CHAPITRE 7 Les souvenirs
Comme on se jette à l’eau, je commence :
- “une chose me tracasse : comment m’as-tu reconnue ? Et la taille des vêtements, ma pointure ?”
- “en suivant discrètement mon frère je t’ai aperçue dans une friperie il y a quelques semaines, la couleur de tes cheveux a fait surgir des souvenirs dans ma mémoire, alors je suis entré et le son de ta voix tandis que tu discutais avec la vendeuse a levé mes derniers doutes, je me suis caché en faisant semblant d’essayer des chaussures tout en retenant ces informations. Ces emplettes que tu vois constituent une grande première pour moi, et j’ajoute que ce fut une expérience délicieuse bien que surprenante”
- “Et moi j’ai recommencé à avoir très peur dès la sortie du magasin, je me sentais épiée depuis quelques jours, ainsi j’avais raison !”
- “de penser qu’on te surveillait, oui, mais pas d’avoir peur; là tu avais tort”
- “comment aurais-je pu le savoir ? Il m’a menacée, il a même dit qu’il me tuerait et je suis bien placée pour savoir qu’il tient ses promesses !” j’ai haussé le ton sans m’en rendre compte.
Je commence à marcher de long en large afin de me calmer et de mettre de l’ordre dans mes idées.
- “Je crois qu’il faut qu’on commence au début sinon on n’en sortira pas; je te supplie de ne pas m’interrompre, après tu pourras poser tes questions”
ma voix se casse, mes souvenirs sont une boîte de Pandore et il va falloir que je l’ouvre.
Il approuve d’un signe de tête, je m’assois à mon tour, tout au bord du lit.
- " Comme tu le sais mes grands-parents m'ont recueillie après la mort de mes parents. Ils étaient déjà assez âgés alors, j'imagine que l'arrivée soudaine d'une petite fille ajoutée au chagrin de la perte de leurs enfants les a anéantis.
Ils se sont occupé de moi, bien sûr, mais je sentais bien que ma présence les faisait souffrir parce que j'étais le portrait craché de ma mère. Personne n'y pouvait rien, ni eux ni moi, mais le fait est que je n'ai jamais reçu une quelconque marque d'affection de leur part.
Seul le couple qui s'occupait de la propriété m'a donné l'amour dont j'avais besoin. La vieille Babs dans sa cuisine et Paulo, son jardinier de mari, se défiaient continuellement : ce serait à qui me ferait le plus plaisir, m'apprendrait chaque jour un 'secret' quel qu'il soit ! Jamais avares de câlins, je passais des bras de l'une aux genoux de l'autre, au réveil comme au coucher.
Et j'allais à l'école, j'adorais ça !, étudier me permettait d'oublier ma peine, peu à peu j'ai retrouvé une vie normale et me suis fait beaucoup de copains.
Quelques temps après vous êtes arrivés. Ton père, avec ton frère dans les bagages, devait gérer le domaine. Dès le premier jour j'ai ressenti leur animosité à mon endroit, aujourd'hui encore j'en ignore la raison ! Les remarques désagréables d'un adulte pèsent lourd sur un jeune esprit vulnérable, ton père ne manquait aucune occasion pour cela, choisissant toujours le moment où il n'y avait personne d'autre. Et comme si cela ne suffisait pas, ton frère me pourchassait partout, me coinçait dans les recoins, me serrait à m'étouffer, se frottait contre moi, son sexe sorti, tout en malaxant durement ma poitrine naissante.
Par la suite les petites incisions au cutter ont fait partie de son jeu, extrêment douloureuses, jamais graves et infligées aux endroits du corps les moins visibles. Et puis ses mots, menaçants, comme son regard haineux : comment oublier ? Je me sentais souillée, avilie et ne pouvais me confier à personne.
Pourtant, parfois, quelqu'un me berçait la nuit, me consolait, me disait que tout finirait par s'arranger. Je sais à présent que c'était toi. Malgré cela j'ai senti que je devais fuir cette maison, j'ai fugué un certain nombre de fois, toujours rattrappée évidemment ! Cela ne faisait qu'augmenter son excitation, il imaginait de nouvelles tortures toujours plus raffinées... Je ne veux pas ... Je ne peux pas les dire !"
Je tremble de tout mon corps, impossible de m'arrêter, les larmes si longtemps retenues se déversent sur mon visage, mais je dois finir mon récit.
" Enfin, après une préparation minutieuse, j'ai réussi à disparaitre et me suis inventée une autre vie jusqu'à aujourd'hui... Voilà, tu connais l'essentiel, maintenant j'ai une question : pourquoi n'étais-tu pas avec ton père et ton frère ? Je ne t'ai jamais vu, comment est-ce possible ?"
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