25 - Prickly
Il était une fois, dans une contrée lointaine, il y a fort longtemps, un jeune et splendide Prince. Celui-ci était parti à la chasse
« Non. »
Comment ça, « Non. » ?
« Ah non, la chasse, très peu pour moi. Je ne vois pas pourquoi j'irais tuer des bêtes pour le plaisir ou pour manger. On s'est mis à l'élevage pour une bonne raison, alors non merci. »
… d'aaaaccord. Le Prince, jeune, splendide et bien qu'un tantinet insolent, était donc en promenade en forêt, sur son fidèle destrier, lorsqu'il vit poindre au loin, par-dessus la cîme, le sommet de tours. Cette vision étrange l'interpella, et il
« Mais si je me promène, c'est que je n'habite pas très loin. Ce doit pas être la première fois que– »
CETTE VISION ÉTRANGE L'INTERPELLA.
« Pardon… »
Il en interpella de même un charbonnier de passage, afin d'avoir une explication à ces tours qu'il n'avait jamais vues auparavant, ne s'étant jamais risqué aussi loin dans la région. Quelque chose dans cette vision intriguait le jeune homme, le poussait même de l'avant. Était-ce là son destin qui l'appelait ? L'aventure ?
« Plutôt la simple curiosité. »
En tous les cas, le vieil homme courbé par le poids des années comme par celui des fagots sur son dos répondit à la demande du Prince :
« Crévindiou, bin qu'c'est eul castel mœldié, qué v'là !
- Euh, quoi ? »
En effet, comme lui expliqua le brave et âgé travailleur, c'était là les sommets d'un château maudit.
« Ah, c'est vraiment ce qu'il dit ?
- Mais c't à qui qu'vé tricoter l'bo d'bêton lâu, vôt' segnérie ?
- Bonté divine, je n'y comprends rien. Articulez, mon brave ! »
Face à l'incompréhension du Prince, le charbonnier expliqua un peu plus : il y a de cela près de cent ans, un Roi et une Reine avaient eu une magnifique enfant, après des années à ne jamais réussir à en concevoir un seul. Pour honorer cela et assurer la meilleur destinée à cette petite bénie, ils firent venir un nombre incertain de fées du royaume, afin de lui offrir
« Incertain, c'est pas terrible quand même. Trois, c'est pas mal.
- P'têt trois, p'têt sept, p'têt douze, cé qu'choyons point bin sûr rapport qu'cé qu'une légende vôt' grôsse !
- Ah, j'ai presque compris. Incroyable. »
…ils firent venir TOUTES les fées du royaume, afin de lui offrir tous les dons possibles. Toutefois, l'une d'entre elles ne fut pas trouvée, elle avait été oubliée, omise sciemment, cru morte depuis des années, nul ne le sait. En tous les cas, elle vint tout de même à la fête en l'honneur de la délicate enfant, mais pleine de ressentiment, elle s'arrangea pour passer en dernière, bien après que les autres fées aient offert Grâce, Beauté, Élégance, et tous les autres dons que la Nature a vu bon de donner aux jeunes femmes, mais usuellement en moindre quantité.
« Je note peut-être un léger sous-entendu sexiste dans tout ceci… »
En tous les cas, la vieille fée, pleine de ressentiment, décréta que la jeune fille se piquerait le doit sur un fusain et en mourrait. Elle s'en alla alors, son méfait et sa vengeance accomplis.
« Ah. Ah oui, quand même. C'est du lourd, là. »
Toutefois, une fée, qui avait prévu que sa consœur souhaiterait quelque chose d'odieux pour la pauvre enfant, passa après elle et, si elle ne pouvait défaire complètement ce qu'avait souhaité sa consœur, pouvait l'adoucir. Ainsi, elle décréta que plutôt que de décéder, lorsqu'elle se piquerait, elle s'endormirait, elle et tout son château, de sorte qu'ils seraient comme morts pendant cent ans jusqu'à ce qu'un Prince vienne la délivrer, elle et les siens. Et bien entendu, malgré les tentatives infructeuses de la royauté, ce qui devait arriver arriva : la Princesse se piqua le doigt et s'effondra dans son lit, attendant pendant un siècle l'arrivée de son preux sauveur.
« Eh bah, le pauvre homme, je ne souhaiterais pas être à sa place. Ça doit pas être joli à voir après cent ans, tout ce beau monde. »
…
« … Ah. Bien sûr. Évidemment. Bon, bah, en route. »
Le Prince remercia le charbonnier pour son aide précieuse
« Bien qu'incompréhensible. »
et, poussé par il ne savait quelle pulsion, se dirigea droit vers le château. Il s'arrêta assez vite devant une barrière de ronces, muraille gigantesque qui encerclait l'endroit. C'était ce qui avait protégé durant tout ce temps la Princesse et les autres habitants du château des bandits, aventuriers, et, en somme, de tous ceux qui n'étaient pas destinés à la sauver.
« Oh, c'est dommage. Du coup, je rentre, hop, demi-tour mon fidèle destrier, nous rentrons… »
Mais il en fallait plus pour arrêter le Prince.
