Première séance…
Après l’épisode de la veille, Charlène avait décidé de partir courir le matin, selon son humeur et son envie, une petite heure, mes réveils seraient plus sereins en connaissant son emploi du temps. Lorsqu’elle rentrera, je sortirai de la douche et un café chaud l'attendra sur la table, avec deux tartines au miel, chaque matin.
Magali quant à elle, aurait de quoi faire avec moi, nous devions trouver un moyen de désamorcer la bombe qui couvait en moi, elle avait décidé de me consacrer les trois après-midi suivants.
Comme la veille, elle est venue à la fin de notre atelier chorale de début d’après-midi avec son calepin.
- Salut Lou, comment vas-tu aujourd’hui ?
- Mieux, et toi ?
- On reste dehors ?
- Avec plaisir. À propos d’hier… Je veux pas que… Que tu culpabilises, c’est oublié pour moi…
- Merci, mais ça doit me servir de leçon… Bon, comment ça s’est passé après ?
- On a discuté, elle a cru que je voulais rentrer chez moi, j’ai cru qu’elle voulait me quitter… T’imagines ?
- Et alors ?
- On a compris que c’était pas bon de rester constamment collé l’un à l’autre, même si j’ai du mal à être séparé d’elle. Je comprends qu’elle ait besoin de sa liberté. De faire des trucs de filles, sans moi… Mais moi je peux rien faire sans elle, je suis à pied, je connais personne… Du coup on a décidé d’un créneau, le matin, ou elle ira courir, comme hier, maintenant que je le sais, je m’en fous, je sais que demain elle sera peut-être pas là à mon réveil, et je m’en fous, parce que je serai pas surpris…
- Bon, l’orage est passé on dirait. C’est bien que vous ayez pu discuter de tout ça… Ce serait dommage de tout bousiller pour une histoire de communication… Et toi, comment tu sens les choses ?
- Je sais pas, comme je t’ai dit, tant qu’elle est là tout va bien, mais dès qu’on est séparés je contrôle plus rien… Mes peurs, mes colères, mes émotions… Ça ressurgit et ça me dépasse…
- Faut que tu trouves un exutoire, comme hier, ta réaction a été violente, mais elle était bonne, tu t’es isolé, t’as laissé sortir tes émotions, ta colère et après ça allait non ?
- Ouais, mais je me suis ruiné les mains… Et j’ai ruiné une paire de gants… Puis on s’est fait une petite séance de spa à Briançon, et j’ai joué de la musique, on a chanté ensemble, bu une bière, une soirée détente quoi…
- C’est parfait que vous ayez partagé cette soirée. Tu vois que tu arrives à trouver des solutions tout seul, le sport c’est un bon moyen de décompresser. Essaie de voir Olivier, c’est lui qui gère les ateliers boxe, il pourra te conseiller, il pourrait dégager des créneaux pour toi, pour que tu te lâche plus souvent, avant d’exploser…
- Ouais… Je sais pas… Je suis pas fan des sports de combat… Hier c’était un réflexe… Ça m’a soulagé sur le moment…
- Essaie de réfléchir à un sport… En extérieur… T’as tellement de coins à découvrir ici… Course à pied ?
- Non, pas pour moi avec mes kilos en trop et ma jambe folle…
- VTT ? Vélo de route ?
- Pourquoi pas… La route, ça me tente bien… C’est pas violent… Je vais me renseigner dans le coin… Si je trouve…
- Bon, c’est pas mal tout ça… On avance bien… On met le doigt sur les problèmes, je le note, et on pourra bosser dessus. La gestion des émotions, c’est compliqué après ce que tu as vécu, mais il faut que tu réapprennes à les contrôler, à te faire confiance.
- Gros problème pour moi la confiance… Depuis toujours… Cécilia avait réussi à m’en redonner un peu… Charlène aussi, à sa façon, quand elle est là…
- Mais toi, il faut que tu apprennes à te faire confiance Louis, regarde ce que tu peux faire, avec les autres entre midi et deux, personne t’as rien demandé, ça c’est fait naturellement, tu t’es lancé comme ça, tu t’es fait confiance…
- C’est facile pour moi, ça, j’aime et je maîtrise parfaitement…
- Accepte d’être capable de faire des choses, de les rater aussi, de recommencer, et d’échouer encore… C’est pas grave… C’est la vie…
Elle a raison, et je le sais, mais j’ai du mal, j’ai encore mal.
- Bon maintenant qu’on a réglé ce petit problème, on va changer de sujet… Moins drôle, mais c’est le point de départ… Cécilia…
- T’es sûre ?
