13 - Guarded

7 minutes de lecture

 Il progressait dans les méandres labyrinthiques, avançant à tâtons. Non pas qu'il ne connaissait pas la route : il savait parfaitement où il se rendait. Mais ceux qui résidaient en ces lieux n'apprécieraient pas du tout qu'un intrus se balade par ici. Il avait déjà croisé des gardes, mais fort heureusement, ils étaient peu dans ces coins obscurs et peu usités, et il savait passé inaperçu.

 Guidé par son instinct, comme tiré par un fil invisible, il se frayait un chemin dans ce dédale abandonné. Enfin, pas tout à fait. Les murs résonnaient de vie, mais ce n'était qu'un écho lointain, presque inaudible parfois. Cela faisait longtemps que plus personne ne passait ici. Seuls les gardes, féroces, passaient encore, s'assurant que nul autre ne vienne en ces lieux pour y faire des dégâts.

 Car c'étaient des ruines. Ruines d'anciennes batailles, blessures secrètes, guerres lointaines. Il n'était qu'un visiteur ici. Il ne comprenait pas ce qu'il voyait, pas tout à fait. Cependant, les signes ne trompaient pas. Presque avec douceur, il effleura l'une de ces béances. Il ressentit presque comme un frémissement, et il se retira tout aussi vite, inquiet. Au loin, il pressentit la venue d'un garde, et il obliqua pour trouver une nouvelle voie vers la sortie, et par-delà, son but.

 Quelque temps plus tard, il y était. Bientôt son but ultime, à un éclair de là.

 Seul problème, quelqu'un lui barrait la route.

 Celui-là, aucune chance qu'il ne bouge de là. Et son attention était trop parfaite. Ne restait qu'un seul moyen…

 Confiant, il s'avança, et se posta droit devant le garde. Celui-ci le regarda en faisant des gros yeux.

 « Mais… Qu'est-ce que vous faites là ?!

  • Une excellente question ! Qu'est-ce que je fais là ?
  • C'est ce que je vous demande !
  • Mais moi aussi ! Je ne devrais pas être là !
  • Mais… Je sais bien !
  • Je devrais être ailleurs !
  • … Oui ! Pas ici, en tous les cas ! Ce n'est pas votre place !
  • C'est donc pour cela que je m'en vais. Si vous voulez bien me laisser passer…
  • Euh… oui, bien sûr, c'est logique… »

 Il fallut un instant, très bref, mais c'était déjà trop tard.

 « Eh mais non, attendez, vous ne pouvez pas aller par là ! C'est interdit ! Vous n'avez pas le droit je vous dis ! »

 Le garde lui courait après, hurlant ses ordres, mais il ne l'écoutait pas. Tout n'était que son but. Sans réfléchir une seule seconde, il sauta. Celui qui le poursuivait s'arrêta, considéra la chose un instant, et haussa les épaules avant de retourner à son poste. Cela ne le concernait plus, maintenant que l'intrus avait pénétré le réseau grande vitesse. De toute façon, il ne trouverait que la déception au bout de sa route.

 À moins qu'il ne soit éliminé avant, tout simplement.

*

 Il sortit du réeau tout chamboulé, mais intact. Il était proche, maintenant. Le bruit de tambour, lointain, régulier, était un signe clair. Ce qui était en revanche inattendu, c'était l'état des alentours.

 Tout paraissait… mort.

 Enfin, pas vraiment. Endormi, plutôt. Il avança, et se remémora les traces de batailles, là-haut. Ici, dans les profondeurs, c'étaient les mêmes qu'il voyait, sur les murs, le sol, partout. Des coupures, des déchirures, brisures encore et encore. À chacun de ses pas, il sentait presque la souffrance des lieux en réponse. Toutefois, quelque chose le chagrinait : tout ceci était ancien. Or, même si les séquelles auraient dû rester, elles auraient dû guérir, depuis, recouvertes naturellement.

 Mais l'on n'avait pas permis une telle chose.

 C'est alors qu'il se faisait cette réflexion qu'il sentit leur présence.

 Les deux êtres n'étaient que ténèbres, formes humanoïdes sombres aux yeux rubis. Ils ne bougeaient pas, immobiles, pile sur sa route. Il sentait à quel point sa vie était en danger. Il savait qu'il mourrait dès qu'ils le souhaiteraient.

 Mais pour le moment, ils attendaient.

 Au loin, derrière eux, le bruit du tambour se faisait plus fort. Plus intense. Irrésistible.

 Il fit un pas.

 L'une des deux formes parut bondir se lui, mais un geste de l'autre la stoppa net, et aussitôt, comme si rien ne s'était passé, les deux avaient repris leur posture initiale. La seconde, celle qui avait stoppé la première dans son assaut aussi soudain que bref, dit :

 « Tu n'as rien à faire là. Repars.

  • Je ne peux pas, répondit l'autre. Je dois aller le voir. J'ai un message.
  • Délivre-le ailleurs. Retourne là-haut. Il n'accepte plus les visiteurs.
  • Non. »

 La première forme grogna.

 « Déchiquetons-le.

