41 - Ragnel et Daekan (à réécrire)

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 – Et... pour le repas ? demanda Ewa qui affichait une moue déçue.

 La jeune femme sembla se perdre dans ses pensées un instant, avant de lui répondre :

 – Ils vous seront amenés dans vos chambres. Personne ne vous laissera mourir de faim tant que vous serez entre ces murs. Que deviendrait un apprenti le ventre vide forcé de côtoyer un dragon affamé ?

 Elle leur adressa un clin d’œil suspect qui arracha une expression étrange à Ewa.

 – C'est quoi le Souffle des Âmes ? demanda Yuling.

 La jeune femme parue surprise et inclina la tête sur le côté, comme si elle cherchait les mots pour expliquer au mieux la situation.

 – Un objet précieux qui ne devrait surtout pas se trouver entre les mains de celui qui l'a pris, enfin je suppose. Mais laissons aux adultes le soin de régler leurs problèmes. Pour l'instant, votre seule préoccupation doit être la Fusion. Et comme nous avons un peu de temps devant nous, j'ai pensé qu'il serait judicieux que je vous présente vos deux aînés...

 Une porte dans le couloir claqua. Dame Calwaën se décala pour laisser apercevoir les deux apprentis qu'elle venait de mentionner, et les présenta :

 – Daekan et Ragnel, arrivés il y a tout juste deux ans. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à vous adresser à eux.

 Le plus grand des deux secoua la main en guise de salut. Il affichait un air jovial qui mit tout de suite Yuling à l'aise. Teint mat, cheveux clairs. Yeux verts, aussi étonnant que cela pouvait paraître. Confiant, il s'empara des lieux sans attendre de réaction des deux filles, ce qui ne plut pas à Ewa.

 Le second, un brin plus réservé, était resté à l'entrée et ne manqua pas de pointer du doigt son attitude :

 – Ragnel, tu pourrais peut-être frapper avant d'entrer, fit-il remarquer.

 Ledit garçon lâcha une expression faussement désolée :

 – Oh pardon, je vous dérange ?

 Yuling se retint de rire tant son côté "sans-gêne" lui paraissait déconvenue. Ewa, elle, fulminait déjà en silence.

 – Bon, eh bien maintenant que les présentations sont faites, je vous laisse, s'excusa Dame Calwaën. Veillez à ne pas sortir de la chambre. Et l'entraînement de demain tient toujours, précisa-t-elle.

 Les quatre apprentis répondirent de concert et la jeune femme s'éclipsa dans un parfum ambré. Daekan soupira en refermant la porte derrière lui.

 – On ferait mieux de profiter parce que les prochaines heures risquent d’être compliquées, avança-t-il.

 Yuling jeta un œil à la cour où les Maîtres s’empressaient de rappeler leurs élèves.

 – Combien de temps va-t-on devoir rester là ? demanda-t-elle.

 – Tu as entendu Ella, jusqu’à demain matin, je suppose.

 – Et ce n’est que le début des ennuis, intervint Ragnel en observant le tas de bagages déposé près du lit.

 Il fronça les sourcils, et s’approcha d’un sac en peau tannée qu’il saisit par curiosité.

 – Touche pas à mes affaires ! aboya Ewa.

 Elle lui arracha le sac. Ragnel leva les yeux au ciel en s’esclaffant :

 – Très bien, très bien. Je ne savais pas qu’il y avait dans cette chambre un dragon plus féroce que celui de Torrish, se moqua-t-il.

 La jeune fille le fusilla du regard mais il s’était déjà tourné vers Daekan, qui avait pris la parole :

 – Combien de temps avant l’arrivée du Dragonium ?

 – Deux jours tout au plus. Adieu liberté, bonjour problèmes ! s'esclaffa-t-il sur un ton dramatique.

 Yuling fronça les sourcils en se remémorant le départ de son frère. N'était-ce pas le Dragonium qui était intervenu dix ans plus tôt, lorsqu'ils avaient trouvé l’œuf dans son village ? Intriguée, elle voulait en savoir plus.

 – Ne sont-ils pas censés protéger les dragons ?

 – Protéger ? releva Ragnel, sarcastique.

 Les bras croisés sur la poitrine, Ewa intervint :

 – Leur arrivée est signe d'ennuis.

 – Ce que veut dire Ragnel, expliqua Daekan, c'est qu'en général, ceux qui se trouvent sur leur chemin en payent le prix.

 – Tu veux plutôt dire qu'ils fourrent leur nez partout, traduisit Ragnel qui se rapprocha de Yuling. Si tu veux mon avis, il y a plusieurs façon de voir les choses. Certains aiment à penser qu'ils protègent les dragons, alors que d'autres, comme moi, sont convaincus qu'il s'agit d'un prétexte pour parfaire leurs appuis politiques. Ils ont bien plus de pouvoir qu'ils ne devraient en avoir.

 – Ça c'est toi qui le dit, rétorqua Ewa.

 – Et tu vas me faire croire qu'une gamine haute comme trois pommes comprend quelque chose à la politique ?

 – Bien plus qu'un abruti dans ton genre ne pourrait l'imaginer.

