Chapitre 32 : L’Éveil de l’Hacienda
Une lourdeur accablante pesait sur les géants sylvestres, le ressac soufflant timidement une plainte douce-amère contre les falaises.
Au cœur de cette torpeur, la fontaine de jouvence n’était plus qu’un miroir terni que même le soleil peinait à ranimer. Les créatures mythiques, leurs couleurs autrefois intenses réduites à des nuances fanées. Tout se voyait plongé dans une léthargie.
Caché derrière un voile liquide figé, le Temple se tenait, ses fresques murales jadis flamboyantes condamnées à l’obscurité. En son sein, le dolmen primaire, d’or et d’argent siégeait depuis un nombre d’années que personne n’oserait compter.
Ce jour-là, une transformation s’opéra. Le monolithe, dans un éclat aveuglant, répondit à une invocation inaudible. Une brisure dans l’espace apparut, et d’elle émergea un homme. Des mèches bleuâtres tombaient sur ses épaules, et ses yeux évoquaient les abîmes océaniques. Un anachronisme en denim et en coton dans cette époque ou la soutane régnait.
Doté de vision nocturne, le sublime Mage des mers scruta son cadre. Les sculptures claniques, œuvres de son père, confirmaient la volonté de la Créatrice quant à sa destination. Se tournant, il progressa vers l’autel de marbre abritant l’Oracle Terrestre. En effleurant la surface glacée, il libéra une onde qui anima l’île mystique, la tirant de son sommeil ancestral. Tout en marchant, il caressait les reliefs ciselés qui ornaient les murs. Ces images étranges dépeignaient des rites proscrits par sa mère.
En suspend, la chute s’éveilla, son tumulte établissant une cantilène de flotte et de roche. Dans un mouvement fluide, Aëgir leva les mains et psalmodia :
« Azuraëth Morvoren Khalis ! »
Les syllabes résonnèrent, l’écho se propagea à travers la vallée, se mêlant à l’écume de la cascade. Les eaux frémirent. Et puis, le miracle se produisit. Les flots se séparèrent. Il baissa les bras, et franchit l’ouverture.
Un plongeon revigorant plus tard, le bord du fleuve fut rejoint. Ses fringues humides se séchèrent d’un claquement de doigts. Son instinct d’aventurier le conduisit sur les sentiers forestiers. Malgré la moiteur tropicale, il ne ressentait aucun inconfort. Fougères phosphorant et oiseaux aux ailes nacrées agrémentaient son chemin.
« Quelle merveille que cet endroit », médita-t-il, « si distinct de Khalari ou de la dimension onirique »
à la pensée de ce que serait une enfance ici, en compagnie de sa fratrie. Une vague de mélancolie le submergea. Les jeux dans ces bois enchantés, les tribulations possiblement vécues près de ces cascades hantaient son esprit. Il parvint à une clairière, où des fleurs hors normes diffusaient des effluves captivants. Au milieu s’élevait un arbre, ses feuilles cuivrées telle une couronne.
« Kaëlle et Gaïa auraient dansé en riant autour, et Nasëem aurait grimpé ses branches. »
Il reprit son avancée, les montagnes lointaines se dessinaient dans une brume rosée. Par sa présence, l’île s’éveilla.
« Si le destin avait tracé un autre chemin », ruminait-il
Subtilement, le panorama changea, désormais Aëgir foulait la côte. Ses pieds caressèrent le sablistal velouté, la brise saline l’effleurait, éveillant une sérénité indéniable.
Un dernier monticule fut franchi et se dévoila la fameuse Hacienda dont ses parents ne tarissaient pas d’éloges. Des tours de pierres grises se mêlaient aux murs d’un bleu océanique. Fenêtres et balcons, ornés de motifs marins, témoignaient d’une attention au détail qui transcendait les âges. Une émotion inédite le saisit.
« Sous ces balcons Père auraient dévoré des contes de fées, tandis que mère m’aurait transmis l’art subtil de maîtriser les flux d’eau dans ces cours. »
Alors que ses pensées divaguaient, il franchit le seuil de la porte en bois massif, pénétra dans un hall au sol de marbre. Son attention se posa sur une fresque dépeignant deux hommes et une femme, les mains levées en un geste incantatoire.
« Si j’avais grandi ici, qui serais-je devenu ? »
Il arriva finalement dans une chambre entièrement constituée de Diamonite, reflétant les constellations. Le cœur enchanté de l’Hacienda pulsa à son approche.
Le Mage se mit à gravir l’escalier, curieux de découvrir ce que dissimulait l’étage supérieur. Un claquement de porte retentit. Convaincu d’être seul, il projeta son esprit vers la source du bruit. Rien !
De retour dans son corps, il fit demi-tour, cherchant le long du corridor. À sa surprise, il ne trouva qu’un cul-de-sac. Intrigué par les vibrations du mur, qu’aucun n’aurait pu percevoir, il s’avança, effleura la surface – une illusion. Il la traversa. À l’intérieur, une bibliothèque sans fin, ou des ouvrages empilés jusqu’au plafond étaient protégés par des charmes et des maléfices. Des instruments d’astronomie côtoyaient des fioles remplies de substances inconnues. Recouverts de runes anciennes, des parchemins gisaient à côté de crânes d’animaux fantaisistes ou extra-terrestres.
Les anecdotes de ses parents n’avaient jamais mentionné un tel lieu. À sa droite, sur l’une des colonnes blanches, il discerna un tableau de commande, qui contrastait avec la décoration. Une enveloppe à son nom, fixée par un sort, attira son attention. Le mage l’ouvrit et déplia son contenu.
Cher disciple,
Je te confie cette bibliothèque, trésor ancestral qui réunit l’ensemble des traités et œuvres créés dans toutes les dimensions et planètes peuplées. Elle se mettra à jour automatiquement. Active l’holobibliothécaire, qui t’assistera dans tes recherches.
Avec toute mon affection, Oncle Kieran
La mémoire du Clan Darck reposait entre ses mains, en attente d’une redécouverte, d’une étude, et peut-être d’une compréhension. Ses livres représentaient une clé menant soit à la puissance, soit à la perdition. Le Mage constatait ce qu’il n’avait jamais osé imaginer. Son attention se porta sur un ouvrage particulier, parsemé de cuir rouge, aux inscriptions à peine visibles.
« Le jeu s’intensifie », se dit-il en ouvrant le volume avec une curiosité mêlée de respect.
Son sceptre, dissimulé dans ses longues boucles de cheveux, s’exila, puis se déplia pour former un bâton élégant. Pointé vers un coin, un filament azur conçut un lit confortable, une table de travail et un fauteuil. Fatigué, mais trop paresseux pour chercher une douche, il invoqua une bulle moussante. Des accessoires de toilettes apparurent, le nettoyant, tandis qu’il flottait sereinement.
Une fois propre, encore mouillé, il s’étendit dans ses draps de satin et, souriant, s’endormit.
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