Comment j’ai appris à « vivre » sans elle…
Les gendarmes ne tardent pas à arriver, et nous avons enfin pu connaître les origines du drame, connaître dans les moindre détails ce qui c’était passé la veille sur ce trottoir.
Savoir que le chauffard qui l’avait renversé n’était pas majeur, n'avait pas de permis de conduire donc, conduisait en plein après-midi sous l’emprise d’alcool et de drogues, n’avait pas respecté les limitations de vitesse et était toujours en cavale…
Savoir que Cécilia marchait tranquillement sur le trottoir lorsque cet abruti avait décidé que dépasser par la droite un véhicule qui tournait à gauche était inscrit dans le code de la route, tout comme le fait de rouler sur les trottoirs.
Savoir qu’il n’avait même pas ralenti pour effectuer sa manœuvre, même pas klaxonné avant de rouler sur l’aire réservée aux piétons, et même pas freiné lorsque sa voiture avait roulé sur le corps d’une pauvre adolescente qui s’était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment.
La seule chose qui aurait pu nous soulager c’est que vu le nombre de témoins présents, le chauffard serait vite appréhendé et que sous la violence du choc mon amour n’avait pas souffert… enfin, ça c’est ce qu’ils disent…
Les heures qui suivent son départ précipité restent, elles aussi, plus floues qu’une photo ratée un jour de pluie. Le défilé de la famille, les présentations, les condoléances et les mots gentils, mes parents présents pour me soutenir, les amis qui restent même s' ils avaient certainement d’autres chats à fouetter.
Deux jours plus tard elle entre dans sa dernière demeure, et là c’est vraiment terrible, même si nous avons passé encore quelques minutes ensemble, même si nous nous étions tous rendus à l’évidence, c’est vraiment terrible à vivre. Nouveau défilé de personnes qui nous glissent un petit mot à l'oreille, histoire de montrer qu’eux aussi partagent notre chagrin, mais si seulement quelqu’un pouvait partager mon chagrin, si seulement quelqu’un pouvait prendre ma place l’espace de quelques minutes, sentir ma peine, ma douleur, le vide en moi…
Les jours qui suivent je les passe enfermé dans ma chambre à la pleurer, à pleurer sur ma guitare toutes les larmes de mon corps, devant cette photo que jamais je ne pourrais délaisser.
Je mange certes, mais plus rien n’a de goût, je fume aussi, presque un paquet par jour, le réveillon je le passe à jouer des compositions enfermé dans mon sanctuaire, en compagnie de ma bouteille de whisky et de substances illicites…
Puis les jours sont passés, avec ce vide, le retour au lycée a été une épreuve vraiment difficile à vivre, je passe des heures à expliquer ce que j’ai vécu, à pleurer, à m’énerver pour un oui ou pour un non… Je deviens de plus en plus insupportable mais personne ne me dit rien, tous mes amis restent près de moi, me soutiennent, essaient de me faire rire ou simplement sourire… Mais c’est peine perdue, je préfère encore la solitude à cette sollicitude…
Voilà à quoi se résume ma vie à ce moment-là : traîner avec mes potes aux intercours, aller en cours pour passer le temps, et fumer des joints à ne plus savoir où je suis. Mes parents se rendent compte que la situation est critique, mais n’arrivent pas à me faire changer malgré les punitions et les mises au point.
Je passe mon temps libre enfermé dans ma chambre à pleurer sur ma guitare, j’ai arrêté de sortir en boîte malgré les relances d’Émeline, même les autres ont essayé mais je n’ai pas la tête à ça.
Je déteste le monde entier, je hais les gens, même si je sais qu’ils n’y sont pour rien dans ce qu’il m’arrive. Je suis à un tel niveau de délabrement psychologique et de dépression que le jour où ma belle-mère m’appelle pour me dire qu’ils ont chopé cet abruti de bon à rien de chauffard de mes deux, je n’ai aucune réaction, même si je sais qu’elle comprend qu’au fond de moi je m’en réjouis.
Il a tout avoué et c’est le principal, il prendra cher à son procès et c’est bien fait pour sa gueule, mais même ce jour-là je n’ai pas été moi-même et quand j’y repense j’ai honte de ce que je suis devenu.
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