Au secours ! C'est le jour de la dictée.

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Tous les lundis, après la pause-déjeuner, mes camarades et moi-même usions de mille et un stratagèmes particulièrement alambiqués pour nous rendre à l'école avec l'espoir d'être exemptés de l'incontournable dictée. Nous savions que des lettres muettes, des tirets discrets, des homonymes trompeurs, des cédilles habiles, des accents malicieux, des consonnes transformées en agents doubles nous y attendaient. Le but consistait donc à trouver une façon peu orthodoxe de leur échapper, quitte à écoper d'ecchymoses, d'entorses et de plaies. Certains d'entre nous recouraient au traditionnel cloche-pied en parcourant la distance qui nous séparait du danger, tandis que d'autres se bandaient les yeux ou optaient pour un simulacre de roue plutôt qu'un fac-similé. D'autres encore constituaient des duos insolites avant d'alterner saute-mouton et califourchon, ou mixaient les formules à volonté afin de chuter sans tergiverser. À force d'emprunter le même chemin, chacun de nous avait fini par mémoriser l'emplacement exact de chaque providentiel lampadaire, poteau et trou nous permettant de passer à travers les mailles du filet. Poubelles sorties en avance, cartons laissés à l'abandon, animaux et individus stationnant ou en mouvement renouvelaient nos acrobaties ainsi que les mots d'excuse griffonnés par nos parents excédés dans nos carnets de correspondance.

Ah ! si seulement notre cerveau avait retenu aussi parfaitement les subtilités orthographiques que les obstacles éparpillés sur notre tracé, nous aurions évité plus d'une réprimande, punition et note inférieure au zéro pointé. Notre maîtresse avec ses yeux noisette, son encre violette, ses pulls angora et ses bottines fuchsia était en effet la spécialiste des moins dix. De loin, ses corrections ressemblaient à d'interminables soustractions. Points et demi-points étaient ôtés plus vite que l'on ne pouvait respirer. Rien que d'y penser, beaucoup d'entre nous en cauchemardaient. Rapidement, mademoiselle Plutarte comprit notre petit manège en nous voyant régulièrement revenir ornés de bandages et de pansements. Faussement inquiète, elle s'enquérait poliment de notre situation, puis patientait jusqu'à l'heure de la récréation pour nous dicter - avec joie et sans compassion - les textes auxquels nous avions tenté d'esquiver.

Face aux abondants pièges de la langue française, nous trébuchions immanquablement sur nos copies, surpris par la sempiternelle ingéniosité de nos ennemis. Pour limiter les dégâts, Joseph, qui sortait du lot avec ses trois sur vingt - pendant que le reste du groupe avoisinait les moins vingt -, hochait la tête pour nous indiquer la présence d'un traquenard. Déconcertée de le voir continuellement répéter le même mouvement, notre institutrice avait convoqué ses parents pour leur signaler le problème. Notre camarade présentait des caractéristiques manifestes du syndrome de la Tourette. D'autant plus que les innombrables gros mots qu'elle l'entendait prononcer, tôt le matin, apportaient de l'eau à son moulin. Paradoxalement, après l'arrêt des signaux de Joseph, nous commîmes moins d'erreurs car, ne sachant pas comment interpréter ses oscillations, nous nous étions mis à glisser ici et là " x ", " y " et trémas.

Une chose est sûre, même si nous les redoutions, les " avant " et " après " dictées nous ont souvent bien fait marrer ; certainement plus d'ailleurs que nos parents dépités ou notre maîtresse catastrophée.

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