Pour se souvenir...
(Ecrit en 2015)
On ne peut pas dire que nous avons connu, à proprement parlé, d'un véritable hiver cette année, en tout cas pas pour l'instant. Les journées sont courtes mais elles sont ensoleillés et on peut se suffire d'une veste de mi- saison pour flâner dans les allées parisiennes. Je me surprends souvent à capturer les feuilles peintes aux couleurs de la saison à l'aide de mon vieil appareil photo que mon grand père m'a légué. J'espérais qu'elles gardent leur lueur d'origine sur le-cliché. Je me suis amusée à les photographier lorsqu'elles se détachaient une à une de leur arbre racine. C'est comme si elles décidaient que leur existence n'appartenait qu'à elles et qu'elles déterminaient leur essence en prenant leur envol. Seulement, le processus cyclique de l'état-nature était sans merci et elles n'avaient pas le temps de se confronter au monde qu'elles mourraient seules. Au final, leur destinée était plus triste que le notre et Zola évoquait pour qualifier les feuilles automnales de Paris qu' « Elles n'étaient jamais néfastes. Elles étaient toujours magnifique. Elles inspiraient toujours la liberté à l'apogée de leur beauté et à la veille de leur fin avec des rages et des désespoirs brusques »
Je trouve qu'il représente avec tellement de vérité ce que nous étions nous, ce 13 novembre.
Le crépuscule apparaît et la fraîcheur se fait sentir, les frissons se multiplient, nos mains se crispent et nos articulations craquent. C'est là que je commence à penser à ces nombreux sans abris, qui survivent chaque jour à la jungle de Paris, surtout celle qui survient la nuit, bien que les rues soient complètement désertées dans le froid absolu.
Non, nous n'avons pas connu encore réellement d'hiver cette année. Pas de froid glacial. Pas de pluie verglaçantes, presque pas la moindre trace du plan grand froid qui débute au mois de décembre et qui sonne l'appel de la solidarité. Tout est dissimulé derrière un climat doux, substituant lui-même les difficultés quotidiennes de cette période.
Non, nous n'avons pas connu réellement d'hiver cette année, nous avons connu pire.
Les atrocités commises dans la belle ville de la Liberté ont largement remplacé l'atmosphère glaçante que devait nous apporté l'Hiver, au détour d'une rue, d'un concert, d'un bar, ou même des locaux d'un journal. Ce sont eux qui ont appelé ce froid polaire et glacial qui nous frappe au visage dès que nous avons franchi le pas de notre porte, ce froid qui nous affaiblit, nous sidère, nous ralentit, nous assomme et nous tue.
Je pense souvent à ce fameux 13 Novembre 2015
Lorsque je traverse le grand boulevard pour me permettre d'accéder à la bouche de métro, je songe à ce Paris que j'aime tant, ce Paris qui clame ses droits de l'homme, qui se rappelle la manière dont elle s'est révolter pour gagner ces libertés, qui se remémore ces tords, ces guerres, ces décisions qui ont engendrés bien des souffrances. Mais je pense à Paris qui reste debout. Depuis quelques semaines, je me sens plus proches des citoyens que je croise parce que l'esprit de conscience collective s'est mis en marche et j'ai besoin de sentir que je ne suis pas seule, que nous ne sommes pas seuls en ces sombres moments. ça m'aide à être plus courageuse, ça m'aide à combattre la peur.
La peur du danger, de l'Autre, de la Vie
Puis, je me rends compte que j'aime davantage les Autres et la Vie, bien plus que ce que j'en ai peur.
Alors j'avance avec assurance dans cette bouche de métro qui me mène tout droit à l'université.
La faculté m'ouvre ses portes et j'avale les connaissances académiques que ses professeurs m'apportent, je m'en passionne parce que je sais que ce sont des armes qui me serviront dans le futur, et qui me permettront de défendre ce en quoi je crois, sans oublier de m'ouvrir à la critique, toujours, pour ne pas en oublier cette vision occidentaliste que nous clamons à tout bout de champs et de façon inconsciente.
Je me surprends à penser que j'aimerai détenir le pouvoir d'ubiquité. Et je suis là, à écouter les cours du jour tout en cherchant à comprendre les facteurs qui peuvent mener à de tels actes de barbarie , avec le recul qu'il faut pour pouvoir appréhender le monde. Et tout ceci, en n'oubliant pas qu'il me faut vivre, qu'il ne faut pas que j'oublie de vivre. Vivre et sentir ce courant d'air de passion et de liberté qui s'insinue dans chacune de mes artères. Je ne suis qu'une poussière dans un océan de sable, mais j'essaye de réfléchir, au gouvernement, à la situation de notre Pays, son histoire, son rapport au monde, aux guerres qu'on nous vend comme légitime, à la montée du fascisme, du racisme et de toutes ces formes qui divise l'Humanité.
L'Humanité. Ce terme complexe que tout le monde reprend à sa sauce en croyant détenir le monopole de sa définition, de ce qu'il signifie et des valeurs qu'il véhicule vraiment.Je suis ivre d'Humanité et j'aime en vivre de cette manière.
Personne ne détient la vérité concernant ce concept qui nous détermine. Et le déterminisme nous cloisonne et nous emprisonne dans un moule trop étroit. Nous avons besoin de tant de liberté, d'insoumission et d'excès que nous ne pourrons jamais réellement décrire avec précision ce que nous sommes, parce que nous sommes en train de le vivre tout les jours. L'Humanité : aussi bien avec ses horreurs que ses merveillesJe sais que je tends à un idéal pour ce terme.
Il n'inclut pas la haine de l'autre. Il ne légitime pas le crime au nom d'une religion. Il condamne les souffrances engendrés par un système toujours plus avide de pouvoir.
Non.
Thiago de Mello revendique dans son pamphlet « Les Statuts de l'Homme » dans les articles suivants :
« Article 4. Il est décrété que l'homme n'aura plus jamais besoin de douter de l'homme. Que l'homme aura confiance en l'homme, comme le palmier au vent, comme le vent à confiance en l'air, comme l'air au champ bleu du ciel.
Article 13. Il est décrété que l'argent ne pourra jamais plus acheter le soleil des matins triomphants. Expulsé du grand coffre de la peur, l'argent se transformera en une épée fraternelle pour défendre le droit de chanter et la fête du jour nouveau.
Article final. Est interdit l'usage du mot liberté, qui sera supprimé des dictionnaires et du marécage trompeur des bouches. A partir de cet instant la liberté sera quelque chose de vivant et de transparent, comme un feu. »
Ce soir en rentrant chez moi, mon casque diffuse des ondes musicales de rage et d'espoir. J'inspire un grand bol d'air frais et sûrement pollué puis je souris lorsque je croise un vieil homme qui m'observe avec cet air sceptique et nonchalant. Amusée, Je l'apostrophe :
J'y crois, pas vous ?
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