Lumière et ombre passèrent aussi vite que la flèche ; soleil et lune alternèrent, pareils à la navette, jusqu'au jour où les jasmins épanouis embaumèrent les jardins. La saison des pluies s'accompagnait d'une floraison tardive. Les pétales fanés jonchaient le sol et disparaissaient dès que le vent balayait la cour.

Ti Kuan utilisa le même subterfuge que précédemment pour entrer à l'intérieur des appartements de Sang Ah, avec l'idée précise d'apporter une contribution quelque peu revancharde aux plaisirs inavoués de la belle. Si c'était avec un godinet qu'elle se débrouillait seule et arrivait au comble du bonheur, se serait donc par le truchement du même ustensile qu'il se débarrasserait de l'envoûtement. Pendant la journée, elle le rangeait dans son étui camouflé au creux de l'écritoire. Le retrouvant à la bonne place, Ti Kuan l'enduisit méthodiquement de piment rouge écrasé dans de l'huile de soja. L'objet qu'il considérait comme rival, devint luisant. À la hâte, il dissimula son forfait, se précipita dans le vase, attendit que se réalise son vœu.

Le soir la jeune fille alla se coucher, réjouie d'avance de retrouver son jouet bien aimé. Elle lui parlait, simulait une présence humaine, lui chuchotait des mots d'amour :

« Ah ! Mon tout beau, tu m'as manqué ! Ce que je t'aime ! Tu es dur. Stimule ma Porte de Jade. Glisse-toi vite en mon Cœur de Fleur. »

Des images de printemps tirées d'un livre jaune lui donnèrent l'envie de caresses profondes. Le satin de son vêtement de nuit glissa sur sa peau parfaite. Dès qu'elle relâcha ses doigts, le tissu s'échappa, s'affaissa en un léger tas aussi tranquillement que l'eau de l'étang enveloppe les moustaches du dragon. Alors, elle imaginait de quelle manière l'intervention d'un mâle pourrait bousculer toute cette harmonie. Telle la fleur d’amandier qui reste humide de brume, elle n'eut pas besoin d'enduire de salive le bel engin. Elle ouvrit lentement ses jambes blanches. N'ignorant rien du combat à mener, elle manipula l'épée vaillante entre ses reins cambrés au bon endroit !

« Wouha ! »

Elle se sentit incapable d'empêcher la rosée de perler ; de sa vulve, le suc de volupté s'écoula. Subitement, elle endura une brûlure atroce. Elle se mordit les lèvres, s'abstint de crier, rangea l'appendice artificiel dans son écrin et resta coite entre ses draps à essayer de supporter la douleur.

N'en pouvant plus, elle appela à l'aide. La servante dévouée se pencha sur sa maîtresse en souffrance.

— Je crois que je me suis assise sur du piment. Ma vallée secrète est en feu !

— Tenez ce linge humide sous vos fesses, ça va passer.

L'inutilité de la compresse amplifia sa détresse.

— Je vais mourir brûlée.

— Vite ! Allez vous laver dans le bassin.

Sang-ah se précipita nue près du lac. Elle s'accroupit dans l'eau, se frotta une fois, se frotta cent fois. La profonde irritation la tourmentait.

— Au secours, j'ai mal, ça me brûle !

Elle eut beau rafraîchir son postérieur dans l'onde fraîche, la douleur ne passait pas. Une autre domestique vint à la rescousse, proposant des linges trempés dans le thé du puits du dragon1.

— J'ai très mal, je meurs.

Lait de palme, coton imbibé de crème d'amande douce, rien ne put soulager son martyre. À force de crier, elle finit par se changer en crapaud sous les yeux déconcertés des servantes. Elles s'enfuirent demander de l'aide auprès des gardes armés.

Une main furtive s'empara de l'animal.

Dans la cour, un bruit de pas allait décroissant.

Il laissait derrière lui un chapelet d'empreintes mouillées.

1 thé du puits du dragon :Thé vert Longjing de la région de Hangzhou. La légende donne à cette plante des propriétés d'exception.