63 - Monceau de magie (à réécrire)

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 Kön et Solrik, ainsi que les autres apprentis, finirent par les rejoindre au Volarium. Yuling ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil à celui qui l'avait aidée. Lui qui d'ordinaire était toujours impeccablement coiffé avait défait son chignon. Ses longs cheveux blonds retombaient trempés et emmêlés dans son dos. Mais même ainsi, il attirait tous les regards. Elle s'en voulut davantage.

 – Qu'est-ce qui s'est passé ? voulut savoir Ewa qui suivait son regard.

 – Une catastrophe. Pire encore.

 Yuling se cacha le visage dans les mains.

 – Je pense qu'il peut comprendre, murmura son amie. C'est une situation particulière.

 La jeune fille se redressa brusquement :

 – Il n'y a rien à comprendre. C'est fichu ! Regarde comme il est trempé, et si tu avais vu sa tête quand je suis partie... Il ne me pardonnera jamais.

 – Mais c'est lui qui a choisi de t'aider. Tu ne l'as pas forcé ! Vous vous étiez mis d'accord.

 Ces paroles lui remontèrent le moral quelques secondes à peine, avant que le jeune homme ne croise son regard et aille volontairement s'asseoir cinq rangs plus bas, l'ignorant totalement.

 – Bon d'accord, il t'en veut, concéda Ewa. Mais il t'en voulait aussi après les épreuves, et regarde...

 Le cœur serré, Yuling remonta ses genoux sur le siège pour y enfouir sa tête, le temps de se calmer. Ces dernières semaines en présence d'Ewa, de Kön et de Solrik lui avaient permis de songer à autre chose qu'à son frère. Même si Mees n'était jamais bien loin, elle s'autorisait parfois à sourire et à profiter des extravagances de leur progéniture. Mes les complications survenues avec sa dragonnette la plongeaient à nouveau dans le passé. Elle avait peur que cette histoire se termine comme la précédente et qu'elle se retrouve de nouveau seule.

 Maître Sylga et Maître Tavin coupèrent court à ses pensées en effectuant une entrée fracassante dans le Volarium. La porte claqua derrière eux. Ils affichaient un air enthousiaste, bien loin de l'ambiance morose qui régnait parmi les apprentis, lassés des entraînements à rallonge par un temps désastreux.

 – C'est ça aussi, être dragonnier, plaisanta Maître Sylga après que tout le monde se soit tû. Parfois il fait beau, on savoure le soleil sur sa peau et le ciel bleu. Et parfois, on prend un bain glacial. Rien de tel pour la circulation.

 Sa blague fit mouche. Pas un seul apprenti n'eut l'âme à rigoler. En revanche son collègue afficha un large sourire. Ils avaient probablement vécu des situations similaires étant plus jeunes et prenaient un malin plaisir à voir leurs apprentis afficher une tête de six pieds de longs pendant qu'ils se contentaient d'observer à l'abri.

 – Je vous laisse nous rejoindre en bas, annonça Maître Sylga en invitant les élèves à descendre. Et j'aimerais que vous vous éparpilliez un peu partout dans la carrière. Pas trop près des voisins s'il vous plaît.

 Les apprentis s'exécutèrent. Solrik et Kön allèrent se ficher dans le coin opposé, si loin que Yuling ne put même pas adresser un mot au garçon, tandis qu'Ewa et Yuling restèrent à une distance raisonnable des Maîtres.

 – Ce que nous allons vous demander-là est un peu particulier, expliqua Maître Tavin. Jusqu'à présent, nous vous avons toujours demandé de renforcer le lien avec votre dragon, mais aujourd'hui, nous aimerions que vous le mettiez à distance.

 Pour une fois, ça tombait bien. Fei était partie s'enfermer dans un coin de son esprit et ne s'était pas manifestée depuis. Yuling se détendit quelque peu. Cela faisait des jours que l'entrainement n'évoluait pas. Elle espérait s'en tirer au moins cette fois-là.

 Maître Sylga fit taire les protestations d'un geste de la main :

 – Qui d'entre vous a déjà accès à sa magie ?

 Quelques élèves levèrent la main.

 – Vous irez par là-bas avec Maître Tavin, fit-il en désignant un coin de la carrière. Les autres vous restez avec moi.

 Il leur indiqua l'espace à ne pas dépasser avant de reprendre :

 – Trouver la voie de la magie la première fois n'est jamais facile, mais c'est un aspect essentiel de tout Héros qui se respecte. Elle vous sauvera la mise dans bien des situations. Pour commencer, vous allez faire le vide dans votre cerveau.

 Ce qui s'annonçait facile, puisque Fei avait décidé de se faire discrète. Mais quelques rires nerveux fusèrent : d'autres, comme elle le matin même, rencontraient des difficultés à faire taire leur dragon.

 – On focalise son attention sur un point visuel !

 Il fit tourner une de ses mains et en une fraction de seconde, une boule de feu apparut flottant entre ses doigts. Des murmures d'excitation retentirent.

 – Si vous ne parvenez pas à faire le vide, fixez cette boule.

 Yuling éclipsa toute préoccupation et s'appliqua à suivre les consignes.

 – Une fois le vide fait, on ferme les yeux, on visualise la boule de feu et surtout on ne résiste pas. On laisse son esprit voyager jusqu'à elle.

 Yuling abaissa ses paupières et visualisa la boule jaune-orangée. Cette dernière flamboyait à chaudes flammes dans ce qui semblait être le cœur de son âme. Elle tenta d'abaisser ses défenses mais la boule disparut instinctivement. Elle retenta l'expérience, mais plus lentement, laissant le temps à la boule de flamboyer davantage. Dès lors qu'elle ouvrit son esprit, cette dernière disparut à nouveau. Un tressaillement remonta jusqu'à sa nuque, la laissant perplexe : pourquoi est-ce que ça ne fonctionnait pas ?

