31 - Le retour (à réécrire)

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 On frappa deux coups à la porte. Dame Calwaën se frotta le front avant de lancer un bref "entrez". Elle avait passé la journée derrière le miroir à appréhender les événements passés. Jamais en quinze ans de carrière elle n'avait connu pareille épreuve. Des élèves étaient morts. Ils avaient été massacrés. C'était à croire que la guerre qui frappait au sud les avait gagnés par surprise. L'avenir semblait se précipiter tout à coup. Elle devait trouver des réponses, sans quoi le pays traverserait bientôt un chaos sans précédent.

 – Entrez, lança-t-elle à nouveau.

 Le battant s'ouvrit sur un visage familier.

 – Maya ? avança-t-elle étonnée en fronçant les sourcils.

  Était-ce bien elle ? Avait-elle bien vu ? Interloquée, elle se leva de sa chaise plus vite qu'elle ne l'aurait voulu, manquant de la faire tomber. La jeune femme qui venait de pénétrer dans la pièce ressemblait trait pour trait à celle qui avait quitté la Dragonnerie des années plus tôt, à la différence que sa silhouette paraissait plus fine. Plus frêle.

 – Bonsoir Ella...

 Pas de doutes : c'était bien elle.

 – Que fais-tu ici ? demanda-t-elle froidement.

 Elle aurait dû être courtoise, surtout après tant d'années. Pourtant Maya avait laissé en elle de profondes blessures. Elle était partie du jour au lendemain sans plus d'explications. Elle s'était comme évaporée, l'abandonnant à ses questions...

 A l'époque, elle affichait un air pétillant, empreint de malice et avide de quêtes extrêmes, comme ils aimaient tous à s'imaginer l'avenir. A présent, il était grave, soucieux, un peu trop sérieux même. Elle n'était pas là par hasard.

 – Je passais dans le coin...

 – Que veux-tu ? demanda-t-elle de but en blanc.

 – Je voulais juste vous voir...

 Dame Calwaën retint un petit rire qui se coinça dans sa gorge.

 – Allons bon, ne joue pas à ça avec moi. Nous savons toutes les deux que tu ne serais pas venue sans une bonne raison. Que cherches-tu ? réitéra-t-elle en la fixant dans les yeux.

 Maya soutint son regard sans prononcer un mot. Quel gâchis... Voilà ce qu'avait été leur amitié : du gâchis. Des années à sympathiser pour se retrouver là à ne rien pouvoir se dire. Qu'y avait-il de si important dans sa vie qu'elle n'ait pu lui en parler à l'époque ? Que cachait-elle ?

 – Argy est au courant ? demanda-t-elle.

 – Pas encore.

 Le contraire l'aurait étonnée.

 – Et tu comptes rester ?

 – Je ne sais pas encore...

 Une pointe d'hésitation accompagna la fin de sa phrase. Oui, elle voulait rester, Ella en était convaincue, elle le lisait dans son regard. Mais comment justifier son retour après tant d'années ? Comment convaincre Argy ? Il était bien le dernier à faire confiance... Il se poserait des questions, comme elle. Maya avait toujours été pleine d'ambition. Déjà apprentie alors qu'elle visait à intégrer le Dragonium, elle avait pris part aux les conflits au sud. Elle répétait à qui voulait l'entendre que le salut des Huit résidait dans le lien Héros-dragons et qu'elle trouverait un moyen de le prouver. Elle avait forcément une idée derrière la tête. On ne pouvait revenir d'entre les morts par simple hasard. Que cachait-elle ? Que ne leur disait-elle pas ?

 A moins que...

 – Quand est-ce que tu es arrivée, exactement ? demanda-t-elle, soudain curieuse.

 – Il y a une semaine. J'ai séjourné en ville un moment.

 Une semaine... Juste avant le début des épreuves. Juste avant que les flammes ne dévorent le ciel. S'agissait-il d'une coïncidence ? Non, Maya était une fille intelligente...

 – Et comment va ton dragon ?

 – Ça pourrait allait mieux, lâcha-t-elle. On a beaucoup voyagé ces derniers temps. Elle avait besoin d'un endroit où se reposer.

 – Et elle avait l'air sincère. Une lueur de tristesse traversa même son regard, sentiment qu'elle ne lui avait jamais connu ; Maya n'était plus que l'ombre d'elle même. Elle qui avait été solaire, pétillante et enjouée était à présent devenu terne, livide, cadavérique, presque, marquée par quinze années d'une vie trop lourde à porter. A en juger par son air éreinté, elle avait rencontré plus d'obstacles que ne le laissait entendre le ton de sa voix.

 – Si tu veux, je glisserai deux mots à Argy, finit-elle par lâcher.

 Maya acquiesça en silence. Quinze années n'avaient pas suffit à effacer son départ. Elle lui en voulait et lui en voudrait probablement toute sa vie, mais elle ne pouvait se résoudre à l'abandonner une nouvelle fois. Au moins soulageait-elle sa conscience ; si Maya voulait partir à nouveau, disparaître comme elle l'avait fait par le passé, elle serait libre. Mais ce ne serait pas de sa faute.

 – Ella ? l'interpella la jeune femme alors qu'elle s'en retournait à son bureau.

 – Mmm ?

 – Tu te souviens de notre dernière discussion ?

 Bien sûr qu'elle s'en souvenait. Elle s'était repassé chacune des minutes qui avaient précédé son départ tant de fois que ce moment était resté gravé en elle. La dispute. Les dragons sauvages. L'éclat à la passe du Sud qui avait précipité son amie dans sa quête. Dans un long soupir, elle se retourna :

 – Qu'es-tu venue faire ici, Maya ? Et ne me raconte pas n'importe quoi. On sait toutes les deux que tu n'es pas là par hasard.

 La jeune femme se crispa, son regard se durcit. Dame Calwaën sentit une pointe de déception la gagner. Elle ne dirait rien. Elle s'était tellement de fois imaginé ces retrouvailles qu'elles lui semblaient à présent aussi irréelles qu'insipides. Le temps avait œuvré, altérant durablement leur relation. Toute confiance s'était envolée.

 – Tu ne diras rien, c'est ça ?

 – Les choses sont compliquées, rétorqua Maya.

 – Le sont-elle seulement ? Les apprentis ont été attaqués, le Dragonium risque de débarquer d'une minute à l'autre, et toi, tu choisis justement ce moment pour réapparaître. Avoue que ça porte à confusion.

 – Pense ce que tu veux. Mais souviens-toi que vu l'état de votre lien, à toi et ta dragonne, ce n'est pas elle qui te sortira de là...

 Sur ces mots, Maya fit demi-tour et disparut dans le couloir. Un sentiment amer s'empara d'Ella lorsqu'elle se retrouva seule. Pourquoi fallait-il toujours qu'on en revienne à sa dragonne ?

 Elle jeta un dernier coup d'œil au miroir au travers duquel les candidats qui avaient réussi la première épreuve rigolaient naïvement autour d'un feu. Combien de temps encore l'insouciance se lirait dans leurs traits ? Avaient-ils seulement le droit de les précipiter vers l'avenir incertain qui se dessinait ? D'un profond soupir, elle décida de laisser ces questions au lendemain et gagna son lit, inquiète. Si la situation dégénérait, qui la sauverait, elle ? Maya avait raison, elle avait du souci à se faire.

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