Les rêves d'Anaé
- Serre plus fort.
- Tu es sûre ?
- Oui, j'aime quand ma taille est mise en valeur.
- Comme tu veux, il faut que tu arrives à respirer tout de même.
- Tu as vraiment réussi à marier les couleurs. Ce camaïeu de verts nous va si bien.
- Il ne te reste plus qu'à trouver une fleur pour apporter une touche de gaieté et de fraîcheur.
- Oui, j'y vais. Merci beaucoup Annyli, cette robe, je l'adore déjà.
Elle s'éloigna en sautillant, tournoyant dans ce nouvel habit souhaité depuis longtemps. Il faut dire que ses promenades quotidiennes dans la forêt mettaient à mal les feuilles qui composaient sa tenue. Heureusement, grâce à Annyli, elle pouvait la renouveler, et celle-ci se pliait à ses exigences et ses désirs vestimentaires parfois farfelus. Ici, la verdure omniprésente offrait toutes les possibilités, et Anaé tenait à se distinguer des autres membres du clan.
Au coeur de la forêt bretonne, non loin de la baie de Douarnenez, ces petites elfes menaient depuis des millénaires une vie paisible, à l'abri des regards. Cette contrée isolée, sauvage, à la fois loin des autres êtres vivants et si proche de la nature, constituait leur refuge. Personne ne connaissait leur mode de vie. Elles n'avaient jamais rencontré d'autres elfes. Leur alliance avec les animaux de la forêt était réelle, bienveillante, basée sur la confiance. Les elfes rendaient volontiers service. Mais il faut dire que seuls les oiseaux osaient s'approcher.
Elles s'autogéraient. Fières de vaquer à leurs occupations dans cette nature exceptionnellement luxuriante, elles s'occupaient simplement de faire des réserves de nourriture. Quelques jours de pluie bienfaisante permettaient de s'approvisionner en eau pour plusieurs mois.
Elles ne manquaient donc de rien. Elles mangeaient à volonté, sans heure fixe. Indépendantes, elles se montraient profondément sereines et confiantes.
La reine, un peu plus grande que les autres, dirigeait tout ce petit monde d'une main de fer dans un gant de velours. Elle était respectée, adulée, convoitée. Elle organisait les cueillettes, formaient des binômes de travail, afin que l'entraide soit au coeur de son système si bien rodé.
Dans ce monde exclusivement composée de filles, il n'était pas rare que des disputes éclatent. Quelques mesquineries ou jalousies donnaient souvent lieu à des représailles. Elles n'avaient jamais vu d'elfes masculins. Pourtant, lors des veillées organisées quotidiennement sous le chêne blanc, certaines d'entre elles avaient évoqué leur existence.
Parfois, Anaé s'isolait pour réfléchir, elle qu'on disait toujours insatisfaite. Toutes les elfes du royaume se contentaient de ce bonheur simple, sauf elle. Elle regardait le ciel, attendait un signe, se sentait peu encline à suivre ses pairs.
Anaé se rendait bien compte, en grandissant, qu'elle était différente des autres. Elle avait aujourd'hui dix-sept ans. Elle n'avait partagé son secret avec personne. Pas même avec sa mère, pourtant si proche, prévenante et affectueuse.
Elle préférait jouir seule de ces moments rien qu'à elle, lorsque, par magie, son corps prenait une toute autre forme.
Peut-être était-ce lié à son alimentation. Elle cherchait ce qu'elle avait mangé que les autres ne mangeaient pas. Des orties ? De la cassiope ? De l'armérie maritime ?
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