C’est la caresse de ses lèvres sur les miennes qui me tire du profond sommeil où j'étais plongé, mettant fin à mes rêves encore agités. Je ne sais plus très bien où je suis, ni avec qui, les songes se confondant avec la réalité et la brume met du temps à se dissiper.

« -Mon Lou… C’est moi…

- Céciliaaaaaa… Laisse-moi tranquille…

- Non, c’est Chou…

- Pourquoi ?

- Aller, debout grand paresseux…

- Non… J’ai pas envie… Laisse-moi…

- Surement pas, c’est ménage ce matin et j’ai pas envie d’y passer la journée, j’ai d’autres choses de prévu après…

- Quelle heure il est ?

- Huit heures…

- C’est bon, on le fera demain… Viens t’allonger avec moi…

- Non, on a du boulot…

- C’est bon, juste cinq minutes… On fait un petit câlin et je me lève…

- Pas question, on fait ce qu’on a à faire et après on bouge, il fait beau et j’ai prévu des choses…

- Tu fais chier… On peut pas rester tranquille pour une fois ?

- Non… Bouge de là !!!

- C’est bon t’as gagné… Mais tu vas le payer… »

Je quitte à contre cœur mon lit, la nuit a été difficile, troublé de cauchemars et d’insomnies, mais je n’ai pas voulu utiliser mon traitement habituel, plus d’une semaine que je n'avais touché à aucune substance illicite, pas d’alcool non plus, et seulement une dizaine de cigarettes. Je faisais des efforts surhumains pour me sevrer de tout ça, pour moi premièrement, mais aussi pour Charlène, car même si elle ne me reprochait jamais ces écarts, je sentais que je lui faisais de la peine quand je cédais et son regard en disait beaucoup.

Je viens de terminer ma première semaine au centre, partager les activités avec des inconnus, qui ne l’étaient plus tellement déjà, rencontrer de nouvelle personnes, partager nos problèmes, essayer de nous réconforter quand ça n’allait pas, au final le temps est passée à une allure folle. Le soir nous dinions avec eux aussi, pour ne pas trop que je paraisse privilégié, ce qui nous laissait très peu de temps tous les deux et ces moments en sa compagnie exclusive commençaient à me manquer.

Après avoir avalé mon café et mangé deux tartines au miel, je replie le clic clac et me met au boulot, dix jours de ménage à rattraper, de lessive aussi, mes deux grandes passions, comme pour tous les ados... Mais je ne rechigne pas à la tâche, pendant qu’elle s’attelle à nettoyer la salle de bain, j’attrape le balai et me mets au boulot, lorsqu’elle sort enfin, en sueur, de son trou, je ne peux qu’éclater de rire devant sa mine. Son chignon se fait la malle, elle sue à grosses gouttes, trempée de la tête aux pieds, les yeux exorbités par la soudaine luminosité malgré le temps maussade. Mais je la trouve tellement belle, même dans cet état, que je ne peux pas en détacher mon regard.

« - Vas-y, marre toi… Si tu te voyais…

- C’est déjà le cas. Lui dis-je en lui montrant le grand miroir fixé derrière la porte d’entrée. T’es belle Chérie…

- Chérie ?

- Ouais, je sais pas, c’est les produits qui doivent me monter à la tête…

- Tu parles… Tu m’as pris pour ta femme ou quoi…

- Laisse tomber, passe-moi le seau et la serpillère avant que je change d’avis…

- Tiens… Chéri ! »

Elle a insisté sur ce mot, pour se moquer de moi, mais si elle savait l’effet que ça a eu sur moi, ce que ça a provoqué dans ma tête, je pense qu’elle n’aurait pas réagi comme ça. Enfin, je retourne rapidement à autre chose, un bon coup de propre au sol, pendant qu’elle s’occupe de la lessive, j’avais réussi à échapper à cette corvée, prétextant que de manipuler ses sous-vêtements, risquait de réveiller des idées salaces, et elle n’avait pas protesté sur ce point, pour l’instant.

