Chapitre 19 : Inquiétude
Nous pénétrons en trombe dans l'hôpital, les jambes lourdes et complètement paniqués.Nous sommes essoufflés, je tiens toujours la rousse dans mes bras, elle a les yeux fermés et son front est brûlant, je ne peux m'empêcher de ressentir une peur incontrôlable. Une infirmière arrive en courant et ses yeux s'écarquillent en voyant notre état. Elle se précipite vers nous pour chercher un brancard et je place Erika dessus. Les médecins et les infirmières surgissent de tous les côtés, pressés de l'emmener dans une salle d'urgence. Je voudrais la suivre, mais ils me bloquent l'entrée et je ne veux pas non plus laisser mes amis dans cet état.
— Sauvez-là, je dis alors, épuisé.
— A votre tour jeune homme, dit un autre médecin en s'approchant de Nolan.
Son visage est un véritable champ de bataille : le sang coagulé sur son nez lui donne l'apparence d'un boxeur en fin de combat, son visage est tuméfié et sa lèvre supérieure est fendue. Il hésite un instant à suivre le médecin qui lui fait signe, mais Gaelle le pousse doucement pour l'encourager à se faire soigner. Nous le suivons alors qu'il pénètre dans une pièce exiguë en râlant, soutenu par Chloé qui l'aide à marcher.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? nous demande le médecin en auscultant mon ami.
— On vient de sortir de l'enfer, je réponds le regard dans le vide.
Je sais que je lui parle avec une certaine froideur mais je suis tellement chamboulé qu'il est compliqué pour moi d'être agréable. Le médecin n'ose pas nous demander d'autres détails, voyant notre état, l'air perdu.
— J'ai besoin de savoir ce qu'il s'est passé, demande l'infirmière qui a emmené Erika en entrant dans la pièce.
Elle se tient contre l'embrasure de la porte,essoufflée après avoir couru dans les couloirs, ses joues sont rouges et des mèches rebelles retombent sur son front.
— Elle a utilisé son pouvoir alors qu'elle était déjà épuisée...
— Son pouvoir ? hésite-t-elle.
— Elle est une "héritée", je lui explique pour qu'elle comprenne.
Elle fronce légèrement les sourcils mais se concentre pour rester professionnelle.
— Oh. Je... Je reviens.
Elle fait à nouveau demi-tour en courant pour informer les médecins de ce qui est arrivé à Erika. Alors que je m'apprête à refermer la porte, j'entends une femme hurler dans le couloir une chose que je n'oublierais jamais : « On est en train de la perdre, ramenez l'oxygène ».
Je n'arrive plus à bouger, je ne sens plus rien. Mes jambes refusent de me guider, je reste là, immobile à observer la scène. Je vois les médecins courir, se saisir de machines bruyantes, donner des indications. Mes amis s'approchent de moi, inquiets, mais je ne peux pas leur répondre, sous le choc je suis incapable de parler. Soudain, une douleur intense me traverse la tête, mes muscles se relâchent et mes yeux se ferment malgré moi. Je tombe au sol, mon crâne heurtant le carrelage froid et dur sans que personne ne puisse me rattraper.
Je reprends conscience dans une pièce blanche et froide. Les murs sont stériles, le sol est en carrelage brillant. Tout est silencieux, sauf le bruit régulier des machines à côté de moi. J'ai l'impression d'avoir été frappé par un énorme objet, ma tête est lourde et douloureuse, mes membres engourdis. Je distingue alors les visages flous de mes amis, inquiets, penchés au-dessus de moi. J'essaye de parler mais je n'y arrive pas, ou sinon mes phrases sont incompréhensibles. Une femme aux cheveux noirs me touche l'épaule, sa blouse blanche est éclatante dans la lumière. Elle me sourit doucement, me rassurant d'un geste apaisant de la main.
— Ne bougez pas monsieur, vous êtes tombés dans les pommes, vous devez vous reposer.
— Erika, j'arrive à dire.
Son sourire se dissipe brusquement, et son regard se durcit. Elle fronce les sourcils, l'air soucieux et inquiet.
— Nous avons fait tout ce que nous pouvions faire. Malheureusement...
— Elle est morte ? je demande en essayant de retenir mes larmes.
— Dans le coma, me révèle-t-elle en baissant les yeux. Son état est stable mais nous sommes incapables de vous dire dans combien de temps elle se réveillera.
— Je veux la voir, j'ordonne en essayant de me relever, désormais rempli d'énergie.
— Vous devez vous reposer, répète-t-elle avec plus de fermeté. Je vous promets que si quelque chose change je vous réveillerai.
— Mais...
— Ne vous inquiétez pas.
