La reine des plaisirs

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Il y avait, en l’an mille cinq cents, une ville nommée Ys, située sur un éperon rocheux, au large de Douarnenez. Elle était dirigée par une femme, ce qui ne s’était jamais vu. Elle était considérée comme une sorcière car elle soumettait d’un seul regard tous les hommes de son royaume.

La cité était florissante, peu de gens pouvaient critiquer sa gestion. Tous les jours, partaient et revenaient sur l'île de nombreux bateaux, qui commerçaient avec toute la Bretagne. Leur richesse était en effet souterraine : dans la mer, à une dizaine de mètres de profondeur, là où s’était établie la ville, se développaient à profusion des coquilles Saint Jacques et des huîtres. Ce qui faisait la fierté de tous les habitants.

Chacun d'eux avait une activité en rapport avec cette production extraordinaire : on pouvait ainsi trouver des fabricants de paniers pour le transport de ces précieux coquillages, des cuisiniers talentueux élaborant des menus spéciaux avec ces fruits de mer, un peintre officiel de la reine, illustrant le livre royal et des couturiers élaborant des tenues spéciales pour aller dans l'eau.

Tous avaient un niveau de vie très élevé grâce aux bénéfices dégagés de la vente de ces coquillages, leur or marin. Des bateaux de commerce naviguaient des jours entiers depuis la Mer Baltique ou la mer Noire pour venir chercher cette récolte miraculeuse.

Or, cette manne ne dura pas longtemps.

Katell, leur reine, menait une vie dissolue, que chacun réprouvait : des fêtes somptueuses avaient lieu dans son château. Des feux d’artifice coûteux étaient tirés depuis la tour de son beffroi, des invités prestigieux étaient conviés gratuitement, chaque soir, et surtout, elle multipliait les amants et les soirées qu’on décrivait comme lubriques.

Des serviteur effarés en avaient fait le récit :

  • Elle boit du vin d’Espagne à même le goulot !, raconta son chambellan.
  • Elle revêt des tenues si légères qu’elle ferait pâlir le plus excentrique des hommes !, confia sa servante.
  • Elle se vautre dans des canapés de velours en compagnie de plusieurs hommes !, s'exclama son habilleuse.
  • Elle prend des bains chauds, dont l’eau est maintenue à bonne température par des serviteurs pendant des heures !, dénonça le cuisinier en chef.
  • Elle parle à ses sujets de la façon la plus inconvenante, jusqu’à les faire rougir, lança le garde royal.
  • Les plats qu’elle réclame sont tous épicés, de façon à les rendre aphrodisiaques !, déclara l'artificier en chef.

Tous les hommes du royaume s'étaient rendus au moins une nuit en sa demeure pour participer à ces soirées frivoles. Même ceux qui étaient mariés et pères de famille. Un seul n’avait pas accédé à sa demande et avait osé s'opposer à ses désirs. C’est justement cette personne-là que Katell convoitait.

Comment le faire ployer ?

Lui proposer de l’argent, un statut élevé dans le royaume, des biens, des femmes, un mariage ?

Il ne désirait rien de tout cela.

Car il aimait les hommes.

Il vivait en ermite non loin du royaume.

Il ne portait pas de beaux vêtements.

Il priait toute la journée.

Personne ne parvenait à lui parler, car il aimait être seul. Il cultivait lui-même son petit lopin de terre, dans un endroit abandonné, où la terre était aride et battue par les vents.

Il était autant mystérieux qu’elle était excentrique.

Katell continuait à dépenser sans compter tout ce que le royaume engrangeait.

Un jour, l’ermite, Aélig, entrevit dans ses esprits la chute de la ville. Il inspecta le rocher sur lequel elle était établie et découvrit de nombreuses failles, plus ou moins importantes, tout autour du récif. Malmenée par la mer, quelquefois secouée par des bateaux qui s’échouaient là, sa structure était fragilisée. Il fallait intervenir sous peu et consolider tout le royaume sous peine de le voir s’écrouler.

Comme il était mal considéré, et que tout le monde se méfiait de lui, il ne voulait pas que l’idée vienne de lui. Il rentra en contact avec le plus proche conseiller de la reine, pour qu'il la convainque d'agir.

Celui-ci prit en considération sa demande qui n’était pas si folle, et prit rendez-vous avec la reine.

  • Ma reine, le château commence à s’effriter par endroits, des blocs de pierres se décrochent et roulent jour après jour jusqu'en bas du château. Il se peut qu’à cause de la fureur des éléments, votre demeure ne conserve pas sa haute stature bien longtemps. Il serait sage de voter une somme conséquente allouée à ces travaux.
  • Hors de question, conseiller. Je ne vois que beauté et splendeurs autour de moi, retournez à vos cahiers de doléance, les travaux attendront.

Elle se leva d’un air digne, sa robe longue en organza traînant au sol, ses cheveux roux ceints d’un bandeau en or bien en place sur sa tête. Peu importaient les avis des uns et des autres, elle continuait à profiter de la vie et de ses plaisirs.

Katell était bien trop imposante pour qu’on la contredise.

Ce n'était pas son seul pouvoir : les soirs de pleine lune, elle montait sur les marches de la plus haute tour, et se transformait en elfe. Ainsi, présente sous une nouvelle apparence, elle profitait d’une seule nuit par mois pour voler dans les airs, et rejoindre sa communauté, installée dans le creux d’un chêne, au milieu de la forêt. Elle s'y ressourçait, trouvait l'apaisement parmi ces petits êtres simples et naïfs. Elles les considéraient comme sa vraie famille.

Un soir, Aélig, qui arpentait le bord de mer la nuit, pour réfléchir sur le monde, la vit se transformer. Il fut convaincu qu’elle était un être surnaturel et donc magique. Il s’en fut le raconter à tous ceux qui voulaient l’entendre, mais comme d’habitude, on le traita de fou.

Anaé arrêta là sa lecture. Chaque ligne de ce livre lui faisait mal aux yeux et à l'âme. Son ancêtre s'était mal comportée. Elle ressemblait tant à Katell que le vieux mage pensait que c'était elle qui était à l'origine de la destruction de la ville d'Ys. Elle entendait la respiration régulière de l'ermite endormi. C'était donc lui qui avait prévenu la reine, mais n'avait pas été écouté. Il se vengeait.

Sauf qu’il se trompait d’elfe. Anaé n’était pas celle qui vivait dans le royaume d’Ys en l’an 1500, bien que la ressemblance était frappante. Le mage l'avait privée de cette appendice commun à toutes les elfes pour la punir de ce qu’elle aurait fait en ce temps-là. Cette amputation n'était-elle pas suffisante ? Comment convaincre ce mage qu’il faisait une erreur ?

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