Le paysage défilait dans cette brume perpétuelle. À part les marais rencontrés précédemment, l'endroit était d’une désespérante monotonie donnant l’impression au jeune homme de ne pas avancer.

Pour rompre cette lassitude, Kean avait pris l’habitude de toucher la végétation rencontrée, pour d’une part, mieux connaître son environnement, mais également par curiosité. Il constata rapidement que bien que tous les arbres rencontrés soient morts, l’écorce de certains arbres ne s’effritaient pas entre ses doigts et certaines branches gardaient une bonne solidité, au contraire d’autres qui tombaient en poussière au moindre contact.

C’est en étudiant l’un de ces arbres morts à la solide constitution qu’il découvrit un étrange serpent. Le camouflage du reptile était impressionnant et Kean ne l’aurait pas remarqué si une faible bourrasque n’avait pas chassé l’espace d’un instant la brume et les nuages cachant le soleil. Il avait ainsi pu voir l’ombre du reptile se découper sur l’arbre, avant que l’astre ne soit de nouveau masqué.

Kean avait depuis gardé le curieux animal à l’œil, oubliant ses compagnons de route qui s’éloignaient un peu plus à chaque instant. Lorsqu’il voulut interroger Selyf au sujet de ce curieux animal, il se rendit compte de la distance qui les séparait et en oublia sa découverte.

Le reptile jusque-là inoffensif saisit l’occasion et bondit sur le bras du jeune homme, lui enserrant le poignet et y enfonçant profondément une série de petites aiguilles, tout en tournant autour de son membre. Kean tenta de s’en débarrasser, tout d’abord en secouant désespérément son bras, puis en cassant une branche et en attaquant l’animal avec, mais celui-ci n’en fit qu’une bouchée et en recracha les morceaux au visage du jeune homme, qui lui égratignèrent la joue au passage.

Il tenta par la suite, d’attraper le corps de l’animal, mais ce dernier s’amincit et s’allongea de telle sort à lui bloquer les deux mains, telle une paire de menottes. Dépassé par les événements, Kean se décida à appeler à l’aide et parti rejoindre ses compagnons. Heureusement pour lui, Selyf avait remarqué son absence et arriva rapidement à ses côtés. En voyant le serpent enroulé autour des poignets de son protégé, il ne put s’empêcher de pousser un juron.

La douleur des aiguilles d’abord supportable devint bientôt gênante, et plus particulièrement leur va-et-vient continue dans sa peau. Kean tenta de décrocher l’animal en écartant ses mains. Il espérait ainsi le faire lâcher prise, mais ça eut l’inverse de l’effet escompté.

— Tient toi tranquille ! Nous devons attendre qu’il ait terminé à présent.

— Et ça va prendre combien de temps encore ? C’est quoi ? Et plus important, qu’es-ce que ça me fait ?

Ce fut Tania qui répondit à ses questions.

— Un Satoo, un serpent tatoueur, si tu préfères. Ici, en l’occurrence, il s’agit d’un tatoueur anonyme. Tu ne verras le résultat de son travail que lorsque la situation l’exigera, en attendant, il est impossible de connaître les glyphes qu’il te trace, ni s’ils sont bénéfiques ou non.

— C’est quoi l’intérêt de cette bestiole à faire ça ? J’ai jamais demandé à ce qu’elle me fasse une mise en beauté.

Selyf soupira. 

— Rigole, si tu le souhaites, mais cette petite créature fait partie des êtres les plus influents de ce monde. Les marques qu’elle laisse peuvent convertir à ses ordres le plus robuste des prédateurs, certains dotent leurs proies de compétences particulières pour éviter d’avoir le sale boulot à faire. Comme tu l’auras remarqué, malgré sa petite taille, elle est loin d’être sans défense.

Tania poursuivit les explications. 

— Il existe plusieurs espèces. Les anonymes sont de loin l’espèce la plus mystérieuse. Si tu survis, je suis curieuse de connaître le résultat de son travail.

— Et il n’y a donc rien d’autre à faire que d’attendre qu’il ait fini de me tatouer ?

