Nul ne pouvait plus voir
Nul ne pouvait plus voir.
Le problème, car il y avait problème, c’est que nul ne pouvait plus voir cette scène de désolation. Sauf Voyante à la proue de son vaisseau de pierres, Sirène hautement tendue vers le ciel de l’improbable. Mais, d’abord, il faut parler de ceux qui sont absents, les Distraits, les Errants, tous les pauvres hères qui, tout au long de leur existence avaient fourbi les armes de leur étonnante destruction. C’est ainsi, les Vivants sont toujours en quête de leur propre mort comme s’ils voulaient hâter leur finitude et savourer les délices du Néant à même leur lourde inconséquence.
Leur inextinguible curiosité.
Ce qu’avait été leur cheminement sur Terre, voici : dès la pointe du jour alors que les herbes bleues s’éveillaient à la beauté du monde, que les biches buvaient l’eau limpide des sources, que l’épaule des collines frissonnait sous le premier vent, ils n’avaient de cesse de se répandre sur l’ensemble des territoires qui s’offraient à leur inextinguible curiosité. On les retrouvait partout. Tout au fond des vallées en longues caravanes pressées. Dans les nasses des villes, agglutinés tels des essaims de guêpes. Sur les plages de sable doré, corps mitraillés de soleil, vitre noires des lunettes pareilles à d’étincelants névés. Aux terrasses des cafés derrière des verres oblongs où dansait un soleil anisé. Dans les galeries marchandes et les Grands Magasins, à la queue-leu-leu, accrochés aux tapis roulants, telle une immense chenille processionnaire qui n’aurait même pas été consciente du nombre infini de ses pattes.
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