La Loi de la Plus Belle
Je faisais alors de mon mieux pour n’attirer l’attention de personne. Pour cela, il m’avait fallu apprendre à me rendre invisible, sans consistance. Presque sans ombre. L’exercice me fut heureusement facilité parce que les Forts, ceux qui persistaient à penser que j’avais besoin d’eux dans les mêmes classes que moi, ceux qui grandissaient plus vite que moi, surtout au niveau des biceps et des triceps, avaient à présent décidé de s’adonner à d’autres exercices.
Ma première réaction, bien infantile je le reconnais aisément, fut de remercier en silence mais avec ferveur les jeunes filles qui n’étaient plus des enfants mais des femmes en devenir. Celles-ci avaient profité d’une courte saison ensoleillée pour revenir armées d’atours proéminents et qu’elles s’ingéniaient déjà à mettre bien en avant d’elles-mêmes. De ces formes rondes et avenantes, je pus tirer profit et quiétude pendant de longues semaines. Les Forts couraient maintenant après les hanches souples des Plus Belles. Beaucoup de ceux qui m’apprirent tant de choses essentielles à propos du bitume, de la solidité des dents, des os, qui m’apprirent aussi quels muscles permettaient l’exploitation de mouvements explosifs à la dynamique entière et précise, beaucoup de ceux-là, donc, découvrirent à leur tour la signification de la soumission à plus fort que soi…
Combien de ces valeureux chevaliers aux corps d’airain ne se transformèrent alors en viles pantins. Et tous les fils de laine qui animaient jusque là leurs actions se retrouvèrent tout emberlificotés entre les doigts aux ongles peints de ces donzelles superbes qui découvraient avec ravissement que les souffrances intérieures étaient encore plus efficaces que les brûlures de cigarettes dont j’avais moi-même pu goûter de la rudesse.
Ainsi ce jeune homme dont j’ai oublié le nom, mais pas les coups, que la Nature avait malheureusement affublé d’un visage et d’un corps parfaits qui devint l’esclave soumis et docile d’une Dulcinée qui n’en était pourtant qu’à ses premiers pas de prédatrice.
La Loi de la Plus Belle.
Une autre belle merde, cette loi-là.
Stupéfait de ses effets, j’admirais l’incroyable compétition qu’elle imposa alors à toutes les jeunes prétendantes au trône. Et la lutte fut féroce, bien entendu. Elle ressemblait d’ailleurs en de nombreux points à celle des jeunes éphèbes.
Moi, bien entendu, Mère Nature m’avait doctement dispensé de ces luttes titanesques même si, seul dans un recoin ombrageux et isolé, je rêvais aussi de pouvoir conquérir une de ces admirables amazones lourdement fardées…
Cette solitude, tout aussi utile à ma santé qu’à ma compréhension des rapports humains, surtout de sexes opposés, me permit d’ouvrir encore un peu plus les yeux sur le monde et sa folie.
Je pus vérifier à plusieurs reprises de la puissance, chimique une fois encore, des hormones lâchées sans prévoyance dans des organismes vivants qui ne pensaient dès lors qu’à se consacrer aux exercices de reproduction et de pérennisation de la race…
Ah que ces joutes furent belles, parfois ! Combien de géants aux poings encore rougis des coups qu’ils me donnaient sans compter se retrouvèrent alors à genoux devant ces jolies catins au torse sur-développé et renoncèrent à toute fierté pour s’assurer du droit de gesticuler en ahanant dans d’impénétrables accès naturels…
C’était à qui affirmerait avec assurance en avoir visité plus que les autres ! Combien de légendes ne naquirent alors de ces discours, prétentieux certes, mais pour quelques temps encore, innocents et frappés du sceau de l’ignorance.
De leur côté, les Plus Belles continuaient de batailler avec grâce pour dompter les terribles animaux des cours de lycée… et se constituer le même tableau de chasse. Compétition salace mais anodine pour qui savait déjà que les vertus de l’Amour n’existaient que dans l’imagination de ceux qui n’en savait absolument rien. Les coups échangés… endurcissaient le cuir de celles et ceux qui trébuchaient sur les nombreux pièges des passions qui s’évanouissaient aussi vite qu’assouvies.