— Non, et pour ton propre bien, tu devrais arrêter de t’agiter. Nous attendrons ici qu’il ait terminé, avant de reprendre la route.

Tania et Selyf s’assirent à même le sol et Kean hésita à faire de même, avant de se rappeler des recommendations de ses compagnons. Il resta donc debout n’osant déranger son envahissant tatoueur. Le jeune homme regarda ainsi la nuit tomber et les arbres prendre une couleur vive et illuminer la nuit tels des lampadaires naturels. Kean observa la mise en lumière de cette nature morte et ne put s’empêcher de trouver le paysage beau.

Le Satoo, blanc lorsqu’il l’avait aperçut pour la première fois, avait prit la teinte de sa peau au contact de ses bras et était à présent aussi noir que la nuit. Lorsque Kean ne sentit plus le va-et-vient des aiguilles sous sa peau, il en fut dans un premier temps soulagé, puis une douleur bien plus vive lui parcourut le corps. En approchant ses bras de la lueur d’un tronc, il découvrit la gueule du serpent fermement plantée au niveau de la base de son pouce.

— Mais qu’est-ce qu’il fait maintenant ?

Tania et Selyf se relevèrent d’un bond et se positionnèrent à ses côtés. Ce fut le gardien qui lui apporta la réponse.

— Il signe son œuvre.

Quelques secondes plus tard, le reptile desserra son emprise et lécha de sa langue bifide la plaie à la main de Kean et le jeune homme sentit une substance grasse se répandre sur ses poignets.

Selyf entreprit de commenter les actions du reptile. 

— Il désinfecte ta plaie et hydrate ta peau pour une meilleure cicatrisation.

Une fois l'opération terminée, le serpent se déroula et bondit sur le tronc d’arbre qu’il avait quitté plusieurs heures plus tôt avant de disparaître. Tania sortit un morceau de tissu de sa poche et le plaqua contre la morsure du jeune homme.

— Pour savoir quel est ce serpent. Nous avons un registre recensant les serpents ayant déjà mordu. Si le tien n’est pas à son premier glyphe, tu pourras avoir une bonne idée des effets de son œuvre, s’il s’agit d’un nouveau dans le domaine, il faut le recenser.

Selyf rebondit sur les dires de la Symbioz. 

— Vu le temps que cela a pris, il y a des chances pour que ce soit un jeune, un expérimenté serait allé beaucoup plus vite, une autre possibilité est que l’œuvre réalisé soit extrêmement complexe. Je penche pour la première possibilité.

— Quant à moi je penche pour la seconde.

Un silence s’ensuivit après la déclaration de Tania. Devant le regard des deux hommes, elle se justifia.

— Me regardez pas comme si j’étais folle ! Réfléchissez un peu ! Kean est l’un des déchus, autrement dit, l’une des cinq personnes capables de modifier le plus l’environnement tel que nous le connaissons aujourd’hui. Tu crois vraiment qu’un novice s’en serait prit à une telle proie ? Je pense surtout que ce Satoo a dépisté quelque chose chez lui.

Kean resta quelques instants silencieux.

— Comment pouvons-nous modifier l’environnement ?

— Ca tu le sauras pendant la réunion. Ce n’est pas à moi de t’expliquer ça. Dépêchons-nous, nous avons assez traîné. Nous sommes proches du téléporteur de ce secteur.

Selyf devança son protégé et répondit à sa question.

— J’ai utilisé un téléporteur portatif, mais il en existe de bien plus imposants capables de transporter un plus grand nombre de personnes.

Le groupe se remit en route et Kean passa le trajet à regarder ses bras rougis. Lorsqu’ils arrivèrent au téléporteur, le jeune homme reconnus les sigles qu’il avait déjà pu voir sur le pendentif utilisé par son gardien. Mais cette fois-ci, le cercle était directement tracé dans le sol. Tania entreprit de le dépoussiérer aussitôt aidé par Selyf. Une fois les symboles bien apparents, ils se placèrent au centre et attendirent. Le même phénomène que précédemment se produisit et Kean observa les corps de ses compagnons et le sien disparaître dans une lueur bleutée.