Une longue année pleine de rebondissements s’est écoulée depuis ce jour où j'ai pris la décision d’aller la rejoindre, depuis cet échec cuisant, depuis son dernier sermon. J’en ai parcouru du chemin depuis cette triste journée, pourtant, j’ai l’impression de me retrouver un an plus tôt, la neige tombe à gros flocons, pour la première fois de l’hiver, et je suis assis sur cette pierre gelée, perdu dans mes pensées. Charlène a tenu à m'accompagner dans mon pèlerinage, à acheter elle-même une composition de jacinthes multicolore, et à glisser quelques mots à Cécilia.

J’allume une bougie sur sa tombe, en pensant à son regard si tendre lorsqu’elle le posait sur moi, j’avais aimé cette façon de me regarder dès le début.

“ Bon anniversaire mon étoile, tu vois, on est encore là, tous les deux. J’aime bien qu’elle m’accompagne ici, qu’elle te parle, qu’elle choisisse des fleurs, ça me fait du bien. Tu me manques toujours autant, j’ai toujours l’espoir secret de te croiser au détour d’une rue, quand je me promène ici. Le plus dur maintenant, c’est quand je repasse au carrefour, j’essaie d’éviter au maximum, quitte à faire un détour, mais parfois, j’ai pas le choix. Enfin, bref, on est pas là pour pleurer, j’espère que tu fêtes ce jour comme il se doit là-haut, et que tu joues quelques morceaux pour les faire danser, comme je t’ai appris. Je te souhaite un merveilleux anniversaire là où tu es, je t’aime ma petite étoile. Je t’embrasse très fort…”

Nous avons ensuite retrouvé Hélène et Thaïs, pour fêter ensemble l’anniversaire de Cécilia chez Hélène. Je suis touché par cette invitation, signe qu’elle estime que nous faisons tout de même partie de la famille.

Le repas a fait honneur à notre étoile, et avant le dessert, nous trinquons joyeusement devant son portrait, sur lequel elle prend la pose devant l’objectif, dans un éclat de rire. Je n’avais jamais vu cette photo auparavant, mais elle représente tellement bien ce qu’elle était quand nous étions ensemble, une jeune fille rieuse, qui avait réappris à aimer la vie, et à vivre sans se poser de question en profitant de chaque seconde comme si c’était la dernière, son sourire étincelant, cette lueur dans ses yeux, je ne pourrais jamais les oublier.

Avant de prendre le café, Cha prends soin d’aider Hélène à débarrasser la table et faire la vaisselle, tandis que Thaïs me suis, pour fumer une cigarette dans le petit jardin.

- Loulou?

- Oui

- Merci à tous les deux d'être venus.

- Merci à Hélène de nous avoir invité, et merci à toi, encore, de prendre soin d’elle.

- Je suis contente d’avoir passé du temps avec vous… Enfin…

- Enfin?

- Ben… Je… Ça me fait plaisir de te voir… Plus souvent… Même si…

- Moi aussi je suis content de vous croiser plus souvent…

- C’est pas ça… Je… C’est toi…

- Quoi moi?

- Non… Rien… C’est des conneries… Laisse tomber… Des trucs de gamine… T’es passé à autre chose…

- Je pense avoir compris… Mais crache le morceau…

- Non… C’est bon…

- Thaïs!!!

- Quoi? J ’ai des sentiments pour toi! Voilà! T’es content! Oui je suis contente de TE voir, mais je suis jalouse de Charlène, de Cécilia… T’es toujours gentil, sympa, attentionné avec tout le monde… Pourquoi pas moi???

- Baisse d’un ton!!! On pourrait nous entendre….

- Je m’en fous!

- Calme-toi… S’il te plait… J’essaie de… Bon, ça me fait plaisir d’entendre ça, ça fait toujours plaisir… J’avoue que je m’étais rendu compte de quelque chose… Ton regard, ta façon de me parler.... Tu comprends bien que tu arrives beaucoup trop tard… Moi aussi je suis amoureux… De Charlène… Toi, je te vois plutôt comme une petite sœur… Je serais toujours là pour toi, Thaïs, mais tu dois passer à autre chose… T’es très jolie, et je suis sur que des mecs, tu dois en avoir tout autour du ventre, à toi de trouver celui qui te correspond, je suis sûr que tu vas pas chercher longtemps… Je veux bien t’aider même si tu en as besoin…

- …

- Thaïs?

