Anaé se languissait toujours le soir pour vivre sa nouvelle vie animale. Elle avait du mal à contenir son impatience. Il lui arrivait de se comporter de façon distante vis à vis de ses soeurs. Pourtant son amour pour elles était indéfectible. Les valeurs de sa famille demeuraient un exemple.

Un soir, au cours d'une de ses promenades dans la forêt silencieuse, elle aperçut un nuage laiteux fulgurant qu'elle n'eut pas le temps d'identifier. Cela ressemblait à une nuée blanche, mais au lieu de traverser le ciel, elle fendit la forêt d'un éclair immaculé qui lui brûla les yeux. Ce phénomène se reproduisit de plus en plus souvent sans qu'elle sache d'où il provenait.

Un jour, son clan eut un souci avec les réserves d'eau. Elles s'étaient asséchées sans raison. D'un seul élan, toutes les elfes se rassemblèrent et ensemble, elles durent transporter des paniers très lourds jusqu'à leur arbre séculaire. Elles parcoururent des kilomètres pour trouver suffisamment de ce liquide précieux sans lequel elles ne pouvaient vivre. Comme les pluies n'étaient pas suffisantes en cette période de l'année, il fallait redoubler d'énergie pour assurer la pérennité de ces provisions.

Elles prenaient beaucoup de risques à se déplacer ainsi, en pleine journée, car leur mode de vie exigeait la plus grande discrétion. Un humain aurait pu les apercevoir, et leur vie serait à jamais bouleversée, voire menacée. Au bout de deux jours, leur tonneau contenait suffisamment d'eau pour qu'elles puissent se désaltérer, cuisiner, laver leurs habits et faire leur toilette. Ce mois de juin étant particulièrement chaud, elles pouvaient profiter de la rivière pour leurs ablutions, et ainsi utiliser moins d'eau. Quelques jours de repos furent nécessaires pour compenser toute cette agitation. Le clan reprit ses activités avec le même enthousiasme qu'avant, leur tempérament étant très positif.

"On oublie le passé et on va de l'avant", se répétaient-elles comme un leitmotiv.

Anaé était la seule à se dire que ce phénomène n'était pas normal. Elles n'avaient jamais manqué d'eau auparavant. Quelque chose ne tournait pas rond.

Quelques jours plus tard, une tempête terrible et soudaine souleva les elfes du sol, elles tournoyaient en l'air sans possibilité de s'arrimer à un rocher ou à un arbre. Leur camp fut dévasté par le souffle ravageur. Les elfes se donnaient la main, baissaient la tête, fermaient les yeux. Le mieux était d'attendre que cela passe. Elles étaient tellement légères que leurs corps ne pouvaient retrouver leur équilibre au sol. Certaines avaient pu trouver refuge dans leur abri si solide et sécurisant. Pourtant, leur arbre protecteur bougeait lui aussi. Des craquements sinistres se faisaient entendre. Les feuilles tombaient des branches, les branches pliaient sous l'assaut du vent violent. Certaines se cassaient et tombaient au sol dans un fracas terrible.

Heureusement, aucune elfe ne se trouvait dessous.

Pendant un jour entier, elles subirent l'affront de la nature en furie, puis tout redevint calme. Le ciel se para d'une belle couleur bleue, le soleil brillait. On entendit à nouveau le chant des oiseaux. Ce changement si soudain surprit les elfes. La Bretagne était certes réputée pour son climat instable, mais aucune tempête de cette violence ne s'était produite jusqu'ici dans leur forêt.

Les seules tourmentes qui étaient à déplorer survenaient au large de la mer, et ces jours-là aucun bateau ne voguait. Des vagues hautes de deux mètres parvenaient parfois jusqu'aux premières routes. Tous les êtres vivants restaient bien à l'abri en attendant que cela cesse.

Dans les yeux des elfes, Anaé vit la frayeur, l'incompréhension et l'inquiétude. Leur regard noir constatait avec stupéfaction les dégâts. Il fallait tout reconstruire. Cela leur prendrait des mois. Anaé ressentit de la colère. Elle serrait ses petits poings. Ce qui venait de se passer n'avait rien de naturel. Est-ce que le phénomène blanc qu'elle avait observé la nuit en était la cause ? Elle se sentait démunie face à ces bouleversements. Comment une petite elfe pourrait comprendre ces événements mystérieux ? C'est en tant que chouette effraie qu'elle allait essayer de mener son enquête, dès la tombée de la nuit.