elle tourna avec une lenteur infinie dans la direction supposée du bruit. La créature parut se concentrer, yeux plissés. Et de nouveau, au loin, un autre bruit. Elle s'agita, faillit se mettre en branle, s'arrêta. Elle hésitait sur la marche à suivre, manifestement.

 Son estomac gronda, si fort qu'il troubla la quiétude des lieux. L'animal poussa un nouveau grognement, mélange de frustration et de gêne. D'un pas lent et mesuré, il finit par se mettre en route en direction du bruit. À chaque fois qu'il touchait le sol, c'était avec une délicatesse exquise, tant et si bien qu'il progressait telle une ombre, sans un bruit, à moitié recourbé sur lui-même. Et au fur et à mesure qu'il avançait, le bruit devenait plus distinct, plus identifiable.

 La bête s'arrêta un instant. Elle renifla plusieurs fois, surprise. Une odeur venait de la frapper. Elle parut pensive, comme si elle réfléchissait à quelque chose. Après quelques instants à tenir la tête levée, elle reprit sa route, la faim la poussant de l'avant. La chasse était lancée.

 Bien rapidement, la créature arriva en vue de sa cible. Celle-ci était complèment obnubilée par autre chose, précisément ce qui dégageait le fumet alléchant qui avait amené l'animal jusque-là. Il guetta pendant un long moment, s'assurant d'être toujours aussi invisible. Mais sa proie était affairée, et n'avait d'yeux que pour sa propre nourriture. Il se retint avec une grande difficulté de bondir tout de suite. Non, plutôt, il contina sa progression, guettant le moment opportun…

 Sa proie détourna la tête un peu plus de sa direction, agrippant quelque chose.

 C'était maintenant ou jamais.

 Il surgit d'un coup.

 « Qu'est-ce qu'on mange ?

Nom de Dieu ! »

 Le cuisinier sursauta tout en poussant son juron, terrifié. Il en laissa tomber sa spatule dans le plat et pesta pour la récupérer, trempée de sauce qu'elle était.

 « Bien joué, bien joué.

Huhu, merci.

Je présume que la nuit était bien, pour être resté toute journée dans ta tanière à roupiller ?

Ouais. C'était cool.

Tant mieux. Bon, Alex, sois un ange et mets la table.

D'accord. On mange quoi, papa ?

Tu le vois très bien : des spaghettis bolo. Allez, on mange dans cinq minutes.

Hmmm. Je salive d'avance.

Je vois ça, t'as de la bave sur le menton.

Hm ? Oh, oups.

Vraiment, parfois, t'es qu'un animal, hein. »

 Alex eut un petit sourire carnassier.

 « Je sais, oui. »