- Je… Je le savais… Je l’ai vu dans tes yeux, quand tu la regardes… C’est comme quand tu regardais Cess, cette étincelle, cette flamme qui brille dans tes yeux… Mais j’avais besoin de te le dire et d’entendre ta réponse… Ça me fait mal, mais au moins je suis fixée… Merci Lou, de pas me faire culpabiliser, de me proposer ton aide même… Je suis désolée… Il fallait que ça sorte…

- T’excuse pas de tes sentiments… Y’a des choses que tu ne peux pas contrôler… T’as bien fait d’en parler… Au moins, c’est clair entre nous maintenant… Mais tu peux compter sur moi, n’hésite pas si tu as besoin…

- Merci… Merci Lou… J’aimerais trouver un mec comme toi…

- T’es sûre? Tu me connais assez mal, alors… Allez, viens faire un câlin…

Je l’ai prise dans mes bras où elle a fondu en larmes, après avoir frissonné à mon contact, submergée par ses émotions.

Ses aveux m’ont bouleversé, je suis bien placé pour savoir les efforts demandés pour laisser échapper de telles paroles, j’ai eu l’occasion, à plusieurs reprises de me retrouver dans sa situation.

Après quelques minutes, elle a séché ses larmes, et nous sommes rentrés prendre le café, retrouvant Hélène et Cha, qui discutent, assises sur le canapé. Je me frotte rapidement les yeux pour donner l’impression d’avoir pleuré, comme Thaïs, pour justifier notre absence.

- Ben alors, qu’est ce qu’il vous arrive à tous les deux?

- L’émotion… Se retrouver chez toi, sans Cécilia, le jour de son anniversaire… On a discuté d’elle un petit moment…

- Elle nous manque… C’est tout…

- Mais ça va aller…

- Heureusement que Louis a trouvé les mots… C’est toi qui lui as appris, Charlène, à trouver les mots pour consoler les gens?

- Tu crois que j’ai besoin de ça? C’est l’instinct qui parle dans ces moment-là…

- C’est vrai que t’es doué pour ça Lou, et pourtant, t’arrives pas à le faire pour toi-même…

- C’est pas pareil…

- Mais chez moi ça a marché… Merci Loulou…

- Et si on en profitait pour aller se dégourdir les pattes?

- Avec le temps qu’il fait?

- Justement…

- Allez-y les jeunes, moi, c’est plus de mon âge…

C’est donc sous un ciel blanc et bas que nous vadrouillons dans les rues, la fine couche de neige crisse sous nos pas, un silence inhabituel règne dans le quartier, d’habitude si bruyant. Nous prenons le temps de profiter de ce calme temporaire pour faire découvrir la ville sous un nouvel angle à Charlène. Le parc Jourdan qui grouille d’enfants déchaînés, bataille de boules de neige ici, concours de bonhommes de neige là, certains papas tirent leurs enfants dans une luge en expirant des nuages de buée, La Rotonde, où tout le monde se prend en photo, le cours Mirabeau qui n’est qu’un immense champ de poudreuse, tous ces lieux sont aussi animés qu’un jour de beau temps, mais les gens sont moins nombreux pourtant et semblent plus détendus.

Après avoir profité de cette ambiance particulière, nous retournons chez Hélène, pour la remercier de son accueil, puis nous raccompagnons Thaïs chez elle en passant, avant de prendre le chemin de notre cocon.

- Merci de ta présence Charlène, merci de t'occuper de Louis… Ma copine doit être fière de toi…

- C’est normal… Merci à toi… A bientôt…

- Loulou, je suis désolée pour tout à l’heure, j’ai pas pu me retenir… Merci d’avoir été à l'écoute… Je me sens mieux maintenant.

- Je comprends et je suis là si t’as encore besoin d’en parler. Viens me faire un câlin.

Elle ne se fait pas prier pour me serrer dans ses bras, frissonnant encore à mon contact. J’en profite pour lui glisser discrètement quelques mots à l'oreille.

Je suis flatté quand même… J’oublierais pas ce que tu m’as dit…

- Si tu veux en parler à Charlène, ça me dérange pas… J’assume…

- On verra… Prend soin de toi et ne perd pas espoir, ça viendra....

- Merci Lou.