Absence
Je n'ai pas vu ma petite collégienne-lycéenne (en quelle classe est-elle ? Mystère...) depuis la fin des vacances de Noël. Nous sommes déjà mi-janvier, je me demande pourquoi elle est absente. Peut-être a-t-elle attrapé froid... Son amie va toujours au lycée avec mon bus, certains jours en béquilles, d'autres sans. En ce moment, elle ne les a pas, et marche sans difficulté apparente.
Un midi pourtant, je finis par la revoir. Je conduis aussi un bus de ligne qui s'arrête au lycée en fin de matinée, qui est en général presque vide et agréablement silencieux. Ce calme est plutôt relaxant, après mon service de car scolaire rempli d'enfants bruyants et excités.
Elle est là, à l'arrêt devant la gare, l'air sereine. Je l'ai déjà conduite après l'heure normale de début des cours, mais jamais aussi tard, c'est vraiment inhabituel. Elle n'a pas de sac, ses cheveux ne sont pas attachés comme de coutume, mais elle paraît un peu négligée. Sa tenue est très décontractée et plus confortable qu'élégante, assez inhabituel aussi : un jogging ample et un manteau noir épais lui cachant la gorge.
Elle a maigri, et son teint très pâle témoigne de sa fatigue extrême. Ses yeux ne sont pas plus cernés qu'avant, mais tout dans son maintien laisse transparaître son épuisement. Elle est assise sur le banc, et n'esquisse pas un geste avant que je me sois arrêté. Alors seulement elle se lève, avec des difficultés apparentes ; son visage se crispe, elle se mord la lèvre et porte ses mains à son ventre. Elle se dirige vers la porte du bus à petits pas, très lentement ; j'avais déjà remarqué qu'elle était d'un naturel peu enclin à se presser, mais pas à ce point. Elle se tient voûtée, exactement comme une vieille femme ; elle semble avoir vieilli de soixante ans d'un seuls coup. Elle doit vraiment souffrir, et a l'air très concentré. Elle me regarde à peine et s'assoit immédiatement sur le premier siège libre, juste derrière moi. Elle ne met même pas son casque sur ses oreilles, et j'entends juste sa respiration saccadée ; elle reprend son souffle après son effort intense, elle était rouge lors de sa marche ; cet exercice doit lui être pénible. Je me demande bien ce qui lui est arrivé, pourquoi a-t-elle disparu pendant un mois, avant de réapparaître l'air bien mal en point ? Maladie chronique ? Accident ? Je la dépose à son lycée, et la regarde claudiquer jusqu'au portail, avant de redémarrer et de m'éloigner.
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