Chapitre 3 : La traque
Bien que Kean ne ressentait pas l’irritation due aux fumigènes, il ne pouvait empêcher ses yeux de pleurer. La vue brouillée, le jeune homme peinait à suivre l’antiquaire. A plusieurs reprises, il emprunta une mauvaise allée et manqua de peu de se faire attraper.
Courir dans les rayons surchargés de la boutique n’était pas aisé. Il ne cessait de se heurter aux ouvrages les faisant tomber dans son sillage. La première fois, il avait tenté de rattraper les livres, mais devant la gêne que cela occasionnait à ses poursuivants, il s'en abstint et profita de ces précieuses secondes d'avance.
Lorsqu’il atteignit enfin la sortie de secours, l’antiquaire lui saisit le poignet et l’entraîna à sa suite. Ils s’engouffrèrent dans une étroite ruelle et Kean eut plus que jamais la sensation de se faire épier. Il se sentait vulnérable ainsi exposer sous les éclairages de la ville. Il accéléra et vint se placer aux côtés du vieil homme.
— On va où ?
— Je te l’ai dis, on quitte la ville.
— C’est impossible !
Kean avait déjà essayé à de nombreuses reprises et à chaque fois, il était retombé sur ses pas comme prisonnier d'un labyrinthe. Le jeune homme souhaitait faire confiance au vieil homme, mais son expérience lui intimait qu'il ne faisait que se bercer d'illusion. Pourtant, une part de lui y croyait, il imaginait mal l'antiquaire se lancer dans une course folle sans plan. Un coup d'oeil à son guide l'en assura.
— Tu verras par toi-même quand nous y serons. En attendant, nous devons sortir de leur champ de vision.
Le jeune homme jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et ne vit personne. Ils étaient seuls dans la rue. Etonné, il ralentit et se retourna. Le silence qui régnait couplé à l'absence de poursuivants ne lui inspirait pas confiance.
— T’arrêtes pas !
L'inquiétude dans sa voix le fit réagir et il reprit sa course. Au même moment, l’affichage des écrans disparut et le jeune homme put se voir. Ils étaient filmés en temps réel et un message apparaissait en bas des écrans prévenant les citoyens de leur dangerosité et de la procédure à suivre.
Kean avait déjà entendu parler de cette méthode, mais il ne l’avait jamais vu appliquer. Seuls les Traqueurs pouvaient pister ainsi leurs proies. D’après les rumeurs, ils n’intervenaient qu’après une observation de leurs cibles dans le but de comprendre leurs motivations et de mieux les interroger par la suite. Toujours d’après, les rumeurs, ils ne seraient envoyés que pour des cas majeurs entraînant un grave dysfonctionnement de la société.
— Notre existence remet en cause ton mode de vie et ta culture. Rentre-toi bien ça dans le crâne, s’ils nous attrapent, nous sommes morts !
Kean regarda avec un œil nouveau l’antiquaire, son sourire avait laissé place à une expression sévère. Le jeune homme compris qu’il était sérieux. Pour autant, il ne pouvait mettre de côté ses connaissances. Les armes et les violences de toutes sortes étaient prohibées, alors un meurtre. Cette nuit-là, Kean prit conscience de l’étendue de son ignorance au sujet de son propre peuple et ne s’y sentit que plus étranger.
Ils bifurquèrent dans des ruelles de plus en plus étroites et alors qu’ils arrivèrent sur un cul-de-sac, une détonation retenti dans la nuit. Kean regarda le trou béant qui venait d’apparaître à la place de la bouche d’égout. Il releva les yeux et vit le commerçant ranger des bâtonnets.
— Des explosifs.
— Mais qui êtes-vous ?
— Te le dire n'aurait que peu d'intérêt si tu venais à mourir. Descends et je t'expliquerai tout une fois sorti de ce merdier.
Kean n'insista pas plus. S'il pensait ne pas avoir sa place dans cette société, les derniers événements venaient de lui confirmer. Aucun retour en arrière n'était possible. Il agrippa le premier barreau et descendit l'échelle rouillée et glissante. Il fut obligé de s'arrêter à plusieurs reprises pensant que les fixations de l'échelle ne tarderait pas à céder, mais contre toute attente, elles tinrent bon et il posa le pied au sol, l'étrange vendeur le rejoignit peu après.
— Maintenant que nous sommes à l’abri des regards, ils ne vont pas tarder à agir. Tiens-moi ça.
Kean regarda l'arme qu'on venait de lui déposer dans les mains. Il en évalua le poids et tenta d'adapter une posture correcte de tir. Mais ses mains ne cessaient de trembler, le pistolet lui semblait lourd à bout de bras. Lorsqu'il vit que le vendeur le fixait, il se sentit obliger de se justifier.