Je voudrais en dire plus mais je n'ai pas la force de rétorquer. Tout mon corps est lourd et épuisé, mes paupières pèsent une tonne. Je peux sentir la fatigue envahir chaque muscle, chaque fibre. Ma tête tourne, les sons se confondent et se brouillent. La pièce semble se déformer et se tordre autour de moi. Je voudrais lutter contre le sommeil qui m'envahit, mais je n'y arrive pas. Mes yeux ne demandent que de se fermer pour plonger dans les bras de Morphée. Je capitule malgré moi et décide de me reposer, en espérant que lorsque je me réveillerai, Erika sera à mes côtés, en pleine forme et en bonne santé, en sécurité. Je ferme les yeux et m'abandonne au sommeil, laissant derrière moi le tumulte de l'hôpital. Le bruit des machines et des voix qui s'élèvent se transforme en un murmure lointain, puis en silence.
— Tu devrais te reposer, me conseille Chloé en entrant dans la chambre.
Je n'ai pas quitté Erika depuis deux jours. Je reste à ses côtés, je refuse de l'abandonner de nouveau. Lorsque je l'ai vue allongée sur ce lit, des aiguilles dans les poignets, des fils branchés sur des machines qui font un bruit irritant, je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer. Mes amis m'ont tenu la main en silence, n'osant pas interrompre mon chagrin. J'observe chaque changement, chaque battement de cœur, chaque mouvement de ses yeux fermés. La présence des machines me rappelle à quel point elle est fragile. Son visage pâle contraste avec ses cheveux roux, qui semblent encore plus flamboyants dans cette pièce terne. J'ai l'impression qu'elle flotte sur ce lit, qu'elle n'est plus réelle. Je suis incapable de détourner les yeux, de m'éloigner. La simple idée de la laisser seule me fait peur, comme si elle risquait de s'évaporer si je ne la surveillais pas constamment. Mes amis m'entourent en silence, me soutiennent avec leur présence. Je n'ai pas la force de parler, de leur expliquer ce que je ressens, je n'arrive même pas à trouver les mots. Je la supplie de se battre, de ne pas me quitter, de ne pas m'abandonner une nouvelle fois. Mais elle reste immobile, inerte, comme si mes mots ne pouvaient pas atteindre son esprit. J'ai l'impression d'être impuissant, de ne pas pouvoir l'aider. Je voudrais plonger dans ses pensées, la secouer, la ramener. Et si elle ne revenait pas ? Et si elle décidait que c'est trop dur de revenir ? Je ne pourrais pas supporter de perdre celle que j'aime. Elle est ma raison de vivre, ma lumière dans l'obscurité. Sans elle, je me sens vide, perdu. Je sais qu'une guerre approche mais savoir qu'elle va bien me semble plus important malgré l'urgence de la situation. J'ai besoin qu'elle soit là, j'ai besoin de voir son sourire, d'entendre sa voix râleuse, de sentir sa présence. J'ai besoin d'elle.
— Je vais veiller sur elle, me propose Chloé alors que je ne lui ai pas répondu.
— Je ne peux pas la laisser, dis-je doucement.
Je sursaute lorsqu'elle touche mon épaule. Elle me regarde avec peine, elle ne dit plus rien, me laissant dans mes pensées.
— Je ne la lâcherai pas, je continue.
— Je le sais Mattias mais tu as besoin de dormir, s'il y a le moindre changement je viendrais te réveiller.
— Je ne peux pas, je répète en m'empêchant de détourner mon regard de la rousse.
— Elle va s'en sortir, dit Chloé pour me rassurer.
— Je ne veux pas la perdre, dis-je tristement en sentant les larmes monter.
— Moi non plus, me répond Chloé dans un souffle.
Elle se retient de pleurer pour ne pas me faire craquer, je le vois dans son regard. Mes larmes coulent sur mes joues sans que je ne puisse les contrôler. Elle m'enlace un instant pour me soutenir mais j'ai l'impression d'être vide, que quelque chose me manque, mon cœur se brise et j'ai l'impression que mon monde s'effondre complètement.
— Mattias, souffle Chloé en voyant mon état. Tu ne peux pas continuer comme ça.
Je contemple son visage, cherchant à déchiffrer ses émotions. Ses yeux rougis trahissent sa tristesse contenue. Ses lèvres serrées témoignent de sa tentative de garder le contrôle de ses émotions. Elle détourne légèrement le regard, comme si elle craignait que ses yeux ne trahissent sa vulnérabilité. Elle sait que je suis fragile en ce moment et elle ne veut pas ajouter à ma peine. Je ressens sa profonde amitié pour moi à travers sa retenue, et je suis reconnaissant qu'elle soit là pour moi dans ces moments difficiles.
— J'ai peur, j'ose dire en baissant la tête.
