Les masques finissent toujours par tomber

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Je me suis précipitée hors de la villa, sous le choc de cette révélation. Encore maintenant, je me demande si je ne l'ai pas rêvé. Ce premier visage que je vois depuis l'incident est particulièrement déstabilisant. Il inonde d'une ne joie de vivre et d'une sincérité profonde. Je n'arrête pas de le revoir, comme si j'avais peur de l'oublier. Ses yeux perçant semblent encore me sonder, cherchant à découvrir mes secrets les plus sombres. Je suis toujours fascinée par cet éclat qui se dégage de lui. J'avais oublié à quel point un visage pouvait être beau.

Perdue dans mes pensées, je ne parviens pas à travailler. Je dois pourtant me reprendre si je ne veux pas finir à la rue. Je n'ai rien écrit depuis un sacré moment. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai déménagé. J'avais ce sentiment d'oppression qui me dévorait quotidiennement. Chaque jour, je me demandais quand il allait revenir frapper à ma porte. Chaque fois que j'entendais le bruit de poings cognant l'entrée, je l'entendais à nouveau aboyer toute sorte de menaces. J'étais dans un état de panique totale. J'ai donc décidé dans un premier temps de me réfugier chez mes parents. Seulement, je ne parvenais plus à écrire. En prenant cette maison, je me suis dit que je pourrais à nouveau trouver l'inspiration. Mais j'ai beau me forcer, je n'éprouve aucune envie de créer une histoire. Tout ce que j'envisage me paraît absurde.

Justement, quelqu'un se met à frapper à la porte. J'ai brusquement un sursaut. Je jette un œil à la page blanche que présente mon ordinateur, contrariée. Pas un seul mot n'est inscrit. Le néant absolu. Je ressens ce même vide autour de moi, comme si quelque chose avait disparu. Un quelque chose qui n'existe pas mais dont je sens la présence. Ou plutôt dont je ressens le besoin. Quelque chose que j'ai perdu à cette époque compliquée de ma vie. Nerveusement, je me lève pour aller ouvrir. J'espère que ce n'est pas lui. Je veux simplement l'oublier. Effacer de ma mémoire tout ces longs mois durant lesquels il a fait de ma vie un enfer. Je prie pour ne jamais le revoir.

Sur le bas de la porte, je découvre deux de mes voisins . Tel un ballon qui se dégonfle grâce à un petit trou, je relâche progressivement la pression qui s'était accumulée en moi. Les deux masques argentés que je vois me donne une impression de sécurité. Je reconnais aussitôt la carrure large de Kim. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour le démarquer des autres. Le second porte un tee-shirt long couleur caramel sur lequel se superpose une chemise à carreaux. Sa tenue est assez simple mais porter par cet homme, cela donne une impression d'élégance indéfinissable. II tient une main dans sa poche de jean et me fixe avec cet air curieux. Il me donne l'impression d'être une de ces peluches dans les machines à pinces qui ne ressemble en rien aux autres. L'ourson égaré qui n'est pas totalement réussi et que personne ne veut. Je ne me suis jamais sentie aussi étrange qu'en sa présence.

Au moment où je m’apprête à les saluer, un troisième phénomène arrive d'un pas pressé. Toute sa tenue semble avoir été confectionnée par un créateur renommé, spécialement pour lui. À peine arrivé, il semble prendre toute la place sans même prononcé un mot. Je me demande si son visage dégage cette même aura, comme pour Chin.

- On te remercie d'avoir pris soin de notre ami. Il va mieux à présent.

- De rien...

- Toujours à se mettre la pression, celui-là, ajoute Yon. Il paraît qu'il t'a foutu les jetons ?

- Excuse- le si il a dit quelque chose de déplacé dans son sommeil. Il est de nature angoissée même s'il ne le laisse pas paraître.

Je ressens une certaine gêne. Le pauvre n'y est pour rien dans ma fuite. C'est simplement moi qui est pris peur en voyant à nouveau les traits d'un visage pour la première fois. Je ne voudrais pas qu'il est des ennuis à cause de moi. Surtout s'il est déjà stressé. Je ne sais pas comment expliquer la situation mais je devrais au moins essayer. Kim me tend la mallette que j'ai abandonné chez eux.

- Merci de me l'avoir ramené. Et Chin n'est pas vraiment responsable de ce qui est arrivé. C'est plutôt moi...

- Tu as fait quelque chose que tu n'aurais pas dû ?, s'empresse Park.

- Non, non... C'est juste que... Je ne sais pas comment dire... Depuis mon accident, je ne vois pas les visages. Ils ne m'apparaissent que sous la forme d'un masque effrayant. C'est pour cela que j'ai dû mal à vous reconnaître...

- Donc tu as eu peur du masque de Chin, continue Kim.

- Non... C'est plus compliqué que cela... Je n'arrive toujours pas à comprendre. Je ne sais toujours pas si c'était la réalité ou bien une simple chimère.

- On ne comprend rien à ce que tu dis. Sois plus clair. Tu dis que tu ne sais pas reconnaître les gens parce qu'à tes yeux ils portent des masques. C'est ça ?

- Oui... Je reconnais les gens à leur style vestimentaire, leur façon de parler... Mais cela me prends du temps, c'est pour ça que j'ai dû mal encore avec vous.