— Je …
— Tu ne sais pas tirer, je sais. Mais ne t'inquiète pas, je ne compte pas les affronter ce soir. Nous devons d'abord connaître nos ennemis avant de lancer une offensive. Ce pistolet n’est pas une arme létale. Il tire des nano-sondes capables d’analyser le code génétique de leur hôte et d’envoyer les résultats directement sur le terminal du pistolet. Les dégats infligés au corps sont minimes et indolores puisque vous ne percevez rien. Les ruines représentent de multiples possibilités de guet-apens. Nous allons leur en tendre un. Tu tires et je les assommerai avec un pistolet paralysant, une fois les informations récupérées, nous quitterons cette ville de fous.
Kean eut à peine le temps d'assimiler les informations que des bruits leur parvinrent. lI se réfugia dans la première infractuosité qu'il trouva et tenta de calmer le tremblement de ses bras et de stabiliser son pistolet. Il souhaitait lui aussi connaître ses opposants, mais également leurs motivations. Pourquoi n'agissaient-ils que maintenant ? Il avait beau connaître depuis quelques heures à peine l’antiquaire, il avait été plus honnête que ne l’avaient jamais été les siens, coopérer lui paraissait être la meilleure solution.
Lorsque le premier Traqueur apparut dans son champ de vision, Kean baissa ses bras d'incompréhension. Le vieux le réprimanda dans un souvenir.
— Ce n’est pas le moment de faire preuve d’humanité.
Ce n’était en aucun cas, l’intention du jeune homme, mais il ne pouvait détourner le regard de la silhouette qui progressait, Kyris n'était autre que le jumeau d’Ysae. Ils se ressemblaient tant et étaient si proches que Kean se prit à s’interroger sur la jeune femme. Il l’avait jusqu’à présent considéré comme une abrutie lobotomisée par les bonnes mœurs sociales qu’il ne s’était jamais interrogé à son sujet.
Un tir le sortit de ses pensées. Le vieillard venait d’assommer l’un des cinq Traqueurs et avait révélé par la même occasion sa position. Kean remis en joue Kyris. Il voulait connaître la vérité à son sujet, il n'avait d'autre choix que d'atteindre sa cible. Il tira une fois, deux fois, mais rata coup sur coup. Pendant ce temps, le marchand avait assommé deux agresseurs de plus. Se fiant à lui, Kean sortit de sa cachette et se rapprocha de Kyris prêt à tirer à bout portant s'il le fallait.
Son futur beau-frère, se tourna vers lui et un large sourire vint illuminer son visage. Une fois de plus, la similitude avec Ysae était troublante.
— Quel endroit lugubre pour une réunion de famille.
— Je n’ai rien avoir avec toi !
— Et ma sœur qui se faisait une joie de t’épouser.
— Ce jour n’arrivera jamais !
— Exact, tu mourras avant.
Les deux hommes tirèrent et seul Kyris atteignit sa cible. Kean s'effondra, une main sur sa jambe gauche. Contre toute attente, il ne vit pas de sang serpenter entre ses doigts.
— On a ordre de vous récupérer vivant. Mais ce n'est qu'un sursis.
Alors qu’il observait son adversaire s’approcher, Kean vit l'acolyte de Kyris s'effondrer. Il ignorait comment l'homme s'y prenait, mais depuis qu'ils se trouvaient dans les souterrains, il ne l'avait pas vu une seule fois et chacun de ses tirs atteignaient leur cible.
Kyris se détourna de Kean et chercha du regard le commerçant. Kean profita de la situation pour viser son adversaire. Il prit une grande inspiration et tira. Un fin jet de lumière fut expulsé du canon de son arme et lorsque le projectile atteignit Kyris, le jeune homme plaqua sa main contre sa peau comme lorsque l'on souhaitait écraser un insecte. Cette perte de vigilance, lui fut fatale et l'antiquaire saisit cette opportunité. Le jeune Traqueur s'effondra et le vieux rejoignit Kean.
— Comment faîtes-vous ça ?
— Une simple question d'entraînement. Fuyons pendant que le tranquillisant fasse effet. Quel est ton lien avec le capitaine des Traqueurs ?
— C’est le frère de ma copine.
— Je suppose qu’on sait comment tu as été dénoncé maintenant.
— Je n’en suis pas si sûr.
— Tu t’étais attachés à elle ?
— Non, j’ai du mal à l’imaginer …
— Te trahir ?
— Non, être plus qu’une conne populaire.
— Contrairement à toi, elle jouait bien son rôle. Allez remettons-nous en route.
— Deux secondes, maintenant qu'ils bougent plus, je compte pas les louper !
Kean tira sur les quatre derniers corps et attendit le chargement de leurs informations. Une fois les données stockées sur l'arme, il suivit l'antiquaire.
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