— Tu as besoin de te reposer, répète-t-elle.
Je reste silencieux pendant quelques secondes, luttant contre le tumulte de mes pensées. Les questions tourbillonnent dans ma tête, me faisant craindre le pire. La peur s'empare de moi et je sens mon cœur battre plus fort dans ma poitrine. Je ferme les yeux, essayant de me calmer, mais l'idée de la perdre me terrifie. Vivre sans elle est impensable, je déteste me sentir si fragile. Je sens mes mains trembler et mes jambes fléchir sous le poids de cette angoisse. Je respire profondément, tentant de retrouver un semblant de contrôle, mais je suis submergé par mes émotions.
Finalement je réponds à Chloé, résigné:
— Une petite sieste alors.
— Je te réveillerai.
Je hoche la tête en signe de remerciement et me lève à contrecœur. Je quitte la chambre à pas lents, mes pensées tourbillonnant encore autour de la personne que j'aime et que je laisse derrière moi. Une fois dans ma chambre, je m'effondre sur mon lit, les mains sur la tête, laissant toutes mes émotions m'envahir. Les larmes commencent de nouveau à couler le long de mes joues, mais je ne fais rien pour les retenir. Je suis épuisé, à la fois mentalement et physiquement, et je laisse tout simplement la fatigue me submerger. Finalement, je me sens sombrer dans un sommeil profond, ma tête reposant sur l'oreiller douillet. Les bras de Morphée m'enveloppent, m'emportant au loin.
Quand je me réveille, je saute du lit et entre dans la chambre d'Erika. Chloé est assoupie tandis que Gaelle veille sur ma belle rousse, attentive au moindre mouvement potentiel. Quand elle remarque ma présence, elle tourne la tête vers moi et se lève pour m'embrasser sur les joues. Elle pose sa main sur mon épaule, l'air compatissant.
— Tu as déjà meilleure mine, dit-elle en faisant un petit sourire.
— Un changement ? je demande, rempli d'espoir.
Lorsqu'elle tourne la tête pour me dire non j'ai l'impression que le poids que je porte sur les épaules s'alourdit. Je baisse la tête et retient à nouveau les larmes de couler. La tristesse atteint mon cœur pour de bon, je ne vais pas tenir, je ne supporte pas de la voir dans cet état.
— Ça va aller, dit-elle pour me soutenir.
Je craque encore. Je me déteste. Je me hais de l'avoir laissée là bas et de ne pas l'avoir aidée avant. Si j'avais été courageux, je serai allé rencontrer son père seul et nous n'en serions pas là aujourd'hui. C'est ma faute si elle se retrouve dans ce lit, dans cet hôpital.
Chloé se réveille et nous regarde tour à tour. Cette fois, elle ne retient pas ses larmes et nous rejoint dans notre chagrin...
Une semaine.
Une semaine que tout est fini et qu'elle est allongée sur un lit d'hôpital. J'ai veillé sur elle tous les jours, relayé par mes amis.
Lorsque j'entre dans la chambre et que je vois Nolan, Gaelle et Chloé autour d'Erika, je me dis que je ne supporterais pas cette situation plus longtemps. Mon cœur saigne à chaque fois que je la vois, je l'aime si fort que la voir dans cet état me détruit à petit feu. Je me sens faible et inutile, je n'ai plus d'énergie, je n'ai plus de patience, je vais devenir fou.
— Alors ? je demande en entrant, en essayant de faire un sourire, qui se transforme sûrement en grimace.
— Toujours rien, ose dire Cloé en baissant la tête.
Je souffle longuement et me rapproche d'Erika. Je m'arrête soudainement dans le trajet qui relie la porte et le lit sur lequel elle est allongée. Je me sens soudainement plus faible, comme si quelque chose était en train de me vider de l'énergie qu'il me reste. Je ne comprends pas ce qui se passe jusqu'au moment où je la sens. Depuis que nous sommes rentrés à l'hôpital, il m'était impossible de ressentir la magie, elle avait disparue. En ce moment même, je ressens la mienne ainsi que celle d'Erika. Elle est en train de se réveiller ! je m'exclame. Mes amis n'ont pas l'air de comprendre tandis que je leur assure que je la sens revenir.
Alors que mon rêve se réalise, le bruit des machines auxquelles elle est reliée retentissent, s'affolent et la courbe qui était stable jusqu'ici se réduit au fil des secondes. Je n'ose pas bouger, dire quoi que ce soit, mon monde s'effondre pour de bon. Je n'entends presque pas Gaelle lorsqu'elle hurle aux médecins de venir. Un flash apparaît dans mon esprit, si net qu'il me rappelle ce fameux soir où des visions m'ont conduit à elle, alors qu'elle fuyait le danger. Le flash qui est apparu est un souvenir, l'un des plus beaux que j'ai avec elle, celui où nous étions ensemble et qu'une sorte de protection nous a entouré, le jour où nos magies se sont réunies.
