De vieux oracles
Anaé chercha dans le vieux grimoire quelques préceptes qui l’aideraient à définitivement lever le sort qui s’était abattu sur elle. À la cent douzième page, elle trouva ce qui lui permettrait de changer sa vie.
Un phrase écrite en italique accompagné d’un astre blanc lumineux au milieu de la page l’intrigua :
«Le sort tu changeras lorsque la lune pleine tu regarderas. Ainsi ton destin tu transformeras, ton corps sa forme reprendra. Dans tes mains le laurier tu frotteras et à genoux tu l’offriras. Alors le sort se dissipera».
C’était la clé de sa transformation ! Elle comprit que si elle s’apprêtait à faire ce qui était écrit, elle aurait comme tous les membres de sa famille des ailes, mais ne se transformerait plus en chouette effraie la nuit. Elle devait calculer le nombre de jours qui la séparaient de la pleine lune pour accomplir cette mission, c’était son dernier espoir pour que tout redevienne comme avant.
Elle avait adoré vivre en secret la vie d'un oiseau nocturne, être différente et détenir des pouvoirs nouveaux mais elle mettait en danger sa famille. Elle culpabiliserait si elle continuait à garder ce secret et à faire comme si de rien n’était. Sa famille était en danger par la faute de la reine Katell, qui par sa ressemblance, avait fait croire au mage qu’elle était présente de nos jours en Anaé. Une fois libérée de ce sortilège, elle devra décider que faire de ce mage qui pourrait continuer ses méfaits malgré tout. Elle n’était pas méchante, il faudrait trouver le moyen de l’éloigner de façon certaine le plus loin possible. Mais lequel ?
La nuit arriva, apportant son lot de doutes et d’inquiétude pour le devenir de son peuple. Plus les heures avançaient, plus l’angoisse l’étreignait. Il fallait qu’elle sache quand procéder à la réalisation du précepte. Elle décida d’aller voir Ornelle, son amie chouette. De son ton le plus naturel possible, elle l’interrogea :
— On m’a dit qu’à la pleine lune des centaines de musaraignes sortent de la forêt, je m’en délecte à l’avance. Sais-tu quand cela se produit-il ?
Ornelle, perchée sur une branche, le dos droit, le regard lointain, fut surprise par sa demande. Elle la regarda de ses gros yeux perçants.
— Qui t’a dit ça ?
Elle paraissait déçue de n’être pas la seule à se lancer à une chasse aux rats nocturne, elle aurait aimé garder le monopole de cette nuit-là.
— J’ai entendu deux hiboux en discuter tout à l’heure, simple curiosité, vois-tu, je m’adapte de mieux en mieux à cet univers, mais rassure-toi, je n’ai pas un gros ventre, deux ou trois suffiront à me rassasier.
Cela parut la convaincre, elle esquissa un demi-sourire gourmand.
— Dans deux jours exactement, dès la tombée de la nuit. Mais si jamais tu me vois, change de territoire, cela vaudra mieux pour toi.
Décidément, il n’était pas facile de créer une amitié durable. Anaé comprit que dès que le sujet de la nourriture était entre eux, la camaraderie ne comptait plus. C’était chacun pour soi. Cela la conforta de mener à bien cette dernière étape avant de réintégrer son peuple, qui somme toute, convenait mieux à son tempérament. Elle détestait la méchanceté et les gens qui ne voient que leur propre intérêt.
Fébrile, elle se rendit dans la forêt à la recherche de laurier. Ainsi elle se préparait pour ce moment important de sa vie. La nuit sombre l’obligea à faire attention à chaque buisson, à chaque plante. Plus d’une fois, elle crut en apercevoir, mais se trompa. Sa quête dura toute la nuit.
Bien que n’ayant besoin que de peu d’heures de sommeil, elle sentait ses pattes flageoler, son attention s’amoindrir. Comme elle marchait depuis longtemps, elle craignit que l’aurore ne la montre ainsi dans une clairière, à la vue de tous. N’y avait-il pas quelques prédateurs sauvages qu’elle devait éviter ?
Justement, elle entendit un bruit de feuilles. Un animal brun et long avec une queue touffue balayait de ses petits yeux noirs les fourrés à la recherche de nourriture. Elle trembla tout à coup, certaine de se trouver là en présence d’un ennemi. Elle s’immobilisa du mieux qu’elle put, retint sa respiration. Jusqu’ici elle avait eu beaucoup de chance.
La fouine la vit. Elle se jeta d’un bond rapide sur Anaé qui lui assena désespérément des coups de serre. L’animal aux dents pointues transperça son dos à travers ses plumes. Elle cria, essaya de se débattre pour s’envoler, un deuxième coup de dents lui fit terriblement mal, sa tête tournait, elle perdit l’équilibre. Heureusement, elle put prendre son élan à temps et gagner la cime d’un arbre, la bestiole ne put l’atteindre et redescendit, dépitée.
À peine remise de ses émotions, elle survola la forêt en quête de cette essence qui lui permettrait de définitivement quitter le milieu animal, fait de dangers trop effrayants pour qu’elle put l’apprécier.
Enfin, elle l’aperçut : ses feuilles vertes brillantes ne trompaient pas, son odeur douce et enivrante lui confirma que sa mission était terminée. Elle rentra chez elle, masqua comme elle put ses blessures en adoptant une tenue qui recouvrait entièrement son corps. Elle s’arrangea pour cacher au plus vite le laurier dans une de ses nombreuses cachettes, au creux d’un arbre. Rassurée, reprenant ses esprits, elle alla à la rivière comme chaque jour pour procéder à sa toilette et remplir des cruches d’eau.
— Anaé, l’interpella Soléa, sa grande sœur, viens promener avec moi.
— Bien-sûr, tu veux cueillir des fleurs pour nos cheveux ?, demanda-t-elle.
— Oui, bonne idée et de la mousse aussi pour nos couches.
Enthousiastes, les deux filles partirent main dans la main sur les chemins qu’elles connaissaient bien. Malgré la fatigue, Anaé était heureuse de retrouver ces plaisirs simples, elle était en parfaite communion avec son peuple constitué d’elfes autonomes et actives qui la rendait fière. Elle se promit de veiller sur elles jusqu’à son dernier souffle.
Justement, elle s’inquiétait à chaque minute de la tournure qu’allaient prendre les événements. Elle savait que seule son action influerait sur leur devenir. C’était une sacré responsabilité. Elle regarda intensément le ciel bleu exempt de nuages. Elle se surprit à prier pour des jours meilleurs.
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