Eblouissement

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Je suis un montagnard, un vrai. Oh bien sûr pas de ceux qui grimpent sur des parois vertigineuses, j'aime trop sentir le plancher des vaches sous mes pieds. J'aime la moyenne montagne, celle des forêts bruissantes dans le vent, des torrents au rire cristallin, des alpages où des vaches paisibles broutent inlassablement l'herbe verte et drue en faisant tinter leurs clarines. M'arracher à ce milieu c'est amputer un arbre de ses racines. La campagne? C'est monotone. La mer? Je n'aime pas l'eau, je ne sais même pas nager, alors qu'irais-je y faire?

J'avais oublié que le hasard n'avait cure de mes préférences. Mon travail m’amena un jour à travailler dans une ville côtière. Tout d'abord je ne vis du pays que des immeubles aussi anonymes que partout ailleurs. Certains amis m'envient sous prétexte que mon boulot m'amène à voyager beaucoup. S'ils savaient! Je ne vois de la France que des autoroutes pleines de camions et des zones industrielles tristes à mourir sans compter les chambres d’hôtels de grandes enseignes toutes semblables partout où je vais et où je passe mes soirées à me morfondre devant la télévision.

Enfin revenons en au sujet principal, la mer. Pour une fois j’eus envie de voir ce mystérieux littoral tant vanté. Je déambulais dans les rues tortueuses de la vieille ville quand soudain, entre deux immeubles l’horizon s'élargit. Le ciel lumineux m'attira comme un aimant. Je débouchais enfin de la ruelle et ce fut l'éblouissement. La mer s'étendait devant moi, vaste et étincelante. Le soleil sculptait des petits diamants fugaces sur la crête des vagues, le vent du large m'apportait des senteurs fortes et inconnues de moi.

Je m'appuyais sur la balustrade qui bordait la promenade et jetais un regard en contre-bas vers la plage. En cette fin d'après-midi les baigneurs étaient rares et se contentaient de parfaire leur hâle allongés sur des serviettes. Sur ma droite des voiliers se balançaient mollement dans le port, leurs mats rayant le ciel et leurs cordages tintant obstinément contre les mats dans un concert lancinant. Permettez-moi de préférer le son des clarines dans nos prairies d'altitude. Mais je suis injuste, les mots sont bien faibles pour décrire ce qu'éveillait en moi ce spectacle nouveau et magnifique.

J'eus envie de marcher sur la plage, à la limite de l'eau. Je retroussais le bas de mon pantalon et enlevais mes chaussures que je gardais à la main. Les premiers pas furent surprenants. Le sol était chaud et le sable picotait mes plantes de pieds. Ces sensations n'étaient d'ailleurs pas désagréables. Je m'approchais de l'eau jusqu'à ce qu'une petite vague vicieuse vienne me lécher les pieds. Je sursautais et fis vivement un pas en arrière. Contrairement au sable je trouvais cette eau glacée.

Je marchais un peu en longeant la grève à bonne distance de l'eau avant de m'asseoir sur un enrochement. Je pus de nouveau contempler le spectacle magnifique en me laissant bercer par le bruit du ressac et le grésillement des grains de sable que la mer faisait monter et descendre sur la plage sans se lasser. Je regardais aussi les baigneurs. Au milieu d'eux je me sentais décalé, pas du tout à ma place avec ma tenue « civile », mon pantalon retroussé et mes chaussures à la main. Bref, je me trouvais un peu ridicule. Je me relevais et gagnais le petit escalier me remontant sur la promenade. Le soleil avait baissé sur l'horizon et jouait à cache-cache avec des petits nuages. La brise avait fraîchit et les couleurs vives tout à l'heure avaient perdu de leur éclat.

Songeur je reprenais le chemin de mon hôtel. Demain un nouvelle ville sans charme se dévoilerait à moi et le week-end prochain je retrouverais mes montagnes ! Je garderai quand même longtemps en mémoire l'éblouissement ressenti lorsque la mer s'était soudain livrée à mon regard.

Et le lendemain matin je pus découvrir un dernier petit cadeau du littoral à qui je tournais désormais le dos , un magnifique coup de soleil sur le front et le nez car, bien sûr, je n'avais pas mis de crème solaire.

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