 – On s'arrête là ! s'interposa Yuling.

 – C'est lui qui a commencé, il a pris mes affaires !

 – J'avoue qu'elle est plutôt mignonne quand elle s'énerve, se moqua Ragnel. Daekan, tu ne trouves pas qu'on dirait un dragonnet enragé ?

 – Et toi je parie que t'es tellement mal luné que même Dame Morgen ne veut pas de toi !

 L'expression du garçon se mua soudain en colère : Ewa avait touché la corde sensible. Mais ce qui interpelait Yuling, c'était ce bref silence qui avait suivi la mention du Dragonium. La simple évocation de l'Institution n'évoquait rien de bon à personne. Plus elle y songeait, plus elle se demandait pourquoi son frère était parti avec eux ce soir-là. si le Dragonium était censé protéger les dragons et que le dragonneau était mort, leur rôle n'aurait-il pas dû s'arrêter aux portes du village ? Alors pourquoi étaient-ils partis avec Mees ?

 Un étrange sentiment lui souleva les entrailles. Une vague de torpeur à laquelle elle n'osait songer.

 L'après-midi se déroula au rythme des anecdotes. Yuling apprit qu’Ella, comme elle s’en doutait, possédait un tempérament explosif. Puis on évoqua les autres professeurs. Ainsi, on l'informa que Maître Tavin était taciturne, et qu’il valait mieux l’éviter les jours où il se levait du pied gauche. Que Dame Elitis passait tant de temps à courir après ses apprentis qu’elle pouvait battre un dragon à la course. Que Morgen cravachait les siens, mais qu’elle obtenait toujours les meilleurs résultats. Et que Connor était dans le collimateur du Dragonium depuis qu’il s’était arrangé pour que le dragon de Cadys dévore la moitié du troupeau.

 – Surtout ne laissez pas vos dragons approcher de la cuisine, précisa Daekan. Ni du poulailler ! Sinon...

 – La moitié des professeurs ici sont fous, renchérit Ragnel, si vous voyez ce qu'on veut dire. Au moins aussi fous que leurs dragons.

 – D'ailleurs, Ella aussi. Ne vous y laissez pas prendre. Quand elle est en colère, c'est une véritable dragonne. Ses yeux se mettent à...

 – A briller, le coupa Ragnel, mécontent. Ses yeux se mettent à briller et elle est resplendissante.

 Ewa et Yuling se mirent à rire tant le garçon semblait avoir été piqué au vif. Daekan préféra changer de sujet pour ne pas le mettre plus mal à l'aise mais personne ne fut dupe.

 – Vous allez probablement avoir besoin d’un peu de temps pour vous habituer à votre nouveau chez vous. J’en connais un qui a mis plus d’un an avant de sortir de sa chambre. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, on sera juste à côté.

 Il désigna le couloir à travers la porte de la chambre et passa un bras par dessus l'épaule de Ragnel en laissant échapper un petit rire.

 – Sinon, c'est probablement qu'Ella aura trouvé un nouveau moyen de nous exploiter, hein ? renchérit son confrère. Elle adore le terrain d'entraînement.

 Il leur fit un clin d’œil et Yuling ne put s'empêcher de rire. Elle aimait bien Ragnel. Son humour, sa bonne humeur. Sous certains aspects, il lui rappelait Mees. En plus jovial, plus charmeur. Moins méfiant, aussi. Elle avait envie de lui faire confiance.

 – Ne te fie pas à ses petits sourires, fit Daekan, pragmatique. Ce qu’il oublie de dire, c’est que la Dragonnerie repose sur un système de classement, et que le tien n'est pas génial. Tu es une Medilium.

 – Une apprentie qui, aux yeux de beaucoup, n'a rien à faire là, poursuivit Ragnel. Les professeurs se montrent plus sévères avec ceux qu’ils ne jugent pas à la hauteur. Et ce qu’ils détestent par-dessus tout, c’est qu’un élève s’échappe du bas du classement et réussisse ; ils n'apprécient pas quand on leur prouve qu’ils se sont trompés dans l'attribution des classes. Rien que pour ça, ils ne te faciliteront pas la tache. Autre chose : une fois l'apprentissage terminé, les Medilium sont sacrifiés. On les envoie directement au front servir de menu fretin, et quand on sait que les dragons sont une cible privilégiée...

 Daekan donna un coup de coude à Ragnel.

 – Bah quoi, j’ai tort, peut-être ?

 – Tu n’as pas besoin de dire les choses comme ça…

 – Plus tôt elle s'y fera, plus vite elle pourra réagir.

 Il avait raison, et c'était précisément la raison pour laquelle Yuling sentait sa gorge se nouer. On ne pouvait pas côtoyer des dragons sans que le pouvoir s'en mêle car c'était ce qu'ils représentaient : la force, la capacité d'agir, l'ascendant sur les plus faibles. Elle n'était plus dans son village où l'activité la plus attrayante consistait à observer les limaces en temps de pluie. En réalité, les épreuves n'étaient qu'un commencement ; un premier pas vers un combat bien plus grand encore. Celui de la reconnaissance.

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