 – J'ai réussi ! cria un apprenti derrière elle. J'ai réussi ! La boule a viré au bleu et j'ai senti comme un courant d'air chaud qui glissait sur ma peau !

 Maître Sylga laissa échapper un petit rire :

 – Certains d'entre vous devraient être capable d'observer l'essence même de leur magie. Bravo, le félicita-t-il.

 Yuling ferma à nouveau les yeux et laissa la vision de la boule prendre le dessus. Elle fit exactement ce que Dame Calwaën lui avait appris : elle l'observa sans la contraindre, sentit la chaleur irradier de son coeur incandescent, suivit les flammes qui léchèrent son esprit. Elle lui laissa plus de temps cette fois que les fois précédentes. Et seulement quand elle la sentit bien ancrée, laissa son âme voyager. A nouveau, la boule disparut en une fraction de secondes.

 – C'est pas possible, gémit-elle.

 Qu'est-ce qui ne fonctionnait pas ?

 – Je crois que j'y arrive, lança Ewa d'une petite voix excitée. J'y arrive et... oh ! On dirait un soleil !

 La jeune fille avait les yeux fermés et s'extasiait devant une vision qui lui était inaccessible. Yuling sentit son cœur se serrer : si elle ne parvenait pas à se connecter à la magie, que se passerait-il ?

 – Essaie encore, l'encouragea son amie.

 Yuling retenta mais cette fois-ci beaucoup moins sereine. Les flammes vacillèrent dans son esprit. La boule semblait danser devant ses yeux, presque inaccessible. Sans grande conviction, elle tenta de l'atteindre, mais celle-ci s'évapora avant même qu'elle ne parvienne à l'effleurer.

 – Je vais passer voir ceux d'entre vous qui rencontrent des difficultés, annonça Maître Sylga. Si ça ne fonctionne pas, ne vous découragez pas. Il faut souvent plusieurs essais.

 Ewa réessaya et à chaque fois obtint la même réponse : une boule qui brillait de mille feux, aux couleurs d'or et d'argent, qui l'enveloppait tout entière, à sa plus grande joie. Elle ne pouvait s'empêcher de sautiller sur place, quand Yuling se demandait ce qu'elle faisait mal. Pas une fois elle ne parvint à obtenir un résultat similaire.

 A un moment donné, la porte s'ouvrit et plusieurs Maîtres dont Dame Calwaën pénétrèrent dans le Volarium. En silence, ils allèrent s'asseoir sur les gradins afin de mieux observer leurs élèves. La jeune femme resta silencieuse un long moment. Sa présence inquiétait Yuling qui tentait de faire de son mieux. A ses côtés se tenait une autre femme brune, elle aussi en combinaison de cuir noir, qui au bout d'un moment se baissa vers Dame Calwaën pour lui chuchoter quelques mots à l'oreille. Yuling retint son souffle : elle ne pouvait pas décevoir son mentor.

 Maître Sylga finit par arriver à son niveau :

 – Si vous permettez ?

 Il leva les mains au dessus de sa tête. Mal à l'aise, Yuling tenta de rester concentrée mais jeta un rapide coup d'œil à Dame Calwaën, qui des tribunes acquiesça en guise d'approbation.

 – Rassurez-vous, je serai là pour vous guider. En vingt ans de carrière, je n'ai encore jamais vu un Héros incapable d'accéder à sa magie.

 La jeune fille ferma timidement les yeux et appela l'objet de toute son attention. Elle était là, devant elle : la boule de feu censée représenter l'essence de sa magie. Elle pouvait presque la palper tant cette dernière semblait tangible. Elle sentait également la présence de Fei, en retrait, qui l'observait sans oser intervenir, et c'était mieux ainsi. Lentement, elle tournoya autour des flammes et laissa la douce sensation prodiguée par la chaleur l'envelopper. C'était confortable, vivant. Des courants d'air chaud la traversaient comme une brise animée. Elle patienta quelques instants, puis nourrit les braises en leur insufflant l'oxygène qui leur manquait. Il s'agissait de fixer leur existence pour ne pas qu'elles disparaissent dès qu'elle y déverserait son âme.

 Peu à peu, la chaleur augmenta. De douce brise d'été, elle se mua en torrent, puis en un fleuve qui devint aussi brûlant qu'intense. Qu'était-elle en train de faire ? Ce n'était pas grave, elle n'avait qu'à ouvrir les portes de son esprit pour que les flammes s'éteignent, comme les fois précédentes. Sauf que cela ne fonctionna pas. Fei ? Elle chercha la présence de sa dragonne, qui avait subitement disparu. Où était-elle ? Pourquoi ne percevait-elle plus leur lien ? Fei ? Tout à coup, une porte s'ouvrit. La jeune fille inspira bruyamment, avant que celle-ci ne claque, l'enfermant dans le fourneau qu'elle venait de se créer.

Fei ?

 Sa dragonne n'était plus. Des vagues brûlantes la submergeaient, lui arrachant des cris d'effroi. elle allait mourir, emprisonnée dans son esprit, par le feu qui la consumait de l'intérieur, incapable de se dépêtrer du piège qui la retenait !

Fei !

 Elle finit par le sentir, imperceptible et consumé, le lien qui la liait encore à sa moitié, et s'y accrocha comme si sa vie en dépendait. Une violence insoupçonnée naquit au creux de ses entrailles. Une noirceur comme elle n'en avait jamais ressentie auparavant qui la glaça d'effroi. Puis un grognement retentit, une profonde morsure, et tout cessa.



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