Elles étaient douées… même les moins gracieuses. J’en veux pour preuve une de celles-ci, qui avait décidé de faire de moi son petit animal domestique. Ne voyant pas venir le danger, ce fut plutôt de bonne grâce que je me pliais alors aux volontés péremptoires d’une lionne en devenir. La fin de ma formation pointait-elle à l’horizon ? J’en conçus bien des espoirs. Finalement, surtout des souffrances.
A mon grand étonnement, je ne vis jamais jaillir mon sang comme lors de mes innombrables confrontations avec mes homologues masculins. Non, avec ces redoutables petits animaux, les douleurs étaient directement injectées dans la pensée. Quiconque aujourd’hui prétendrait que la télépathie n’est qu’une foutaise ferait bien de se coltiner une de ces féroces personnes qui usent avec délectation d’un art qui n’a rien à envier aux coups puissants des chefs de meutes…
Douées de capacités stupéfiantes pour manipuler quiconque, elles savaient jouer de tous leurs atours pour obtenir ce que leurs insatiables envies les poussaient à posséder.
La Loi de la Plus Belle faillit bien m’emporter un jour six pieds sous terre. Ce n’est que par le plus grands des hasards que je me rappelais les règles de la pesanteur, enseignées plus tôt dans ma courte existence d’écolier. En effet, si la vitesse de la chute d’un corps est de l’ordre d’une dizaine de mètre à la seconde, je pus vite calculer qu’un saut du haut d’un immeuble parisien, le plus haut après la Tour Eiffel, ferait de moi un ingrédient parfait et malléable pour un pizzaïolo compétent.
Arrivé au terme d’un nouveau douloureux cursus scolaire, je quittais le lycée et l’adolescence pour faire mes premiers pas dans une nouvelle arène ; la Faculté de Médecine. Cette orientation m’étant apparue comme la plus judicieuse et la plus aisée pour moi, compte tenu des nombreux aléas que j’avais déjà subi tout au long de ma croissance… J’en savais bien assez long pour presque discourir sur les quantités de muscles, leur usage, leurs capacités, leur résistance, etc. Pour l’anatomie, j’avais donc un bagage conséquent. Ne me restait plus qu’à en savoir encore un peu plus sur les organes constitutifs d’un corps humain, les miens ayant été à peu près conservés intacts jusqu’à ce jour. L’Ecole allait enfin précéder mes expériences… Un premier bilan s’imposait donc. Que pouvais-je donc retenir de mes plus belles années ? Pas grand chose sauf une pharmacie toujours remise à jour dans le placard de la salle de bain de notre modeste appartement. Et puis ma capacité, quasi naturelle à présent, pour me dissimuler dans la moindre anfractuosité au plus petit signe de danger. Enfin, une endurance sans égale à la douleur. Ça, je le devais aux plus altruistes des médecins et chirurgiens qui, de longues heures durant, eurent à travailler sur les innombrables plaies, diverses et variées, que je leur imposais de réparer après chaque malencontreuse rencontre avec mes “copains de classe”, ceux qui estimaient nécessaire de me renvoyer le plus régulièrement possible me faire recoudre la peau, redresser quelque os fendu, brisé, fêlé, voire rendu visible au travers de mes pauvres chairs béantes. Du reste, je connaissais aussi bon nombre de remèdes de grands-mères pour soigner l’essentiel des maux que la Sécurité Sociale de mes parents ne pouvaient rembourser.
Pour le reste, de mes enseignements généraux, je retenais que les Plus Forts et les Plus Belles n’étaient pas de celles et ceux que je devais fréquenter, sauf à prendre le risque d’écourter mes jours, ce qui ne faisait pas encore partie de mes projets, même à longs termes.
Fort de ces expériences chèrement acquises, je pensais pouvoir affronter le monde et ses dangers.
Je n’avais plus qu’à choisir un métier auquel me former, sachant que j’attendais de celui-ci qu’il veillât à servir au mieux mes propres intérêts, à compter ma propres santé, pour ne pas dire ma propre survie dans un univers dont je pensais parfois qu’il était bien trop dangereux pour un simplet de mon acabit. L’Université et son Élitisme particulier m’ouvrait ses portes : je n’avais plus qu’à en franchir le seuil.
C’était sans compter la Troisième Loi.
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