« Non, vraiment pas, vraiment. »
Il se dirigea fièrement vers les ronces, sans aucune crainte, prêt à se frayer un chemin vers celle qui l'attendait là-bas, droit devant lui.
« Alors oui mais en fait c'est que… mais aïe, ça accroche ! Rah, ma superbe tunique ! Est-ce que quelqu'un a une idée du prix que ça coûte, ces choses ?! »
Mais à peine eut-il commencé à se tailler une route que les ronces s'écartèrent, se transformant sur son chemin.
« Alors je suppose que c'est l'idée mais… ouille ! Y a toujours des… mais aïe, mais lâche-moi, espèce de… y a toujours des épines ! »
Quelque temps plus tard, il arrivait face au château, et en franchit la porte grande ouverte. Le silence et l'immobilité des lieux avait quelque chose de glaçant, de terrifiant même. Des gens étaient là, tout autour de lui, comme morts en pleine tâche, soldats encore autour d'une table avec leurs verres de vin à la main, servantes endormies sur leurs balais… S'il n'avait su la légende, il aurait cru au premier abord que tous ces gens étaient morts, mais un plus attentif examen montrait bien leur poitrine monter et bouger, bien qu'avec une lenteur extrême, preuve qu'ils vivaient encore.
« Oui, bon, c'est par où ? »
Mais le Prince n'avait que faire de tels détails. Son cœur le poussait vers son destin, en haut de la plus haute tour du château.
« Comment ça mon c– comment ça la plus haute tour ? Rah, pourquoi ça ne pouvait pas être le plus plat rez-de-chaussée, pour une fois ? Bon, en avant, petites foulées. »
Il grimpa, porté par l'Amour qui battait la chamade dans sa poitrine. Lorsqu'il arriva enfin à la chambre entrouverte, il entra sans une once d'hésitation, et admira enfin l'objet de sa quête : une splendide jeune femme, allongée là, endormie, ses cheveux d'or encadrant ce visage parfait, ces yeux clos qu'il ne doutait pas d'être aussi splendides que le reste de sa personne, ces lèvres charnelles qui n'attendaient qu'un baiser pour qu'enfin la vie revienne en ces
« Woah, woah, WOAH ! On se calme TOUT de suite ! C'est quoi, toute cette description ? »
Euh… Eh bien, c'est l'histoire. Le Prince se penche vers la Princesse, transi d'amour, et l'embrasse pour qu'enfin…
« Mais ça va pas la tête ?! Je ne vais pas embrasser une pauvre fille dans son sommeil ! Et puis quoi encore ? Je ne la connais même pas ! »
Là n'est pas la question, c'est juste un conte. Le Prince est fou amoureux de la Princesse, et
« Mais pas du tout ! Je refuse ! Je veux dire, elle est… esthétiquement plaisante, certes, elle répond à certains canons de beauté, ne nous voilons pas la face, voilà, mais je n'éprouve rien pour elle ! À l'EXTRÊME RIGUEUR, je pourrais la considérer disons, séduisante, mais ça ne veut pas dire que je vais lui faire quoique ce soit ! »
Alors, c'est amusant, parce que… hm… Non, en fait, ce n'est pas amusant.
« Quoi ? »
Euh… disons que… enfin… dans des versions plus… plus anciennes de l'histoire…
« … Non. »
…
« … NON. »
… Bon, ce n'est pas le propos, là on parle de l'embrasser pour la délivrer, ce n'est quand même pas
« Mais non, toujours pas ! Ce n'est pas parce que…
- Oh, mais vous allez vous taire, enfin ! Argh, ma tête… »
Bon, bah voilà, de toute façon, elle est réveillée.
« Donc il n'y avait PAS à l'embrasser !
- Comment ça, m'embrasser ? »
Mais non, justement, il n'y avait pas à… C'est un peu le propos de… Le fait même que cette discussion…
« Ceci n'est pas très clair.
- Je répète : comment ça, m'embrasser ?!
- Visiblement, j'étais censé vous embrasser pour vous réveiller.
- Ah, oui, la malédiction, ça me revient. Quelle idiotie.
- N'est-ce pas ?
- Je veux dire, toute cette histoire est d'un SEXISME affligeant.
- Je ne vous le fais pas dire. Sans parler de cette vision complètement absurde de l'amour.
- Eurgh, arrêtez, je vais vomir.
- Oui, c'est vraiment…
- Non, vraiment, je vais… passez-moi un peu d'eau… Oh, dormir un siècle, c'est mauvais pour l'estomac, je vous le dis… »
… Cette histoire n'a plus aucun sens.
« Je préfère ça à quand elle avait un sens.
- Moi de même. Me faire réveiller par un inconnu, même si vous êtes vraiment charmant, par ailleurs.
- Oh, merci. Vous êtes ravissante aussi. Même si vos vêtements ressemblent beaucoup à ceux de ma grand-mère…
- Ahah, très drôle. »
Bon, bah, je vais vous laisser.
« Comment ça ? »
Quoi ?
« Mais… enfin… Ce n'est pas une fin, ça ! »
Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise de plus ?
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