Yuling se réveilla les jambes complètement raides et ramassa le sac pendant que Solrik achevait de se préparer. D'énormes cernes auréolaient ses yeux ; il avait passé la nuit à veiller et ne semblait pas en grande forme. Leur unique oeuf n'avait pas bougé, pas éclos non plus. L'angoisse qui l'avait quittée le temps de la nuit refaisait surface : avait-elle perdu sa chance ? Devaient-ils récupérer un oeuf au risque de voir disqualifié un autre candidat ? L'idée ne lui plaisait pas, et pourtant...

 Tandis qu'ils se remettaient en route, Yuling indiqua les positions exactes des groupes qui les devançaient au garçon. Ils décidèrent dans un premier temps de progresser avec prudence, afin de sécuriser ce qui leur appartenait. Restaient ensuite quelques détails à régler : comment survivraient-ils sans nourriture et sans eau ?

 – Attends, fit Solrik en la retenant par le bras.

 Le garcon s'accroupit, les paumes de main sur les tempes, et ferma les yeux.

 – Qu'est-ce que tu fais ?

 Il resta immobile dix bonnes secondes durant lesquelles la jeune fille l'observa en silence tandis qu'il se concentrait.

 – Si on continue sur la droite, en contrebas, je pense qu'il y a un ruisseau, finit-il par indiquer en hésitant. On devrait faire un detour.

 La jeune fille se pencha pour essayer de distinguer à travers la forêt qui se dessinait plus loin le cours d'eau en question. Mais bien qu'ayant souvent suivi Mees dans ses excursions en montagne, rien ne lui permettait d'appuyer son hypothèse.

 – Tu en es certain ?

 – Pas totalement, mais j'ai de bonnes chances de le croire...

 Solrik ne s'étalla pas en explications et évita son regard. Il lui cachait quelque chose. C'est alors qu'elle se remémora la position étrange de ses mains et se demanda si elle n'avait pas manqué un détail.

 – De la magie ? releva-t-elle. Vraiment ? Pourquoi tu ne l'as pas dit plus tôt ?

 – Il y a certains détails qu'il vaut mieux ne pas révéler à n'importe qui... Et si tu veux bien, je te demanderai de garder le silence concernant ce que tu viens de voir.

 Yuling soupira éxagérément :

 – Je suppose qu'on a plus qu'à aller vérifier, marmonna-t-elle pour elle-même.

***

 Le tintement de l'eau leur parvint bien avant qu'ils n'aperçurent son cours. Un fin duvet de mousse recouvrait le sol encore humide. Yuling suivit Solrik dans ses pas tout en se rattrapant aux branches pour ne pas glisser.

 – Les animaux ont l'habitude de venir s'abreuver là, fit-elle remarquer en pointant du doigts les sentes.

 – Et c'est bien ce qui me chagrine. A mon avis, nous ne sommes pas les seuls dans le coin. A partir de maintenant il faudra qu'on soit plus vigilents. Si on croise un groupe, on pourra peut-être en profiter pour récupérer un oeuf.

 – A propos de ça...

 Yuling hésita. Solrik releva les yeux sur elle.

 – J'aimerais aurant qu'on évite... Je ne veux pas être la cause de la déception d'un candidat.

 Solrik se moqua d'elle.

 – Tu fais dans le sentimental, maintenant ? Tu penses réellement qu'ils auront autant d'état d'âme si la situation inverse se présente ?

 – Donc tu préfères que je le leur vole ?

 – Et pourquoi pas ? On t'a bien volé le tien...

Yuling se renfrogna et referma ses mains sur les bretelles du sac. Est-ce que devenir un Héros nécéssitait forcément de devenir quelqu'un de peu recommandable ? A ses yeux, ils étaient des modèle,s mais que connaissait-elle réellement de leurs exploits ? Est-ce qu'ils étaient tous passé par là ? Avaient-il dû eux aussi éffectuer des choix difficile ? Elle s'imaginait déjà la tête que ferait le candidat lorsqu'elle lui prendrait l'oeuf et fit la grimace. Sans compter le risque qu'ils avaient de perdre le second. En même temps, avait-elle seulement le choix ?

 C'était une histoire de conscience : jusqu'où était-elle prête à aller pour devenir Héros ? Voler ? Tuer ? C'était peut-être là tout le but de cette épreuve : les confronter à eux-mêmes...

 – Cesse de te tourmenter l'esprit et avance, la rabroua Solrik en lui faisant une pichenette sur le front. On a encore pas mal de chemin et je meurs de soif.

 Yuling jeta le sac plus qu'elle ne le posa en arrivant aux abords du cours d'eau. Elle affichait une mine de trois pieds de long et son air épuisé laissait entendre qu'elle en avait marre de se sentir sans arrêt sur le qui vive. A ce stade, l'épreuve en devenait plus psychologique que physique ; cette angoisse permanente entremêlée de doutes l'épuisait.

 Après s'être assurée que l'oeuf n'était pas cassé, Yuling s'appliqua à remplir leur gourde pendant que Solrik se rinçait le visage. L'eau était claire. Les remous jouaient entre ses doigts et elle put se rafraichir à son tour.

 – Tu crois que si on le couve il finira par éclore ? plaisanta-t-elle, sarcastique, à l'intention de Solrik.

 – Ou alors il finira en omelette avant la fin de l'épreuve... rétorqua-t-il en se passant une main sur le ventre.

Elle qui avait brièvement éffleuré son rêve le jour de la remise des oeufs se sentait à des lieux de l'avenir radieux qu'elle s'était imaginé. La désillusion, voila la véritable épreuve à laquelle ils étaient confronter. Affronter le froid, la pluie, la faim, la peur ; laisser l'instinct parler tout en aiguisant ses sens...

 Elle laissa son regard se poser sur le fil du destin : est-ce que le sens de tout ça n'était finalement pas de réaliser qu'on ne pouvait compter que sur soi ? L'oeuf n'avait pas besoin d'être couvé, pas plus que son équipier. Il ne tenait qu'à ses capacités, qu'à sa volonté, de réussir là où tant avaient échoué. Et pour ça, elle n'avait pas le droit à l'erreur...

 – On ferait mieux d'aller trouver ce groupe, dit-elle résignée.

 La main de Solrik se referma sur son bras qu'il tira pour l'encourager à se baisser.

– Ne bouge pas, murmura-t-il soudain très sérieusement.

 Surprise, Yuling se figea et d'un léger coup d'oeil, l'interrogea du regard.

– Surtout ne bouge pas...

 Discrètement, il lui indiqua l'autre côté de la rive. Yuling suivit son regard ; à l'orée des arbres, là où poussaient de hautes fougères, se mouvait en silence une silouhette étrange.