11 - Cruel

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 Il était une fois, dans un pays lointain et oublié…

 Par delà les déserts rouges et les dunes rondes, les falaises de granit et les canyons labyrinthiques, les forêts d'émeraude luxuriantes et les sous-bois mystérieux, les plaines dorées et leur ciel vide…

 Un lieu secret, perdu.

 Dans cet endroit, qui était parfois une caverne aux reflets irisés, parfois le sommet isolé d'une montagne, parfois une oasis aux reflets changeants, parfois un marais silencieux, se trouvait un génie.

 Beaucoup avaient entendu parler du génie, et tous savaient qu'il exauçait les souhaits. Nombreux sont ceux qui partirent à sa recherche. Presque aussi nombreux furent ceux qui se perdirent en route, ou abandonnèrernt leur quête, désespérés après des années infructueuses. Rares, oui, bien rares étaient ceux qui trouvaient le génie.

 Le génie accueillait toujours ses invités solitaires – car seule une personne pouvait le trouver – de la même manière.

 « Bienvenue à toi, voyageur. Demande, et j'exaucerai. Mais prends bien garde : tu n'as droit qu'à un vœu, et en aucun cas tu ne pourras le changer. »

 Puis il se taisait, ne répondant à aucune question, n'attendant que le souhait de son visiteur en silence, patient, jusqu'à ce que ce dernier se décide enfin. Alors, chacun exprimait son vœu le plus cher, ou ce qu'il pensait l'être, et, dans un tourbillon de magie, le génie disait :

 « Que la réalité s'accorde à ta volonté. »

 Puis il disparaissait, et ne restait que le voyageur, qui rentrait chez lui, heureux et satisfait.

 Jusqu'à ce qu'il découvre la nouvelle réalité à laquelle il était désormais confronté.

 Car le génie était maléfique, et, vil et mesquin, punissait les désirs de chacun.

 Ainsi, le premier qui trouva le génie souhaita la jeunesse éternelle. Elle lui fut accordée, mais en échange, il découvrit le prix d'une telle immortalité : condamné à ne jamais vieillir, chacun de ceux qu'il aimait voyait l'âge le rattraper avant de disparaître. Pire, nombreux étaient ceux qui lui en voulaient pour sa jouvence, et au bout de quelques années à rester en un point, il finissait inéluctablement par s'en aller, plutôt que de devenir un paria, voire d'être condamné à mort – mort que son souhait lui refusait, le ramenant à la vie de nouveau, toujours aussi jeune, sa mémoire encore vive de toutes les souffrances que son décès et sa résurrection avaient causées. Il erra de par le monde, à jamais seul.

 Une autre, pauvre enfant ayant subi des atrocités durant toute sa vie, souhaita la mort de tous ceux qui lui avaient causé du tort, et le même sort sur tous ceux qui s'y risqueraient à nouveau. Lorsqu'elle rentra chez elle, toutes les personnes qu'elle connaissait ou presque étaient mortes et enterrées, son souhait ne spécifiant pas la nature même du tort qu'elle avait causé. La moindre petite infraction à son égard, aussi minime que soit l'affront, était récompensé par la même peine : la mort. Lorsqu'elle se rendit compte de l'horreur qu'elle venait d'infliger, et en particulier de s'infliger à elle-même, son souhait s'exauça de nouveau et elle s'effondra, sans vie.

 Cellui qui vint au génie avec des rêves de cupidité ne fut pas mieux loti. Iel souhaita la richesse, et elle fut donnée, sous la forme de montagnes d'or, de bijoux, de parfums, de tapis, plus encore. Mais iel était au milieu du désert, seul, et sans personne pour l'aider, iel finit par mourir de soif, traînant derrière lui un sac rempli de trésors sans plus de valeur pour ellui.

 Vint celle qui souhaita revoir son défunt mari.

 Il revint sous la forme d'un mort-vivant, une goule, et il la maudit pour cela avant de se jeter dans un brasier : elle préféra le suivre plutôt que de porter sa culpabilité plus longtemps.

 Puis celui qui désirait l'amour à tout prix.

 Les gens s'entre-tuèrent pour son attention, l'un finit même par le capturer, l'enfermer puis le garder jalousement, loin du monde, où nul autre que lui ne pourrait l'admirer.

 Il y eut celui qui souhaitait la gloire. Celle qui voulait guérir celle qu'elle aimait et qui se mourrait. L'enfant des rues qui ne voulait plus jamais avoir faim. Le prince qui souhaitait reconquérir son trône.

 Tous regrettèrent amèrement leur souhait.

 Alors, lentement, les voyageurs cessèrent d'aller trouver le génie. Même ceux qui pensaient se jouer du génie se firent une raison. Le risque n'en valait pas la peine.

 Le temps passa. Le pays disparut. D'autres suivirent, et les histoires devinrent légendes, mythes, folklore, furent perdues, oubliées, mélangées, racontées à nouveau. Les siècles se suivirent, encore et encore.

Et puis, un jour, quelqu'un retrouva le lieu secret.

 C'était une caverne, cette fois-ci. Au milieu de nulle part, cachée qui plus est. Mais le jeune homme la trouva tout de même, presque par hasard. Il avança à pas prudents, dressant haut la lumière qu'il avait amené avec lui.

 Alors, dans un tourbillon de magie, le génie apparut. Dressé devant le frêle et jeune humain, il dit :

 « Bienvenue à toi, voyageur. Demande, et j'exaucerai. Mais prends bien garde : tu n'as droit qu'à un vœu, et en aucun cas tu ne pourras le changer. »

 Le voyageur hocha la tête sans rien dire.

 Puis il s'assit et attendit.

 Un long silence s'installa. Les minutes s'égrénèrent, et le génie, patient, laissa le temps de réflexion nécessaire à son visiteur. Il n'était contraint d'apparaître que lorsqu'un humain venait en ces lieux. De fait, il ne pouvait repartir tant que celui-ci ne s'était pas exaucé.

 Mais le visiteur restait silencieux, comme en transe. Une heure passa. Puis une autre. Et encore une autre. Le génie finit par montrer un peu d'agacement devant cet être mutique – il savait qu'il vivait encore, car s'il mourait, il pourrait retourner de là où il venait, libéré enfin de cette tâche ingrate et injuste à laquelle on l'avait puni pour sa cruauté. Il se vengeait comme il le pouvait, refusant le châtiment et s'en moquant même.

 Mais l'homme face à lui ne disait rien.

 « Voyageur, parle ! Demande, et j'exaucerai. »

 Mais le voyageur ne dit rien. Énervé, le génie cria de colère :

 « Parle ! Fais ton souhait ! Es-tu muet ? Communique de quelque façon, et je t'exaucerai, te dis-je ! Je sais que tu me comprends ! »

 Mais l'homme, pour toute réponse, releva simplemant la tête. Ce fut alors que le génie l'examina vraiment, et comprit l'horreur de sa situation.

 Ce visage, jeune, doux, à la peau lisse, épargné par les années. Mais ce regard, si vieux, ancien, les yeux de quelqu'un ayant vécu bien plus que ne le laissait dire son âge apparent…

 Et ce sourire, si cruel.

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