- Pas le choix… T’as besoin de parler de ça… De ce que t’as vécu, ressenti depuis l’accident… C’est pour ça qu’on est là tous les deux…
- J’ai pas trop envie…
- Tu veux guérir ou tu veux abandonner ? T’as fait des promesses, c’est toi-même qui l’a dit ! Maintenant il faut agir…
- Ouais… Bon, je me lance… Ce jour-là on devait se retrouver chez des potes pour préparer le réveillon… Quand je l’ai pas vue en sortant du bus, je me suis pas inquiété plus que ça, un peu de retard ça arrive… Au bout de vingt minutes, elle répondait toujours pas, ni à mes messages, ni à mes appels, et j’ai commencé à angoisser, à avoir un mauvais pressentiment… Mais je me disais que je m’inquiétais pour rien, qu’on allait se retrouver en chemin, qu’on allait bien finir par se croiser et j’ai décidé d’aller la rejoindre … Plus je me suis rapproché, plus j’ai senti qu’un truc tournait pas rond, mon angoisse grandissait à chaque pas vers elle…
- Vous étiez… Comment dire… Connectés…
- Carrément en fait… Déjà avant ça… Je savais quand elle allait pas bien, je le sentais… Et à chaque fois je lui envoyais un message… Et je tapais dans le mille… Quand je suis arrivé sur les lieux, j’ai compris avant de l’avoir vue… J’ai bousculé tout le monde pour m’agenouiller à côté d’elle… Quand son cœur est reparti, j’ai même pas été soulagé… Je savais…
Je n’arrive pas à finir, et fonds en larmes, les sanglots me brûlent encore à l’intérieur. Magali pose délicatement une main sur mon épaule, je sens qu’elle veut me consoler, mais elle doit garder son rôle, et les bras de Charlène me manquent à ce moment précis. J’aurais besoin qu’on me serre, d’une épaule pour m’épancher, de mots tendres et rassurants, mais je n’ai rien de tout ça et je dois faire un effort, prendre sur moi-même pour arriver à calmer mes pleurs. J’y arrive enfin au bout de quelques minutes et je tente de reprendre mon histoire, même si les larmes coulent sans cesse.
- Je savais mais j’espérais au fond de moi, le plus dur ça a été l’annonce… J'étais là, juste avant, avec elle, et quand j’ai vu le docteur sortir de sa chambre… J’avais compris… Je me suis senti vide tout à coup, plus d’émotions, plus de forces… Ça reste flou… Même dans cet état j’ai choisi de l’accompagner jusqu’au bout, je suis resté pour la veiller… Elle était si belle, maquillée, elle portait la tenue achetée pour le réveillon, une jolie jupe plissée bleue, un pull à col roulé blanc et le médaillon que je voulais lui offrir pour noël… J’ai trouvé la force de porter le cercueil à l’église, puis au cimetière, jusque dans la tombe…
- T’as été vraiment courageux… C’est superbe ce que tu as fait, pour ses proches…
- Je me souviens même plus avoir décidé de le faire, c’était mécanique, instinctif…Je voulais pas la quitter…
- Et après ?
- Ça a été horrible… J’avais l’impression de la voir partout… De l’entendre… Tout le temps… J’ai coupé les ponts avec beaucoup de monde… Je me suis renfermé pendant presque deux mois… Alcool… Drogue…
- T’as pas été accompagné ?
- Je voulais pas… J’avais pas envie d’en parler… J’ai été con… Ça aurait facilité les choses… Mais je me complaisais dans mon état… J’avais pas envie de guérir à l’époque… Je voulais juste la revoir, la serrer dans mes bras… Être avec elle…
- Je te comprends… C’est dur à accepter… C’est une réaction normale, vous étiez fusionnels…
- Complètement… Ça m’aurait évité des conneries…
- C’est bien les conneries... Parfois… Ça permet de se rendre compte de nos problèmes…
- Ouais… J’ai perdu presque tous mes amis… J’ai causé du souci à ma famille…
- C’est pas des conneries ça, je suis sûre qu’ils ont compris que c’est parce que t’allais pas bien…
- J’ai essayé de me foutre en l’air aussi… Le jour de son anniversaire… Sur sa tombe… J’ai voulu me tailler les veines…
- Ah !!! C’est pas anodin ça par contre… Et ils s’est passé quoi ?
- Mon couteau… Cassé net…
- Le destin ? La chance ?
- Non… Cécilia… Elle m’a hurlé un « Non » à faire peur, à ce moment-là, son visage est apparu derrière mes paupières… Puis elle m’a gueulé dessus, en rêves la nuit qui a suivi… Elle refusait que je le fasse… Elle m’a demandé de continuer à vivre… Elle m’a dit qu’elle veillerait toujours sur moi, qu’elle me laisserait pas faire… Elle m’a ordonné de guérir pour elle… Je lui ai promis…
- Ça t’arrive souvent de rêver d’elle, de lui parler ?
- Parfois, en rêves… Souvent en réalité… Quand je sens qu’elle est là… Près de moi… Ça me rassure quelque part…
- La force de l’inconscient… Je pense qu’au fond de toi, tu savais que tu ne voulais pas mourir, que tu voulais aller mieux, c’est ton inconscient qui s’exprime dans ces rêves… Comme avec ta guitare… Quand t’as l’impression qu’elle te répond…
- Non, t’as bien vu avec Mélo, toi… Elle t’as pas laissé faire…
- Mon inconscient aussi… Je sais que c’est ton instrument, que tu y tiens plus que tout… Que j'aurais dû te demander avant de vouloir en jouer…
- Possible… Ce serait la meilleure explication… La plus logique… Mais pour le couteau ?
- Le hasard… L’usure…
- Impossible, il était nickel le matin même quand je l’ai aiguisé…
- Le destin alors… C'était écrit comme ça...
- Merci Magali… Ça me fait du bien d’en parler… D’avoir une oreille attentive, et des explications…
- C’est mon boulot… Je suis là pour ça… Et toi aussi...
- Même si… J’aime Charlène… Mes parents… Mais j’arrive pas à me confier…
- Je suis une étrangère… C’est plus facile… Je suis neutre…
Nous avons continué la discussion l'air de rien, assis sur ce banc.
- Bon, on arrête la torture pour aujourd’hui… J’ai quelques heures de boulot en perspective…
Elle me montre son carnet et les quatre pages qu’elle vient de noircir, je me suis rendu compte de rien, les yeux perdus dans le vide pendant toute la séance. Je ne sais même pas l’heure qu’il est, mais Charlène m’attend un peu plus loin, et je file la rejoindre après avoir récupéré Mélodie et remercié Magali d’une bise sur la joue…
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