Au fil de l’eau
Regarder la ville depuis son embarcation, c’était admirer sa beauté comme un tout. Après avoir largué les amarres, lorsque ce n’était pas pour pécher, son regard ne se perdait pas au loin vers l’Albanie, mais bien vers les collines d’Ohrid. Ce nom vient, disait-il aux touristes qu’il emmenait faire un tour les soirs de beau temps, du son des soupirs lâchés par ceux qui montaient jusqu’en haut. Il descendit sur le quai, là où Aleksandar lui avait donné rendez-vous.
Zohra posa le pied à terre et regrettait comme toujours le balancement léger mais réconfortant du lac. Il arbora sa casquette de marin d’eau douce, l’enlevait pour saluer les passants en révélant sa calvitie. Lorsqu’il trouverait une famille, il la mettrait sur la tête d’un enfant qui n’y verrait plus rien. Pour l’instant, elles détournaient le regard comme devant un mendiant. Il misait tous sur ses voiles couleurs vermeil, sans doute avaient-elles convaincues le couple de la veille. Charmants mais insensibles aux explications sur le nom de la ville, ni à tous le savoir que Zohra avait accumulé depuis des années. La seule chose qu’ils lui avaient demandé était son nom. « Zohra » qui l’eut dit. Zohra veut dire peu de temps avant l’aube, c’est à cet instant qu’il fut né. Depuis, il mettait les voiles en même temps que les pêcheurs pour voir le soleil se lever. Et il se sentais naitre chaque matin.
L’homme au long manteau arriva sur le quai en boitant, déterminé. Il fit tomber le chapeau d’un vieil homme qui s’énerva et que seul l’insigne de police réussit à calmer. « Zohra » qu’il lui dit. « Une jeune fille a disparu, cet après-midi, j’ai besoin de ton bateau ». Le marin s’inquiétât, il devait la connaître, comme il connaissait toute la ville. « J’ai interrogé la mère, elle était au bord de la falaise ». L’ami du marin, Aleksandar était en retard. « Je ne pars pas sans lui » dit Zohra. Il commençait à s’impatienter lorsque il arriva en bousculant le même vieil homme. Il vit l’inspecteur qui commençait à lui faire part de la raison de sa visite. Il le coupa. « Je sais, j’étais avec le petit-ami. Un chanceux, beaucoup d’hommes aimeraient être à sa place. Enfin, pas aujourd’hui ».
L’inspecteur regardait au loin vers la neige éternelle. Difficile de l’entendre avec le claquement des voiles. « À droite ». Ils glissaient vers le silence. « Encore un peu ». Il arrivèrent devant le paysage des cartes postales qui se vendaient sur le port. Les cyprès se dressaient comme des trainées de poudre. Ils entouraient une église où ça sentait l’encens. L’enquêteur leva la main, sûr de lui. Zohra se pencha à tribord, et ce fut comme si son cœur tombait dans l’eau. Il reconnu son visage sans pouvoir y mettre un nom. Elle flottait près d’un rocher dans une robe de flanelle. Un visage auparavant fin mais désormais bouffi. Tous ses vaisseaux sanguins viraient au bleu. Aleksander descendit l’enrouler avec une corde grâce à laquelle Zohra la fit monter sur la cale. L’inspecteur, un homme pourtant froid, semblait profondément touché. Il s’essuya d’un revers de manche. Il se retourna et repris son air impassible. « Bon. On rentre ». « Et alors ? » demanda le marin. « C’est un suicide ou un accident, rien de plus ». Zohra regarda ces planches ou devraient gésir les poissons. Il tourne délicatement la tête de la jeune fille. « Elle a des marques au cou, il est abimé, regardez » il fallu convaincre l’enquêteur qui se pencha à son tour. Il la découvrit sa chemise. Du sang. Aleksandar fit un pas en arrière. Il avait les yeux ronds. Il se tenait devant l’inspecteur et prit de sueurs froides, il vomit.
« Qui aurait pu faire une chose pareille ? » demanda l’ami de Zohra. Ils se tournèrent vers la rive jonchée de galets et des affaires de l’ermite. Ce dernier les fixa sans détourner le regard. Il vivait là chaque étés depuis plusieurs années, faisant parfois la manche sur les marches de l’église. Quand ils étaient enfants, ils bronzaient sur la plage de galets brûlants et lançaient les plus petits pour faire des ricochets. Parfois, des prêtres de là haut descendaient parler avec eux. C’est de là que Zohra tirait tout son savoir sur la région. « Je suis sûr que c’est lui » disait Aleksandar. Il avait raison, l’homme fantastique aurait pu tenter le la voler, comme il le faisait souvent. « Un accident de ce genre, ça arrive vite ».
L’inspecteur était songeur. Il demanda aux marins de rester à bord et mouilla son pantalon jusqu’aux cuisses vers la rive. L’homme commença à détaler mais le policier le rattrapa. Zohra et Aleksander les regardaient sans pouvoir les entendre. « Ça va ? » demanda le premier à son ami. « Très bien » lui répondit-il avant de replonger dans ses pensées. « t’imagines quand la mère apprendra ça ». Zohra n’avait pas de pensées. L’enquêteur laissa l’ermite. Les deux hommes le virent faire signe. Il monta difficilement avec sa jambe. « Rien » dit-il. Ils baissèrent la tête. « Mais j’ai une piste ». « Ah oui ? ». « il a vu le copain s’enfuir ». Le bateau s’éloigna. « Ça ne peut pas être lui » lança Zohra consterné. Il se retourna.
Le visage d’Aleksander s’éclaira. Il afficha un grand sourire. « Qu’est ce qu’il y a ? ». Il sortit l’arme de l’inspecteur de son manteau et la braqua en direction du policier. Zohra paniqua et fut dévasté par l’idée que celui qu’il considérait comme son frère ait pu faire une chose pareille. « Pourquoi ? » demanda t’il désemparé. Le policier fit un pas et l’autre jubilait. « Crime passionnel ». Il regarda l’enquêteur. « Pas moi. C’est lui ».
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