Une nuit avec Suzanne
Suzanne était une employée du West Royale ; une blonde aux cheveux doux, aux yeux noisettes et aux gestes sensuels… Elle travaillait à Guthrie avant même que Jessie n’arrive en ville, et les deux femmes s’étaient tout de suite bien entendues. Elles avaient la même conscience professionnelle, le même cœur sur la main – entre autres choses.
Ce soir-là, comme c’était le cas une fois par semaine environ, Suzanne partageait la chaleur de ses bras avec la patronne. Éclairées par les lueurs crépusculaires d’une lampe à huile posée sur la table de chevet, elles échangeaient caresses et baisers sans se presser.
— Tu penses au type de l’après-midi ? murmura Suzanne au creux du cou de sa concubine.
Jessie était étendue sur les couvertures comme un flocon de lumière sur un manteau de neige, le ventre nu, seins bombés sous ses doigts, une cascade de cheveux noirs pareille à la nuit ruisselante sur ses épaules. Ses hanches et ses cuisses étaient emprisonnées sous une culotte bouffante qui se terminait en dentelles au-dessus des genoux, et la main de Suzanne glissait dans la lanière de la ceinture, suivant la rondeur de ses fesses, la chaleur de sa peau… Pourtant, Jessie était froide.
— Je ne sais pas, fit cette dernière en embrassant la joue de son amie du bout des lèvres.
— Il y a quelque chose qui te tracasse.
La prostituée avait offert sa couche à la belle brune assez souvent pour la connaitre plus torride. À cet instant, elle était semblable à une poupée de cire, raide et sans défense. Suzanne tenta de la rallumer en faisant tomber sa chemisette de nuit sur ses hanches, exposant la fermeté de sa poitrine en goutte d’eau, lui offrant deux tétons dressés comme des gâchettes n’attendant que d’être actionnées, mais la gérante se contenta de les caresser du bout des pouces, sans passion.
— La femme que le sheriff a arrêtée… marmonna-t-elle.
— C’est elle qui te met dans un tel état ?
Dans une ultime tentative pour assouvir sa faim, l’employée se pencha sur la patronne, embrassant toutes les taches de rousseur de sa gorge à pleines lèvres, nombril contre nombril, promenant son index entre les rondeurs de ses fesses… sans succès. Elle finit par se redresser pour s’asseoir contre la tête de lit, baissant les armes pour de bon, et Jessie lui adressa un regard désolé du fond de ses iris sombres et pourtant si tentateurs.
— Je ne voulais pas te contrarier, assura-t-elle d’une voix douce. Je présume… Que ce n’est pas le bon soir.
— Ça ne fait rien, répliqua Suzanne en grattant une allumette pour embraser le bout d’un cigare déjà bien entamé.
Elle était frustrée, mais sincère. Jessie n’était pas le genre de femme avec laquelle il était facile de se fâcher – et cela, même lorsque son adorable corps se trouvait couvert de robes ou de quelconques habits.
— Alors… s’enquit la prostituée en soufflant un nuage de fumée au-dessus de son visage. Qu’est-ce qu’il y a, avec cette donzelle ?
— C’était une amie d’enfance.
Une amie d’enfance ? La patronne n’avait pas conquis le cœur de la ville avec ses confidences : en fait, personne ne savait vraiment ce qu’elle faisait, avant de venir se poser à Guthrie.
— Elle n’a pas eu l’air de te remettre, remarqua Suzanne. Tu es sûre que tu ne confonds pas ?
— Certaine. Elle a donné son nom complet au desperado, avant de le tuer. C’était elle.
— Si c’est le cas… Ton amie est dans de sales draps. Le sheriff n’a rien voulu entendre.
Jessie observait ses orteils se tortiller sur ses chevilles, d’un air enfantin, comme si cela lui permettait d’éviter ces contrariétés.
— Il ne m’a même pas laissée venir lui parler… soupira-t-elle enfin.
Suzanne n’avait pas souvenir d’avoir déjà vu son employeuse aussi vulnérable ; pour tenir le West Royale au creux de sa paume, cette dernière avait plutôt eu tendance à maintenir une main de fer et à ne jamais dévoiler ses impuissances. Et puis, c’était toujours elle qui trouvait des solutions aux milliers de petits problèmes auxquels devaient faire face les filles, chaque jour… Troublée, la prostituée posa les doigts sur la joue de son amie, ramenant les éclats obsidienne de son regard soucieux vers elle :
— Arrête de t’en faire, assura-t-elle. Si c’est un tel problème pour toi, nous allons t’aider.
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