J'ai le déclic, je m'avance doucement vers le lit, n'entendant presque rien des machines et de leurs bruits incessants. Ni même de mes amis qui m'appellent, des infirmières qui entrent dans la chambre et qui essayant de me pousser pour se frayer un passage. Des petits cristaux apparaissent autour d'Erika, des larmes coulent de mes yeux sans que je puisse les retenir. Ma magie se mêle à la sienne, un halo bleu nous entoure et je me sens soudainement mieux, apaisé. J'entends une voix dans mon esprit, celle d'Erika et quand je tourne la tête je la vois, les yeux ouverts, en excellente santé, vivante, animée. Ses yeux bleus transperçant les miens, me bouleversant totalement, me provoquant des milliers de frissons. Je veux dire quelque chose mais rien ne sort de ma bouche, je n'y arrive pas, trop subjuguée par ce qui se déroule devant mes yeux.
— Merci, merci pour tout ce que tu as fait pour moi, j'entends dans ma tête.
Les larmes coulent le long de mes joues, je me rapproche d'elle pour la toucher. Je caresse tendrement sa joue, elle appuie sa joue sur ma main en souriant, comme si notre contact lui avait manqué, qu'elle souhaitait retrouver cette sensation.
— Tu as été ma seule source de lumière dans cette vie, murmure-t-elle dans un souffle.
— Qu'est-ce que tu dis ? je lui demande d'une voix faible.
— Je n'y arriverai pas, dit-elle en fermant les yeux.
— Non, non ne pars pas, reste avec moi ! Toi aussi tu es ma seule source de lumière ! je la supplie en mettant mes mains sur ses épaules.
— Cette fois c'est à moi de prendre la décision de partir ou non.
— S'il-te-plaît ne me laisse pas !
Elle pleure à chaudes larmes, elle n'ose plus affronter mon regard. Soudain, elle ferme les yeux, le halo de lumière se referme et je me rends compte que mon monde est détruit. Je suis de retour dans la réalité, les machines s'arrêtent, j'ai l'impression d'être dans un cauchemar. Les infirmières me bousculent et commencent un massage cardiaque. Je sens des mains sur mes épaules, j'entends des pleurs mais je suis incapable de détacher mon regard d'Erika, les cheveux étalés sur l'oreiller, les yeux désormais fermés. Erika que je venais de voir vivante, me parler, me sourire est désormais en train de disparaître pour de bon et je ne peux arrêter ce qui est en train de se passer. Je ne supporterai pas qu'elle s'en aille, qu'elle nous quitte pour toujours.
Alors que mon cœur se fissure et que l'espoir disparaît, le bip sonore qui résonnait depuis d'affreuses secondes s'arrête pour redevenir plus silencieux, reprenant le rythme des battements de son cœur. La courbe qui était droite rebouge et fluctue, reprenant vie, alors qu'elle s'était éteinte pendant près d'une minute.
Erika ouvre doucement les yeux en reprenant son souffle, en nous voyant elle tente de faire un petit sourire et je me précipite vers elle pour l'enlacer. Mes amis crient de joie dans notre dos et je sens le poids que j'avais sur les épaules se retirer. Enfin.
— Ne me fais plus jamais ça, dis-je en caressant ses cheveux.
— Je te le promets, dit-elle avec une voix éraillée.
— J'ai hâte de pouvoir rentrer, dit Erika en s'asseyant sur son lit, le sourire aux lèvres, plus énergiques que jamais.
— Tes cookies me manquent, je plaisante en rangeant les affaires qui trainent dans sa chambre.
— Pas ma présence ? rétorque-t-elle en souriant.
Nous nous regardons un instant avant d'exploser de rire. Il m'avait tellement manqué. Lorsque nous nous arrêtons, nous nous observons en silence, n'osant rien dire. Je m'approche d'elle et la tension augmente, les battements de mon cœur s'accélèrent. J'ai soudain très chaud et j'ai envie de l'embrasser. Je caresse tendrement sa joue tandis qu'elle se laisse faire, ses yeux bleus me transperçant. Je finis par m'abaisser pour être à sa hauteur, me mords la lèvre et fixe les siennes avant de sauter le pas. Notre baiser est chaleureux, revigorant. J'avais oublié cette sensation, elle m'avait tant manquée. Je ne me suis jamais senti aussi bien qu'à ses côtés.
Nous nous détachons pour respirer et nous nous sourions. Elle replace une mèche de cheveux derrière son oreille et se mord l'intérieur de la joue en me fixant, un éclat de joie dans le regard.
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