Chapitre 3 - Pia

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☼ Chapitre 3 ☼

La soirée au bar de la veille s'est achevée dans les rires et dans l'excitation de nos retrouvailles, je suis ainsi parvenue à laisser ma déception de côté (au fond du troisième demi-pêche, cela va sans dire) suite à l'annonce de Zoé.

Au réveil, la sensation est déjà toute autre. La déception a laissé place à une pointe d'appréhension, qui m'a tenue tout au long du petit déjeuner et qui, décidément, ne compte pas me lâcher. J'emprunte, au volant de ma petite clio blanche, le chemin de terre menant à l'accueil des Jolisfruitiers. Le bâtiment a conservé ses allures de grange rustique, fonction qu'elle avait occupée autrefois, avant que le père d'Arlo ne lui lègue pour démarrer son activité de maraîcher. Nous avions passé tout l'été qui avait suivi l'obtention du baccalauréat à la rénover, et l'enthousiasme qui me saisit lorsque je l'aperçois est toujours aussi grisant. Mais ce matin, j'ai l'impression de passer le permis pour la première fois tant mon pied tremble au-dessus de l'accélérateur, au fur et à mesure que je m'approche de l'accueil. Sérieusement Pia, tu vas avoir vingt-cinq ans, tu connais cet endroit comme ta poche, ce n'est pas un premier job d'été ! Allez, ressaisis-toi ! J'inspire profondément, avant d'expirer longuement, puis je sors de la voiture, déjà plus confiante, quoiqu'un peu raide.

Ce qui m'agace, c'est que je sais ce qui me rend nerveuse. Qui, me rend nerveuse. Lorsque nous sommes tous les quatre, Arlo, Zek, Zoé et moi, tout est fluide, rien ne m'empêche d'être moi-même, je suis bien trop à l'aise avec Arlo et Zoé pour que les piques de Zek ne m'atteignent. Aujourd'hui, je me retrouve seule avec lui, et j'ai tout à coup beaucoup moins confiance en la répartie que je risque de ne pas avoir pour lui répondre.

Je chasse ces pensées en fermant les yeux un court instant, puis je rentre dans le bâtiment. C'est à la fois ici que sont présentés les produits, le mode de fabrication artisanal ainsi que les employés, sur des affiches en tissu conçues par Zoé. Je balaye la pièce du regard, ce qui me permet de confirmer qu'Arlo et elle sont déjà partis pour une première visite marketing. Génial.

Zek lève les yeux de la caisse et m'adresse un sourire pincé, celui qu'on réserve aux inconnus quand on essaye de se frayer un chemin dans la foule. Charmant. Je m'efforce de conserver un ton aimable en m'adressant à lui.

- Salut, Zek. Ça a été cette année ? Tu te plais toujours autant ici ?

Si nous nous voyons presque à chaque fois que je descends voir mes parents, nos conversations s'éternisent rarement et c'est souvent moi qui fais le premier pas pour prendre de ses nouvelles. Je sens Zek se renfrogner aussitôt. Non pas qu'il ait l'air autre chose que renfrogné le reste du temps, mais là, ses sourcils sont encore un peu plus froncés que d'habitude, je crois.

- Comme d'habitude, oui. Allez, ça va être l'heure, si tu ne veux pas qu'on cuise.

Je soupire, peu surprise de sa réponse expéditive. Zek est sympa, mais il est franchement bourru.

- Écoute, on a qu'à profiter de ce mois de juillet pour passer un peu plus de temps ensemble ? Et puis, on ne va pas se parler comme ça devant les jeunes qui bossent avec nous, c'est pas terrible pour l'image de la boite, si ?

Ignorant délibérément la première partie de ma réponse, Zek me répond d'un ton plat.

- Ils commencent presque tous la semaine prochaine. C'est nous deux à la cueillette cette semaine.

Je serre un peu les dents tout en déglutissant. Je ne sais pas gérer les situations inattendues, j'ai envie de déguerpir et d'aller me cacher au fond de mon lit dès que je sens que les choses m'échappent, que les événements prennent une tournure que je n'avais pas anticipée. Control freak, moi ? Non, jamais. Je décide de ne pas poursuivre cette conversation déstabilisante, et j'enfile des chaussures confortables avant d'aller chercher le matériel nécessaire à la cueillette.

Une fois équipée, je monte sur le petit tracteur avec Zek. Heureusement que je connais la routine par cœur, et qu'il n'a pas besoin de m'expliquer quoi que ce soit, ce qui m'aurait sûrement agacée plus que de raison.

Nous arrivons enfin au bout du petit chemin qui mène au verger, après trois minutes de silence écrasant qui me paraissent durer une éternité. L'été va être long.

Ma caisse sous le bras, prête à être remplie, j'enfile une paire de gants. Je ne préfère pas penser à la sensation désagréable de toucher un abricot trop mûr qui risque de dégouliner le long de mon bras, ou d'une chenille urticante égarée. J'ai beau aimer la campagne, je déteste les contacts inattendus et collants - j'inclus là-dedans les câlins de Zoé. J'ignore le regard dépréciateur de Zek et décide de continuer sur ma lancée de bonne volonté, en misant sur l'un des seuls sujets de conversation qui, je le sais, nous plait à tous les deux.

- T'as regardé quoi comme série récemment ? J'ai adoré Fallout, je sais pas si tu l'as vue.

Il faut quoi, deux secondes, pour réagir à une question, non ? A peu près ? Je ne vois pas Zek, car nous travaillons dos à dos sur deux rangées parallèles d'abricotiers. Mais dix secondes, ça me parait légèrement excessif. Alors, je me retourne et je crois que je perds mon sang-froid, ce qui m'arrive rarement. Un casque ? Sérieusement ? Je suis si chiante que ça ? A ce moment-là, je sens la colère monter en moi, et ça me glace le sang. Il ne va pas gâcher le dernier été complet que je vais passer ici, je refuse. Alors, je fais quelque chose de complètement saugrenu. J'attrape un abricot, et sans réfléchir une seconde de plus, lui jette le fruit entre les omoplates. Cela semble le surprendre puisqu'il sursaute, retire son casque de ses oreilles et se retourne vivement, se retrouvant ainsi face à moi. Je m'attends à recevoir une remarque acerbe de sa part, mais il n'en est rien. Au lieu de cela, Zek se rapproche de moi en quelques enjambées rapides.

Soudain, il est face à moi, nos corps sont tout à coup bien trop proches. En tout cas, bien plus qu'ils ne l'ont jamais été. Premièrement, je sens mon fameux espace vital envahi, ce qui me procure une sensation étrange, presque paralysante. Mais je suis surtout perturbée par cette proximité soudaine. Je me rends compte que les yeux de Zek ne sont pas bleus, comme je l'avais toujours cru. Ils sont gris clair, presque métalliques. Il n'y a que lui pour avoir une couleur d'yeux pareille, sérieusement.

- Je t'ai fait quoi, pour que tu me détestes autant ?

J'ai voulu lui cracher ces mots pour briser le silence de sa réponse, mais ils se sont échappés en un murmure peu convaincant. Sa réponse, pour une fois, ne se fait pas attendre. Et elle finit de me désorienter.

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