- Et donc pourquoi as-tu été effrayée par Chin ? Honnêtement, ça n'a aucun sens c'est le plus chaleureux d'entre nous.

- Yon... Sois indulgent.

- Je veux bien, mais je ne comprends toujours pas pourquoi elle a fui si elle n'a rien fait de mal.

- Je n'ai rien fait de mal. J'ai juste été choquée... Parce que j'ai cru voir son visage..Enfin, ce n'est probablement qu'une illusion parce que j'étais entrain de lire... Et j'ai une très bonne imagination.

- Hum... Intéressant, continue Yon, songeur.

- Je vous l'ai dit seulement parce que je ne veux pas que Chin ait des ennuis à cause de moi... Personne n'est au courant à part ma meilleure amie. Pas même, mes parents...

- Tu ne veux pas que Chin est des ennuis ? Et tu ne sais pas si ce que tu as vu est vrai ou simplement une envie ? Fort intéressant.

- Je savais que quelque chose ne tournait pas rond avec toi mais j'avoue que je ne m'attendais pas à ça. Tu as dû être effrayée en voyant sept phènomènes comme nous débarquer chez toi. En tout cas, je pense qu'il n'y a qu'en vérifiant qu'on saura si tu as bel et bien vu le visage de Chin. On va t'aider, en tant que voisins.

- Au fait tu n'as toujours pas fait de pendaison de crémaillère, intervient Park. Demain soir on viendra, cela te permettra de vérifier si tu rêves debout ou si tu vois réellement Chin tel qu'il est.

- Park, tu pourrais être un peu moins impulsif ? Ça ne se fait pas ....

- Pour une fois qu'on a un voisin intéressant, qui cuisine bien, je ne vais pas me priver. Je veux tout savoir. C'est moi qu'elle aurait dû voir en premier, ce n'est pas juste. Je suis blessé dans mon âme.

- Tu es incorrigible.

- Moi aussi, elle me rend curieux. En plus je voudrais bien savoir pourquoi elle fait une obsession sur Chin, intervient Yon.

- Hein ? Une obsession ? Je ne fais pas...

- Bien sûr que si. Tu as oublié ? Ce matin...

- Stop. Vous ne pouvez pas vous comporter normalement pour une fois. Elle doit être gênée. Ce n'est pas une bête de foire. Tu n'es pas obligées de faire une fête pour nous. Notre ami ici présent est assez fougueux par moment.

- Cela ne me dérange pas... Mais je préférerais en fin de semaine.

- Vraiment ? Tu sais...

- Elle a dit oui donc c'est réglé, affirme en choeur Yon et Park.

Je n'ai pas le temps d'ajouter quoique se soit que les garçons partent. Park me fait signe de la main avant de repartir. Kim finit par les suivre après avoir jeté un dernier coup d'oeil à mon intention. Il semble inquiet par la situation. Je ne sais pas s'il se fait du soucis pour ses camarades ou bien si c'est pour moi qui semble tourmenter. Je n'ai pas avouer mon secret pour qu'ils se sentent mal à l'aise à mon égard. Je voulais juste éviter tout malentendu entre nous. J'espère seulement pouvoir couler des jours tranquilles maintenant. Je le vois sermoner ses deux alcolytes qui ressemblent à deux enfants venant de découvrir un lieu inédit où ils pourront y construire leur base secrète. Je ne sais pas pourquoi ils me font cette impression. Finalement, je me sens à l'aise auprès d'eux. Après leur avoir dévoiler mon secret, je me sens libérée d'un poids. C'est difficile de vivre avec cet handicap, invisible aux yeux des autres. Beaucoup de personnes le prennent mal lorsque je me trompe de prénom ou que je ne les reconnais pas. J'ai reçu pas mal de critiques depuis l'incident. Soit disant que je ne préoccupe que de ma petite personne, faisant semblant de venir en aide aux autres. Pas mal de fois, on m'a dit que j'étais une personne fausse. Que je passais mon temps à mentir, à me jouer des autres. Ces mots m'ont blessé plus que je ne l'imaginais. S'ils savaient que j'étais la victime de ce genre de personne, peut-être qu'ils se comporteraient autrement. Seulement, je ne voulais pas être prise par pitié. Je pense que cela aurait été encore pire. Et honnêtement, au début, j'ai pensé que c'était temporaire. L'histoire de quelques jours... Mais en réalité cela fait presque deux ans.

Je me demande si mes voisins m'ont cru. Ils ont sans doute pensé que j'étais folle. Qui pourrait bien croire en une histoire pareille ? Elle semble tout droit sortie d'un conte pour enfant. D'ailleurs, je me demande si cela ne vaudrait pas le coup de m'en inspirer. Mon éditeur me presse pour que je publie autre chose avant de disparaître du monde de la littérature jeunesse. En y réfléchissant bien, je me demande comment j'ai fait pour ne pas y penser avant. Poussée par cet élan d'inspiration que je pensais perdu à tout jamais, je me rue sur l'ordinateur. Je n'ai jamais procédé comme les autres autauteurs. Je ne fais pas de brouillon, je laisse glisser les mots au gré de mon envie. C'est comme-ci j'étais possédée par ces mots. Qu'ils voulaient eux-mêmes sortir de l'abîme et qu'ils se servaient de moi comme intermédiaire. Et chaque fois que j'écris, j'ai cette même sensation d'être enfin heureuse.

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