Les corvées terminées, nous avons rapidement filé sous la douche afin de pouvoir profiter du reste de la journée, et préparer la randonnée du week-end suivant, pour laquelle elle avait prévu une nuit sous la tente si le temps le permettait.

Elle avait programmé cette randonnée sur deux journées, n’étant pas sûre de ma condition, et elle avait raison, elle m’expliqua rapidement le parcours, après être montés jusqu’au lac de l’Ascension nous profiterons de la fin de l’après-midi pour nous poser au bord de l’eau, et établir notre campement pour la nuit, le lendemain nous continuerons à monter jusqu’aux lacs de l’Escur puis entamerons la descente du retour. Cette boucle pourrait largement se faire sur une journée, mais elle voulait absolument me faire découvrir les joies du bivouac, et je dois avouer que j’étais un peu inquiet à ce sujet au début.

Ça fait tout juste trois semaines qu’on s’est rencontré, et pourtant on a passé beaucoup de temps ensemble, on apprend à se connaître, malgré cela on ne peut pas dire qu’on sort vraiment ensemble, même si on s’est vraiment rapproché depuis notre arrivée ici. Je sais que j’ai des sentiments pour elle, qu’elle est plus qu’une simple amie, j’ai peu de doutes que ce ne soit pas réciproque, mais aucun de nous deux n’est arrivé à franchir le dernier pas, à dire à l’autre ce qu’il ressent vraiment.

« - Bon, ce matin on file à Gap, il nous manque deux bricoles pour la rando, ensuite on mange un bout et cet après-midi, on visite.

- On visite ?

- Oui, Gap, tu verras c’est vraiment joli comme ville. Tu connais pas ?

- Pas vraiment non, pas le centre-ville en tout cas…

- Mais t’es jamais sorti de ton trou ?

- Si mais pas dans ce coin… Plutôt Aix, et la campagne, la Sainte-Victoire, le Luberon, le bord de mer, Digne les Bains, les Gorges du Verdon… Je te menerai un jour...

- Avec plaisir… Bon… On file ?

- Je te suis… »

Une petite heure de route plus tard, nous arrivons enfin dans la capitale douce. Après un passage en magasin de sport pour parfaire l’équipement de camping et de randonnée, nous rejoignons le cœur de la ville, vivant en cette période estivale mais pas bondé comme je pouvais le croire. Nous avons passé l’après-midi à flâner dans les rues, main dans la main, visitant les boutiques, comme deux touristes lambda.

En arrivant sur la place Saint-Arnoux, j'ai entraîné Charlène vers l’intérieur de la magnifique cathédrale du même nom. J’ai toujours apprécié les monuments religieux, le calme et la sérénité qui y régnent, le silence incitant à la réflexion, à la méditation, même si je ne suis pas croyant, enfin pas au sens religieux.

L’architecture est plutôt classique à l’extérieur, les pierres de différentes couleurs, du gris, du blanc, du rose, une immense rosace en vitraux domine l’entrée du monument. À l’intérieur je reste fasciné par l’orgue imposant qui trône au-dessus de la nef, éclairé par la rosace, je scrute avec attention les différents vitraux, qui laissent pénétrer une douce lumière. Le sol de l’allée centrale est atypique par les motifs qui le composent, croix et fleurs de lys en mosaïque de pierre.

Avant de quitter les lieux, je ne peux m’empêcher d’allumer une bougie que je dépose devant une statue de la vierge, en pensant à Cécilia. Je reste ici quelques secondes, en me remémorant son sourire tandis que Charlène m’imite dépose sa bougie et vient à mes côtés, me prenant la main, je la regarde un instant, elle me sourit en hochant la tête qu’elle vient poser sur mon épaule. Je sens les larmes monter, et couler le long de mes joues une nouvelle fois, mais je ne ressens pas de tristesse, juste une immense émotion provoquée par ce moment.

Nous sortons ensuite dans le silence, et regagnons la voiture, toujours main dans la main, ce qu’elle vient de faire à l’intérieur de la cathédrale m’a profondément touché. Mon émotion est immense, et je n’ai pas les mots pour le lui dire, lui exprimer ma gratitude.