  • Non, attends.
  • Pourquoi ?
  • Il est inoffensif.
  • Notre mission est claire. Nul ne doit passer et troubler ces lieux. D'autres aussi avaient l'air inoffensifs. Vois ce qu'ils ont fait.
  • Tu sens comme moi la même chose que moi.
  • Je ne me fie plus à ça ! »

 Le messager continuait d'avancer, encore, doucement, inéluctablement poussé vers son but. Il regardait les deux monstres s'admonester, se dresser l'un contre l'autre, espérer passer entre eux sans un bruit. Mais il savait que la première ombre ne lui en laisserait pas la chance.

 Il remarqua pour la première fois une voie secondaire, masquée à ses yeux jusque-là, juste sur sa gauche.

 « Regarde autour de toi ! C'est un lieu de mort !

  • C'est un lieu de paix !
  • C'est ce que je dis, gronda la deuxième forme.
  • Ce n'est pas à nous d'en décider. Nous n'existons que pour cela. Nous ne sommes que ses émanations.
  • Je ne… »

 La deuxième forme ne finit pas sa phrase. Il regarda là où se trouvait le messager auparavant, celui-ci désormais disparu. L'autre forme remarqua de même la disparition et chercha en tous sens, prêt à se mettre en chasse. Mais sa comparse l'arrêta, pointant du doigt une oreille qui n'existait pas.

 « C'est trop tard. Écoute. »

 Au loin, le tambour accélérait, son tempo s'accentuant de plus en plus, plus fort, plus intense. Les deux formes ne se jettèrent qu'un bref regard avant de reprendre leur vigile, mais cette fois tournées vers ce dont elles défendaient l'accès plus tôt, dans l'expectative.

*

 Le messager pénétra dans le palais rouge à pas lents et inquiets. Il suivait de longs couloirs sinueux, parsemés ça et là sur les abords des salles entières remplies de sons, d'images, de goûts, certaines barrées, interdites, où l'on ne devinait qu'à grand-peine ce qu'elles contenaient, d'autres chatoyantes, rayonnantes, débordant presque, mais pour autant lugubres dans leur morosité et leur immobilité. Comme le reste, cet endroit était mort, endormi, abandonné. Nul n'avait mis les pieds ici depuis bien trop longtemps, et tout, lentement, se déteriorait, indépendamment de son contenu.

 Il progressait encore et toujours, suivant le fil directeur qui l'amenait jusqu'à celui qu'il était venu voir. Tout était inquiétant, ici, mais il n'en avait cure : seule sa mission comptait. Son message devait être délivré. Tout autour de lui, les tambours le pressaient de plus en plus, tout son être résonnant à l'unisson.

 Il finit par atteindre le centre du palais : une petite porte, risible quant à la majestuosité et la splendeur de l'édifice, en gardait l'accès. Dans un tremblement, il l'ouvrit, sachant que celui qu'il cherchait était là, juste derrière cette porte…

 La chambre était vide.

 Il entra, stupéfait, et observa les lieux avec attention. C'était… une chambre typique d'étudiant. Mélangé à… d'autres choses. Des morceaux qui rappelaient l'enfance. Des films. Des désirs inavoués, aussi. Le lit était à la fois enfantin et adulte, sobre et trop décoré. Tout le reste correspondait, toujours changeant, jamais parfaitement fixé. Mais l'ambiance la plus tenace était celle d'une chambre d'étudiant, avec son bureau recouvert de cours et de devoirs dont la vue angoissa aussitôt le messager, des posters recouvraient les murs, des vêtements traînaient au sol…

 Le tambour rappela l'intrus à lui. Il devait faire vite. Son temps était compté, il le sentait. Sa vie n'était qu'éphémère, après tout. Il chercha, désespérément, le propriétaire des lieux. Il était ici, il le sentait… Si seulement…

 Il avisa un placard.

 Il le considéra un instant.

 Puis, d'un pas décidé, au rythme de plus en plus effréné des tambours, alla l'ouvrir en grand.

 Celui qui se cachait à l'intérieur prit un air penaud.

 « Un placard, vraiment ? demanda le messager.

  • Heu…
  • C'est… Bon. Ce n'est pas important. J'ai un message à vous délivrer.
  • Oui ? »

 Le tambour accéléra encore. Il emplissait la pièce. Il emplissait leurs êtres. Ils étaient le battement. Celui qui se cachait dans le placard était comme obnubilé par la présence de l'autre, comme en transe, n'attendant que son message. Tout le palais résonnait, vibrait, à l'unisson avec cette attente, prêt à exploser.

 « Je voudrais savoir…

  • O… oui ?
  • Est-ce que je peux rester pour dormir ce soir ?
  • Qu… quoi ? »

*

 « Je disais : est-ce que je peux rester dormir ce soir ? Tu sais, après la fête ? »

 Adrien resta les yeux fixes, ne comprenant pas vraiment ce qu'on lui disait.

 David eut un petit sourire et s'expliqua un peu plus :

 « Je veux dire, j'habite loin. Si ça te dit de m'héberger… Promis, je te dérangerai pas, je sais me faire tout petit. »

 Il y avait comme un éclat dans son œil. Quelque chose dans son sourire. Qu'est-ce qu'il était beau, quand même…

 Adrien se rendit compte que son cœur battait à tout rompre. Il voulut se calmer, se contenir. Il avait déjà été blessé, comme ça. À trop y croire. À trop vouloir. Il avait su se préserver, depuis. S'isoler, se contenir, ne rien laisser l'approcher. Rester prudent, surtout, à tout prix.

 Mais ce sourire…

 Il n'hésita plus.

 « Bien sûr. Je serai ravi ! »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Planeshift ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0