Esnery I (1/2)

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— Ma reine, vous êtes resplendissante, fit la jeune servante en déposant le collier de diamants azurs autour du cou hâlé de sa maîtresse qui terminait sa tenue.

La souveraine s'observait dans le miroir d'un air nostalgique. Elle se tenait devant ce même miroir trente ans auparavant, lorsque ses parents, de puissants seigneurs, l'avaient offerte en mariage au roi de Nélide pour sceller une alliance entre leurs peuples.

À l'époque, elle n'était qu'une adolescente innocente et ignorante de ce que cette union signifierait pour sa famille. Ses années passées à la cour lui ont appris la politique. La vraie, celle derrière les masques. Celle que l'on cache à la population.

Esnery avait imité, pris des notes et étudié avec rigueur ce qui était nécessaire pour faire d'elle une bonne reine. Certaines bourgeoises diront que la séduction est le meilleur atout d'une femme pour obtenir ce qu'elle veut. Et elles ont raison. Encore faut-il savoir s'en servir. L'elfe avait une autre idée du rôle de la femme dans la société, et pas celui d'une poupée docile et coquette qui se laisse assujettir par la gent masculine.

Le visage enfantin de la domestique la sortit de ses pensées. La petite était postée devant elle, sur son tabouret, les yeux grand ouverts.

— Vous ne trouvez pas ? Cela vous déplaît-il ?

— Si, bien sûr, répondit la maîtresse, un peu embarrassée par ce moment d'absence. Elle est magnifique.

— Madame Salanel a effectué un travail remarquable, ajouta la fillette. Monsieur vous aurait adoré dans cette tenue.

La souveraine sourit en voyant la mine satisfaite de sa servante. Elle aussi, plus jeune, était heureuse pour un rien.

Cependant, même si elle le cachait, la mort récente de son époux avait été un coup dur. Le roi de Nélide avait protégé le territoire durant cent ans et apporté la paix et la prospérité au peuple. Il était respecté au-delà de ses frontières, jusqu'en Kaaloss. Avant de quitter ce monde, le souverain avait désigné sa femme comme successeur, contrairement à la loi du pays qui stipule que l'héritier mâle accède au trône.

Ainsi, Azanor, l'aîné du roi, avait contesté la décision de son père, en vain. Pour exprimer son désaccord face à cette injustice, le prince s'était ensuite exilé dans les montagnes d’Émeraude, à l'extrémité du royaume, et avait refusé d'apporter son aide à la jeune reine.

Cette dernière, néanmoins, s'était montrée forte et avait démontré sa capacité à gouverner. Elle avait repris le flambeau et le peuple s'en portait bien.

— Va trouver le seigneur Malaebus, veux-tu ? proposa avec douceur Esnery à la fillette, revenant à la réalité.

— Très bien, madame.

La petite se courba en une révérence un peu maladroite puis sortit de la chambre, laissant la jeune femme seule. Cette dernière souffla : la châleur de l'été la faisait transpirer dès la sortie du bain. Elle ferma la porte à clé avant de retirer les diamants de son cou et l'or de ses poignets. Elle défit également sa robe de soie safran qui tomba.

L'elfe se tenait toujours face au miroir. Sa chemise laissait apercevoir ses formes généreuses, bien qu'altérées par le temps. Elle avait hérité du teint bronzé de sa mère, mais des yeux émeraudes de son père. Ses longues oreilles remontaient en pointes, typique de son espèce, et ses cheveux dorées lui arrivaient jusqu'au ventre. Elle le savait : sa beauté n'égalait plus celle des jouvencelles mais son charme et son expérience arrivaient encore à tourner la tête des hommes.

— Ma reine ? fit la voix timide de Malaebus qui toquait à la porte.

Celle-ci s'empressa de se rhabiller et déverrouilla la serrure pour le laisser entrer. Le vieil homme était mince, le cou allongé et l'air hautain, mais parfaitement docile avec sa souveraine. Il se hâta de baiser la main de cette dernière avant de replaquer ses cheveux gris vers l'arrière de son crâne.

— Tout va bien ? s'enquit le vassal. Votre robe vous plaît ?

— Elle est splendide, merci seigneur Malaebus.

— Que Shallagaar soit loué ! Faites attention, vous risqueriez d'éblouir les invités plus que la future princesse.

L'elfe rougit et laissa échapper un petit rire coquet, le même genre qu'elle haïssait d'habitude.

— Shallagaar n'a rien à voir là-dedans. C'est le travail de notre couturière royale qu'il faut loué.

— Bien sûr, bien sûr, acquiesça le vieil homme. Madame Salanel n'a aucun égal sur le Continent.

Il sourit puis se rappela que la souveraine l'avait fait mander et ajouta aussitôt :

— Annabel est venue me chercher. En quoi puis-je vous aider ?

— J'aimerais que vous m'épauliez lors de la prochaine séance de doléances.

— Le seigneur Ephranel n'est pas disponible ? interrogea le vassal, étonné mais non moins content de cette soudaine requête. C'est lui qui vous accompagne d'habitude.

— C'est vrai, rétorqua Esnery. Cependant j'ai envie que ce soit vous aujourd'hui. J'ai confiance en votre expérience et je souhaiterais approcher les problèmes du royaume sous un angle différent.

— Sage décision, ma reine, ce serait un honneur pour moi. Avec grand plaisir.

— Très bien. Retrouvez-moi cette après-midi à la salle du trône.

Le seigneur hocha la tête et baisa la main de la souveraine avant de quitter la pièce. La reine enleva à nouveau sa tenue et la déposa sur le côté puis choisit celle qu'elle allait porter pour écouter le peuple. Son peuple.

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